On peut répéter à l’envi vouloir la paix au Proche-Orient, et être prêt à reprendre sans condition des négociations directes avec les Palestiniens, tout en rejetant le moment venu une occasion rare de mettre fin à un conflit vieux de soixante-neuf ans. Voici l’étonnant paradoxe révélé par le quotidien israélien Haaretz au sujet du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Dans son édition de dimanche, le journal de centre gauche affirme que le chef du gouvernement israélien a rejeté un plan de paix selon lequel plusieurs pays arabes de la région étaient prêts à reconnaître Israël comme « État juif » et à pousser à une reprise des négociations directes entre les deux camps, deux demandes-clés maintes fois formulées par le Premier ministre israélien.
À l’initiative de ce plan de paix israélo-arabe, l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry, qui a secrètement réuni le 21 février 2016 à Aqaba, dans le sud de la Jordanie, Benjamin Netanyahu ainsi que deux chefs d’État arabes en paix avec l’État hébreu : le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, et le roi de Jordanie Abdallah II. Son objectif : faire accepter par les trois dirigeants un plan de paix régional visant à encourager l’Autorité palestinienne à reprendre les négociations de paix avec le soutien des pays arabes de la région. Absent du sommet d’Aqaba, le président palestinien Mahmoud Abbas en a toutefois été informé, affirme Haaretz. Contacté par l’Agence France-Presse, un responsable américain a confirmé l’existence de cette réunion. Tout comme la présidence égyptienne.
Plan de paix en six points
À l’époque, le processus de paix est au point mort. Les deux camps ne se parlent plus depuis un an et demi et l’échec de la dernière médiation américaine de John Kerry. La colonisation israélienne bat son plein à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, empêchant sur le terrain la création de tout État palestinien viable. Impuissant face à l’occupation israélienne, le président de l’Autorité palestinienne, qui a pourtant renoncé à la violence et dont les forces de sécurité coopèrent avec Tsahal, est plus que jamais discrédité auprès de sa propre population. Inquiet du caractère explosif du statu quo, qui a provoqué depuis l’automne une vague d’attaques palestiniennes, le secrétaire d’État américain élabore en secret un plan en six points pour la reprise des pourparlers israélo-palestiniens.
- Création d’un État palestinien viable sur la base des frontières de 1967 avec la possibilité d’échanges de territoires mutuellement acceptés
- Acceptation par les deux parties du principe de deux États – un juif, l’autre arabe – garantissant des droits égaux à leurs citoyens respectifs
- Jérusalem capitale des deux États, reconnue au niveau international, avec un accès libre aux sites religieux
- Solution juste et réaliste à la question des réfugiés palestiniens qui ne modifie pas le caractère juif d’Israël
- Réponse aux besoins sécuritaires d’Israël et un État palestinien démilitarisé
- Normalisation des liens avec les pays arabes et sécurité régionale accrue pour tous.
À en croire d’anciens hauts responsables de l’administration Obama cités par Haaretz, l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le Jordanien Abdallah II auraient apporté leur soutien au plan, quand bien même celui-ci comprenait la reconnaissance du caractère « juif » de l’État d’Israël. En effet, cette appellation, si elle vise en premier lieu à rassurer les Israéliens contre toute remise en cause dans le futur de leur majorité juive, braque les Palestiniens en douchant les espoirs de retour des quelque cinq millions de réfugiés palestiniens, descendant des Palestiniens expulsés par Israël en 1948 et en 1967. Par ailleurs, reconnaître Israël comme « État juif » est d’autant plus problématique pour les Palestiniens qu’il relègue les Arabes d’Israël au rang de citoyens de seconde zone.
Coalition la plus à droite de l’histoire d’Israël
Mais désormais confrontées à d’autres menaces régionales ô combien plus importantes à leurs yeux – l’organisation État islamique et l’Iran –, l’Égypte et la Jordanie ont consenti à défendre le plan de paix américain devant d’autres pays arabes de la région, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Liés par leur crainte commune de l’Iran chiite, l’Arabie saoudite et l’État hébreu se rapprochent et discutent en secret d’une possible normalisation de leurs relations, impossible pour l’heure sans la résolution du conflit israélo-palestinien. En 2002, l’Arabie saoudite avait même été à l’origine d’une autre initiative de paix rare, « l’initiative de paix arabe », proposant une normalisation des relations entre les États arabes et Israël en échange d’un retrait israélien des territoires palestiniens occupés et d’une solution viable concernant les réfugiés. Elle avait été rejetée à l’époque par l’ex-Premier ministre israélien Ariel Sharon.
Quinze ans plus tard, les prémisses d’une proposition semblable s’offrent de nouveau à Israël. Et c’est à Benjamin Netanyahu de la rejeter. À en croire les anciens responsables américains cités par Haaretz , le Premier ministre israélien a déclaré que les principes énoncés par le plan américain étaient trop détaillés et a estimé qu’il lui serait difficile d’obtenir l’accord de sa coalition au pouvoir. En effet, son gouvernement, le plus à droite de l’histoire d’Israël, fait la part belle aux nationalistes religieux opposés à toute concession faite aux Palestiniens. Ainsi, le Premier ministre doit multiplier les gages aux colons s’il ne veut pas torpiller sa majorité (d’un seul siège à la Knesset en février 2016 - contre six aujourd’hui).
« Rare occasion diplomatique qui ne se représentera peut-être plus » (chef de l’opposition)
En revanche, Benjamin Netanyahu, qui a confirmé la tenue du sommet secret d’Aqaba, et même revendiqué sa paternité, propose son propre plan de paix. D’après Haaretz , l’initiative du chef du gouvernement israélien prévoyait des gestes significatifs, notamment l’octroi de nombreux permis de construire pour les Palestiniens en zone C de Cisjordanie occupée (61 % du territoire palestinien, sous contrôle administratif et militaire israélien). Le Premier ministre israélien a également indiqué qu’il publierait un communiqué en faveur de la fameuse initiative de paix arabe. En échange, il réclamait une reprise des négociations directes avec les Palestiniens ainsi que la tenue d’un sommet régional pour la paix, en présence de dirigeants saoudiens, émiriens et d’autres pays arabes sunnites.
Si ce plan est lui aussi resté lettre morte, l’initiative américaine a eu au moins un mérite. Celui de provoquer dans la foulée des pourparlers entre Benjamin Netanyahu et son principal opposant, le chef du parti travailliste Union sioniste, Yitzhak Herzog, en vue de former un gouvernement d’union nationale, plus flexible dans le cadre de négociations avec les Palestiniens. Informé par le Premier ministre israélien de la réunion d’Aqaba, Yitzhak a évoqué en mai 2016 une « rare occasion diplomatique qui ne se représentera peut-être plus », pour mieux justifier à l’époque, devant son parti, les tractations en cours, selon un enregistrement réalisé à son insu et cité par Le Monde.
L’occasion ne sera pas saisie. Le gouvernement d’union nationale ne voit pas le jour, et Benjamin Netanyahu renforce au contraire sa coalition à droite, en y accueillant les députés du parti ultranationaliste Israël Beytenou, dont le chef, Avigdor Lieberman, est nommé ministre de la Défense. La paix n’est plus qu’un lointain souvenir. En dépit d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, la colonisation se poursuit envers et contre tous, de même que les attentats en Israël. L’État palestinien a fait long feu. Depuis l’arrivée à la Maison-Blanche du républicain Donald Trump, « ami » de Benjamin Netanyahu, la solution à deux États, seule issue possible, n’est plus une priorité.