Le 3 juin 2019
Madame la Députée, Monsieur le Député,
Lors de sa séance du mercredi 29 mai, l’Assemblée nationale avait mis à l’ordre du jour une proposition de résolution « visant à lutter contre l’antisémitisme » [1].
Cette proposition vient remettre sur le tapis un sujet que l’on pouvait estimer réglé après le retrait, le 19 février dernier, d’une proposition de loi qui visait à interdire l’antisionisme. Cette proposition de loi avait fait l’objet de commentaires publics défavorables de la part de plusieurs ministres, du président de l’Assemblée nationale, et du président de la République. On peut donc s’étonner de cette nouvelle tentative d’instrumentalisation de la lutte, par elle-même légitime, contre l’antisémitisme.
Au-delà d’un exposé des motifs très orienté, la proposition de résolution présentée le 29 mai est en effet destinée à faire approuver par l’Assemblée la définition dite « IHRA » de l’antisémitisme. L’examen de cette résolution ayant été reporté, cela nous donne le temps de vous informer sur un sujet que nous avons documenté en profondeur.
Sur la définition « IHRA », son historique, ses motivations et ses conséquences, nous vous invitons à prendre connaissance de la fiche résumée ci-jointe, de l’article paru le 12 février sur le site Orient XXI [2], ainsi que du dossier que nous avons constitué sur ce sujet [3]. Ce texte du début des années 2000, rejeté par les organismes européens compétents avant d’être recyclé en 2016 à l’IHRA [4], associe une définition très banale de l’antisémitisme à des « exemples », qui n’ont pas été adoptés par l’IHRA mais sont toujours mis en avant, dont une bonne moitié fait référence à la critique des orientations et de la politique de l’État d’Israël.
La référence incontestable, dans ce domaine, est la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), qui est depuis 1990 désignée par la loi comme rapporteur national indépendant sur la lutte contre le racisme sous toutes ses formes [5]. Dans son rapport 2017 publié en mai 2018 [6], la CNCDH exprime clairement son opposition à la transposition en France de la définition « IHRA » de l’antisémitisme. Dans son rapport 2018 dont les éléments clés ont été publiés le 23 avril 2019 [7], elle réitère cette position.
Nous terminerons par un point particulièrement important : le combat contre l’antisémitisme et le racisme sous toutes ses formes est l’affaire de l’État et de la société civile, et d’eux seuls. Aucune interférence d’un État tiers ne devrait être tolérée dans ce domaine. Nous sommes particulièrement choqués quand nous apprenons que le 28 mai, la veille de la date programmée pour le débat sur le projet de résolution, M. Sylvain Maillard a reçu, avec d’autres députés, une délégation du lobby israélien des colons, en violation totale de la politique de la France, et alors que la colonisation est un crime de guerre en droit international. Et c’est avec ces gens-là qu’il a évoqué le projet de résolution qu’il devait présenter le lendemain à l’Assemblée nationale !... Cette rencontre est décrite et commentée par le réseau d’influence ELNET [8] qui l’organisait, et qui se vante par ailleurs de s’être « particulièrement mobilisé et investi dans l’établissement et le suivi de cette résolution ».
Madame la Députée, Monsieur le Député, le combat contre l’antisémitisme et le racisme sous toutes ses formes est une affaire sérieuse, sur laquelle nous avons pu constater, à plusieurs reprises, un sentiment largement partagé en France. Notre association y est pleinement engagée, comme l’écrasante majorité du mouvement de solidarité pour les droits du peuple palestinien. Il serait désastreux, pour l’avenir même de ce combat, que vous le laissiez se faire manipuler au service de la politique de l’État d’Israël, qui viole tous les jours le droit international et les droits de l’Homme, qui poursuit et accélère sa politique de colonisation, et qui a fait adopter en juillet 2018, dans sa loi fondamentale, des conceptions ouvertement racistes, suprémacistes et discriminatoires.
Nous comptons sur votre engagement dans une lutte sincère contre l’antisémitisme et le racisme sous toutes ses formes, en la débarrassant de toute instrumentalisation, et en tirant parti des travaux très riches qui sont menés sur ce sujet dans notre pays. Nous comptons donc sur vous pour vous opposer à la résolution présentée le 29 mai, et en retirer votre nom si vous y avez été associé.e.
Nous sollicitons une rencontre avec vous pour en parler de vive voix et restons à votre disposition pour toute information complémentaire.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Députée, Monsieur le Député, nos respectueuses salutations,
Bertrand Heilbronn
Président de l’Association France Palestine Solidarité