A Mériam Korichi, conservateur et metteur en scène d’Une Nuit de la philosophie
Nous, soussignés, universitaires et intellectuels, nous joignons à nos collègues en Europe et ailleurs pour attirer votre attention sur l’immense ironie que constitue l’invitation de Monique Canto-Sperber parmi les conférenciers principaux de votre « Nuit de la philosophie ». Pour un événement majeur de la philosophie, un champ fondé sur le libre examen et l’exploration intellectuelle, offrir une tribune sur la liberté de parole à quelqu’un qui, lorsqu’elle était à la tête d’une des plus prestigieuses institutions éducatives de France, a été responsable de deux des actes de censure les plus flagrants contre les Palestiniens et les critiques des politiques de l’état israélien, va au-delà d’une contradiction frappante – c’est consternant.
En tant que directrice de l’École Normale supérieure, Canto-Sperber a été directement responsable de deux dénis flagrants de la liberté académique en 2011. Ainsi qu’il a été écrit dans Mondoweiss, « il est notoire qu’en 2011, Canto-Sperber a annulé deux réunions à l’ École normale supérieure, dont elle était alors directrice, parce qu’elles étaient organisées par un Collectif Palestine, qui était en faveur de la campagne pour le boycott, les désinvestissements et les sanctions (BDS) contre Israël. Une de ces réunions devait accueillir Stéphane Hessel, le célèbre écrivain maintenant décédé qui a inspiré le mouvement "Occupy" (il est mort deux ans après cette annulation) ». Le deuxième événement organisé par le Collectif Palestine incluait une série de conférences et de débats dans le cadre de la Semaine internationale contre l’apartheid israélien, visant la communauté normalienne. Ce programme a été soumis à la directrice de l’ENS, ainsi qu’une demande de salle et la proposition ouverte de discuter la question de la sécurité, qui selon la directrice avait motivé sa décision d’interdire la première réunion à l’intérieur de l’établissement. Canto-Sperber a annulé aussi cet événement, en l’excluant du campus.
Un groupe international d’universitaires, comprenant des personnalités éminentes comme Natalie Zemon Davis et Joan Scott, ont décrit ces deux cas dans leur lettre de protestation :
« Nous, soussignés universitaires états-uniens, canadiens et britanniques, qui pour la plupart avons des liens de longue date avec la France et avons longtemps admiré le rôle historique de l’École Normale supérieure dans la vie critique et intellectuelle du pays, sommes stupéfaits des événements récents à l’école. Les actions de la directrice, Monique Canto-Sperber, interdisant d’abord une conférence de Stéphane Hessel et refusant ensuite au Collectif Palestine ENS d’organiser une rencontre sur le campus, est un déni des droits à la liberté d’expression et d’association. Hessel a 93 ans, c’est un ancien élève de l’École, un membre de la Résistance, un survivant de Buchenwald, un des auteurs de la Déclaration des droits de l’homme de l’ONU et du récent best-seller Indignez-vous !, dans lequel il critique parmi d’autres choses le traitement des Palestiniens par Israël …
L’action de la directrice est une exception à la tolérance habituelle de l’école vis-à-vis de l’activité politique des étudiants et c’est une exception récurrente, visant à réduire au silence un des côtés dans un débat nécessaire sur le conflit israélo-palestinien. Nous pensons que l’action de la directrice est en contradiction avec la longue histoire de libre parole et de libre expression politique à l’ENS telle qu’elle est d’ailleurs décrite dans sa propre publicité : “L’École normale supérieure fut pendant des décennies le haut lieu de la vie intellectuelle et scientifique française. Elle a participé à tous les grands débats d’idées qu’a connus la France moderne, de l’affaire Dreyfus aux mouvements des années 30, de la fondation des sciences humaines à l’avant-garde des années 70”. »
Dans sa réponse à cette pétition, Canto-Sperber a justifié sa décision en la fondant sur le fait que les "deux côtés" n’auraient pas été représentés et que l’événement était antisémite, et donc interdit par la loi française.
Ce à quoi les signataires de la pétition ont répondu :
« Il ne devrait pas être nécessaire de souligner que chaque personne impliquée dans cette pétition est fermement opposée à l’antisémitisme sous toutes ses formes. Nous n’avons rien vu qui suggère que les membres du comité qui a essayé d’organiser les deux événements annulés par la directrice étaient motivés de quelque façon par l’antisémitisme, et nous nous inquiétons de ce que ces accusations d’antisémitisme, un délit très grave en effet, puissent être lancées à la légère afin de réduire au silence un des côtés dans un débat nécessaire sur le conflit israélo-palestinien.
En ce qui concerne la partialité éventuelle de la rencontre interdite, nous ne voyons aucun problème. Dans de nombreuses rencontres qui ont lieu à l’ENS et ailleurs, il n’est pas requis que chaque opinion possible sur le sujet en question soit représentée. Il ne s’agit pas de représenter des points de vue opposés et d’atteindre un "équilibre", mais d’accueillir des événements qui soulèvent des questions sérieuses sur la relation entre la discrimination, l’occupation, la justice sociale et le droit international. Il y a précisément une longue tradition de cela à l’ENS. »
En somme, loin d’être une championne de la liberté académique pour tous, Monique Canto-Sperber a agressivement et sélectivement refusé la liberté académique à un groupe spécifique tout en l’accordant à tous les autres. C’est notre conviction que la liberté académique ne doit pas être appliquée de manière sélective : c’est un droit universel.
Nous trouvons remarquable que non seulement votre comité d’organisation ne pouvait ignorer cette histoire de censure, mais qu’il accorde même maintenant à cette personne une plateforme pour exprimer son "soutien" à la libre parole. C’est plus que scandaleux—cela dépasse l’imagination et apparaît comme un blanchiment des données historiques.
Si nous reconnaissons et respectons le droit de Canto-Sperber de parler à votre colloque, nous pensons qu’il est de notre devoir de manifester notre profond désappointement et de protester dans les termes les plus forts contre le fait qu’une des personnes principales sélectionnées pour promouvoir la liberté de parole à votre "Nuit de la philosophie" l’ait ouvertement refusée aux Palestiniens et à leurs défenseurs. En agissant ainsi, vous faites de cet événement une farce et montrez la minceur de votre engagement envers la liberté académique et la liberté de parole.
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