Ce n’est pas encore une grosse colère, avec riposte coordonnée à la clé, mais un vif mécontentement qui suscite déjà davantage que les rituelles déplorations en pareille circonstance. Plusieurs des pays majeurs de l’Union européenne dont la France, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Suède, le Danemark sont allés lundi jusqu’à convoquer l’ambassadeur israélien dans leur capitale pour manifester la vigueur de leur réprobation face aux mesures prises par Benjamin Netanyahou, en représailles à l’admission de la Palestine comme "Etat observateur non membre" des Nations unies.
On peut imaginer que le premier ministre israélien ne s’attendait pas à recevoir des compliments après avoir annoncé que son pays allait construire près de 3.000 logements en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, poursuivre le développement de la zone de colonisation E-1, et geler le versements à Ramallah de 92 millions d’euros de taxes collectées par la douane israélienne sur les produits importés ou exportés par l’Autorité palestinienne.
Mais il pensait sans doute qu’il ne pouvait pas faire moins pour séduire son électorat, à deux mois des législatives anticipées du 22 janvier. Et peut-être jugeait-il aussi que la riposte internationale – et en particulier européenne – ne serait pas plus redoutable que les inoffensifs reproches essuyés par les gouvernements israéliens successifs depuis près de 20 ans tandis que, de nouveau chantier en nouveau chantier, le nombre de colons passait de 280.000 à 550.000 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Netanyahou a franchi une ligne rouge
Si, cette fois, Paris, Londres, Stockholm et Copenhague ont jugé indispensable de convoquer l’ambassadeur d’Israël pour lui faire part de leur "désapprobation", si Berlin, qui s’apprête à recevoir Benjamin Netanyahou, s’est déclaré "très inquiet", si même Washington, qui a soutenu la position israélienne en votant "non" à l’admission de la Palestine à l’ONU, juge aujourd’hui que la décision israélienne "fait reculer la cause de la paix", c’est qu’à leurs yeux le premier ministre a franchi une sorte de ligne rouge diplomatique.
Pourquoi ?
D’abord parce que lors des consultations avec Washington, qui ont précédé le vote de l’Assemblée générale, le gouvernement israélien semblait s’être engagé, en cas de succès – prévisible – des Palestiniens, à ne pas exercer de représailles qui pourraient mettre en péril le fonctionnement ou l’existence de l’Autorité palestinienne. Compte tenu de l’instabilité de la situation dans la région, la Maison Blanche et le Département d’Etat estimaient que la position stratégique des Etats-Unis serait affaiblie, dans la région, si son allié menaçait impunément la survie de l’Autorité palestinienne.
Le contenu des conversations préparatoires israélo-américaines n’a pas été rendu public, mais il semble que les interlocuteurs américains des émissaires de Netanyahou avaient compris - et accepté – qu’Israël n’exercerait des représailles contre les Palestiniens que si ces derniers tentaient de saisir la Cour internationale de justice. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant.
Le dossier explosif de E-1
La deuxième explication de la colère des capitales européennes et de l’irritation de Washington est liée à la nature du dossier E-1. Lancé dès 1997, alors que Benjamin Netanyahou était, pour la première fois, Premier ministre, le projet E-1 prévoit l’annexion et la colonisation par Israël d’une zone de 12 kilomètres carré, à l’est de Jérusalem. Destinée, à terme, à abriter 3.500 logements (c’est-à-dire 15.000 personnes), un "parc industriel", une dizaine d’hotels, des centres commerciaux, des bâtiments universitaires et un immeuble réservé à la police, cette zone instaure une continuité entre l’immense colonie-dortoir de Maale Adoumim (35.000 habitants), qui domine la route de Jéricho, et les colonies urbaines de Jérusalem-Est (Pisgat Zev, French Hill, Ramat Eshkol).
Mais cette vaste extension du "Grand Jérusalem" vers l’est constitue aussi une zone de colonisation infranchissable entre le nord et le sud de la Cisjordanie, qu’elle coupe en deux. Rendant très difficile, sinon impossible, la création en Cisjordanie d’un Etat palestinien viable. Accepté et développé depuis 15 ans par tous les gouvernements israéliens qui se sont succédé, quelle que soit leur couleur politique, le projet E-1 a été jugé, dès 1997, très contestable par Washington, qui le considérait comme un danger majeur pour le processus de paix alors en cours.
Ce qui n’a pas dissuadé les stratèges israéliens de l’inclure dans le tracé du mur et de la barrière destinés à annexer des territoires palestiniens à Israël. Furieuse d’avoir constaté, lors d’une visite en 2003, que les travaux de terrassement et de viabilisation de la zone avaient commencé, en dépit des réserves américaines, Condoleezza Rice alors à la tête du département d’Etat avait laissé éclater sa colère face au Premier ministre d’alors, Ariel Sharon. En vain.
Demain, la suspension des accords commerciaux ?
En 2005, c’est l’Union européenne qui dénonçait, dans un rapport de ses diplomates sur le terrain, le caractère néfaste de cette initiative. La même année, le projet avait été officiellement "gelé" à la demande de Washington. Ce gel ne semble pas avoir survécu à l’arrivée au pouvoir, en mars 2009, de Benjamin Netanyahou à la tête d’un gouvernement d’union avec le parti ultranationaliste Israël Beitenou. Aujourd’hui, seul le quartier général de la police israélienne pour la "Judée Samarie" (c’est-à-dire la Cisjordanie) est construit et en activité.
Mais la zone est prête à accueillir les premiers immeubles d’habitation : les routes sont asphaltées, l’éclairage public, les réseaux d’électricité, d’eau et de téléphone sont installés. Il ne manque plus qu’une décision gouvernementale. Jusqu’à présent, elle n’avait pas été prise pour ménager les amis d’Israël qui avaient manifesté leurs réserves ou leurs critiques, et en premier lieu, Washington.
Mais la victoire diplomatique palestinienne à l’ONU et les exigences d’un électorat dont le centre de gravité, révélé par les primaires, a dérivé encore plus à droite que dans la législature précédente, ont changé la donne. Fort du soutien, confirmé lors du vote à l’ONU, de Barack Obama, le Premier ministre israélien a agi comme s’il était plus assuré que jamais, au bout du compte, de l’impunité. Après tout, n’a-t-il pas, depuis qu’il est au pouvoir, humilié l’administration américaine, ignoré l’Europe, méprisé l’ONU en ne respectant ni les résolutions des Nations unies, ni la feuille de route du Quartette, pourtant proposée par Washington, ni les accords conclus par ses prédécesseurs ?
Ultime geste de défi lancé aux Occidentaux : la décision de confisquer les 92 millions d’euros de taxes destinées à l’Autorité palestinienne, qui intervient à un moment où les finances de Ramallah sont au plus bas et qui peut contribuer à déstabiliser le régime de Mahmoud Abbas, ne pouvait pas non plus laisser les partisans d’une solution à deux Etats indifférents.
Recourir aux représailles, annoncer 3.000 nouveaux logements dans des colonies israéliennes, indiquer qu’une partie de ces logements seraient construits dans la stratégique zone E-1, et enfin confisquer le montant des taxes dues aux Palestiniens : c’est l’accumulation de ces provocations qui a été vécue par les Européens comme le franchissement d’une ligne rouge. Reste à savoir maintenant s’ils s’en tiendront aux convocations d’ambassadeurs et aux protestations diplomatiques. Ou, pour le cas où le gouvernement israélien persisterait dans ses intentions, s’ils pourraient aller jusqu’à rappeler leurs propres ambassadeurs en Israël ? Ou encore, comme l’envisageait hier un diplomate britannique, jusqu’à la suspension des accords commerciaux avec Israël ?