Jean-Claude Lefort
Député honoraire
Paris, le 20 avril 2008
Monsieur Nicolas Sarkozy
Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue du faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
Monsieur le Président de la République,
Ainsi le juge du tribunal israélien militaire d’Ofer a rendu son verdict – un verdict qu’il a trouvé lui même « très lourd ». Salah Hamouri, notre jeune compatriote, a en effet été condamné à 7 ans de prison.
Je dois revenir aujourd’hui, en quelques mots, sur la posture adoptée par la France sur ce cas car celle-ci est emblématique d’une démarche plus générale qui n’est pas en adéquation avec les tristes et dures réalités vécues sur place qui résultent du conflit israélo-palestinien. Je rappelle non par parenthèses que s’agissant du caporal Gilad Shalit, le jeune franco-israélien enlevé, la France demande sa libération pure et simple et son retour dans ses foyers (ce que je soutiens) tandis que vous avez reçu la famille bien sûr affectée par son absence.
Dans un courrier récent, en date du 16 avril, votre Chef de cabinet m’écrit en votre nom que les autorités françaises « n’ont cessé de demander que la situation de Salah Hamouri soit clarifiée et qu’il puisse bénéficier, sans délai supplémentaire, d’un jugement. Dans le cas contraire, après trois ans d’incarcération et d’instruction vaine de son dossier, notre compatriote, M. Hamouri, devait être libéré. »
D’emblée, donc, la France a admis la légitimité de la justice militaire israélienne et a souhaité que Salah Hamouri puisse « bénéficier » d’un jugement rapide.
Il en va de même de la demande qui consiste à considérer que si l’instruction de son dossier est « vaine » il devrait être libéré. Créditer la justice militaire d’une capacité de considérer que l’instruction du dossier est « vaine » relève d’une approche consistant à considérer que cet Etat est un Etat de droit comme les autres, ce qui est en porte-à-faux total avec ce fait majeur : Israël est une puissance occupante qui s’autorise, au mépris des Conventions internationales, d’arrêter comme bon lui semble et de juger ceux-là même qu’elle opprime.
Je rappelle que, dans un autre domaine qui rejoint ce point, cet Etat pratique des exécutions extra judicaires condamnées par l’ONU.
Le dossier de Salah Hamouri était donc vide.
Il a fait trois ans de prison sans que la moindre preuve soit apportée qu’il nourrissait des intentions négatives contre le rabbin Yossef Ovadia.
26 audiences ont été annulées faute de témoins pour accréditer cette thèse de même qu’il ne s’est trouvé aucune personne pour venir confirmer à la barre que Salah Hamouri était membre d’un mouvement de jeunesse soi-disant proche du FPLP. Les personnes annoncées pour confirmer ou établir ce point étant toutes des prisonniers, il est plus qu’évident – du moins j’espère que c’est « évident » – que leur absence devant le tribunal était la manifestation de l’impossibilité de nourrir la moindre accusation contre Salah autrement que par une simple délation anonyme dont l’obtention est particulièrement « facile » compte tenu des méthodes, connues de tous, des services israéliens.
Or, pour la « justice militaire », le fait – reconnu par Salah – d’être passé en voiture devant le domicile du rabbin mis en relation avec son appartenance supposée à un mouvement de jeunesse soi-disant proche du FPLP était, en elle-même, la « preuve absolue » que Salah devait être tenu pour coupable « d’un délit d’intention ». Notion déjà parfaitement discutable en droit, cette preuve n’a donc jamais été apportée.
Nous en étions exactement là quand, après trois ans de procédures « vaines », le Ministre des Affaires étrangères, sur place le 17 février dernier, a demandé, aux personnes israéliennes citées dans la lettre de votre Chef de cabinet, un « procès rapide ».
Or le 18 février, le lendemain de cette demande formulée auprès de autorités israéliennes, le tribunal militaire faisait savoir, « rapidement » donc, à la famille Hamouri par l’intermédiaire de l’avocate de Salah, que la proposition était la suivante : « 7 ans de prison ou, en cas de refus, ce sera une peine plus lourde ».
J’étais sur place ce lundi 18 février, près des parents de Salah, quand cette « nouvelle » est tombée. Je me souviendrai toujours du choc et de la colère sourde ressentis devant ces méthodes dont on m’a dit qu’elles étaient pourtant classiques et courantes dans cet « Etat de droit ».
C’est dans ce cadre, et dans ce contexte très particulier lié à l’occupation, que Salah Hamouri a été contraint, c’est le mot qui convient, de « plaider coupable ».
Je rappelle les termes de ce qu’il faut bien appeler un chantage odieux : « 7 ans si vous acceptez ou si vous refusez ce sera plus ». Le fait de devoir « plaider coupable », sur recommandation de son avocate, n’est donc en rien un acte de contrition de sa part non plus que de reconnaissance quelconque de l’accusation portée contre lui qui, je le rappelle encore une fois, n’a jamais démontrée.
Salah Hamouri a dû « plaider coupable » relativement aux termes parfaitement clairs et horribles de « l’accord proposé ». C’est humainement compréhensible.
On ne peut donc aujourd’hui lui prêter une reconnaissance des faits accusatoires. Il s’agit d’autre chose, de tout autre chose. On ne peut pas dire qu’en plaidant coupable en pareilles circonstances Salah Hamouri a admis les termes de l’accusation.
On ne peut à la fois le placer dans une dure situation où il n’a pas d’autre choix que de « plaider coupable » et ne pas retenir cet élément majeur en faisant mine de croire qu’il aurait reconnu les faits. Qui, placé dans cette même situation, aurait agi autrement ? Qui ? Et pourtant on fait comme si de rien n’était et on ne retient que cela : il a plaidé coupable et donc il a admis être coupable. Quand j’écris « on » je parle de ce que j’ai entendu de la part de nos services en charge.
J’éprouve un sentiment étrange pour ces personnes en songeant à ce qu’elles auraient fait, elles, si leur enfant s’était trouvé en pareille situation tandis qu’elles regardent aujourd’hui le cas de Salah avec une « hauteur sèche » qui me glace totalement. Je souhaite pourtant que jamais, jamais, elles ne se retrouvent devant un tel type de chantage…
Aujourd’hui donc, Monsieur le Président, les choses sont ainsi : Salah Hamouri, qui a 23 ans, doit faire encore 4 ans de prison. Un tiers de sa vie, de sa jeune vie, en prison – voilà le destin que lui ouvre la « justice israélienne dans le strict respect de son indépendance ». La justice « militaire » israélienne incluse étant strictement indépendante, cela va sans dire…
J’ai pris bonne note que votre Chef de cabinet entendait que la France, une fois le jugement rendu, plaide pour sa libération « compte tenu des trois années que M. Hamouri a déjà passées en prison ».
C’est donc, de manière formelle, ce que je vous demande de le faire aujourd’hui, Monsieur le Président : obtenir la libération de Salah Hamouri de sorte que notre ressortissant retrouve au plus vite son foyer familial et qu’il puisse poursuivre ses études de sociologie entamées sur place.
3 ans de prison pour rien c’est déjà trop. Il convient, comme l’écrit votre Chef de cabinet, « d’obtenir des autorités israéliennes » sa libération et son retour rapide auprès de sa famille qui l’attend.
Tel est l’objet de ma lettre, vous demander d’effectuer ces démarches pour que Salah retrouve sa famille au plus vite.
Dans l’attente d’un dénouement rapide et positif de cette affaire qui n’a que trop duré du fait de « notre » positionnement initial,
Monsieur le Président de la République, je vous prie de croire en l’assurance de mes salutations les plus distinguées.
M. Jean-Claude Lefort
Député honoraire