Un drapeau israélien flotte sur le toit d’une maison au sommet d’une colline arborée. De part et d’autre de la route qui mène à la propriété, des grilles en métal protègent les bâtisses de ce quartier résidentiel, surveillé de près par un soldat de Tsahal parqué dans son abri. Nous sommes à Tel Rumeida, une colonie israélienne située dans les hauteurs de Hébron, à proximité du tombeau d’Abraham. Au loin, dans la vallée, apparaissent les toits blancs des maisons palestiniennes de la plus grande ville de Cisjordanie.
- Membre de l’ONG israélienne Breaking the Silence, Avner Gvaryahu, ancien soldat de Tsahal, offre dans l’application VR Palestine une visite guidée de la colonie israélienne de Tel Rumeida, à Hébron. © Capture d’écran VR Palestine
« Cette rue est fermée pour les Palestiniens, sauf pour une seule famille qui est autorisée à venir ici », explique Avner Gvaryahu, un ancien soldat israélien. Ce jeune homme aux cheveux roux fait partie de l’ONG israélienne Breaking the Silence (Briser le silence), qui permet à d’anciens membres de Tsahal de témoigner de la réalité de l’occupation israélienne en territoires palestiniens à l’issue de leur service militaire. Derrière lui, un pavillon jaune abrite la famille palestinienne Abou Eisheh. « Leur maison est en fait entourée d’une cage », explique l’ancien soldat. « S’ils veulent sortir, ils doivent demander la permission des soldats israéliens. S’ils veulent recevoir de la visite, ils doivent aussi demander la permission des soldats israéliens. »
Colonie illégale
Une camionnette blanche se gare en contrebas. Trois juifs orthodoxes en tenue traditionnelle sortent du véhicule et reprennent leur chemin à pied. « Vous voyez de petites communautés de colons israéliens qui sont autorisés à circuler [dans la rue] », souligne Avner Gvaryahu. Située en territoires palestiniens, Tel Rumeida se trouve en zone H2 de Hébron, sous le contrôle de l’armée israélienne. D’après le droit international, cette colonie israélienne est pourtant illégale. Une définition qui est aujourd’hui remise en cause par l’administration Trump qui a officiellement reconnu les « implantations » israéliennes en Cisjordanie comme faisant partie du territoire d’Israël, ouvrant la voie à leur annexion et enterrant définitivement tout hypothétique État palestinien.
- Des habitants de la colonie israélienne de Tel Rumeida, située à Hébron, en territoire palestinien. © Capture d’écran Palestine VR
« Hébron est un microcosme de l’occupation », confie Avner Gvaryahu. « En tant qu’Israéliens qui adorent notre pays et croient au droit d’autodétermination des juifs sur cette terre, nous pensons que Hébron est l’un des meilleurs exemples pour comprendre comment ce droit est utilisé pour réprimer les Palestiniens », souligne l’ancien soldat israélien, qui affirme vouloir sortir de la « dangereuse dichotomie selon laquelle soutenir Israël équivaut à soutenir l’occupation ».
« Montrer la Palestine au monde entier »
Cette « visite » de Tel Rumeida est en réalité virtuelle. Elle fait partie de l’application Palestine VR, lancée au début du mois par The Palestine Institute for Public Diplomacy, une ONG basée à Ramallah, en Cisjordanie. Gratuite et disponible sur l’Apple Store et Android, elle permet à tout utilisateur de se rendre virtuellement à Jérusalem, à Bethléem ou encore à Gaza. À l’origine, ce parcours devait être emprunté par les deux sénatrices américaines Ilhan Omar et Rashida Tlaib. Mais les deux élues démocrates, défenseures des droits des Palestiniens et soutiens de la campagne de boycott d’Israël BDS, se sont vu interdire en août dernier l’entrée en Israël, indispensable pour accéder aux territoires palestiniens occupés.
- Salem Barahmeh est le créateur de l’application Palestine VR. Âgé de 30 ans, ce Palestinien de Ramallah est à la tête de l’ONG Palestine Institute for Public Diplomacy. © Armin Arefi/Le Point
« Vu que les deux sénatrices américaines n’ont pas pu réaliser cette visite, nous avons amené à elles cette visite avec les lieux et les personnes qu’elles devaient rencontrer », explique au Point Salem Barahmeh, le jeune fondateur de l’application Palestine VR et directeur de l’Institut. « Nous avons créé cette application pour elles, mais aussi pour montrer la Palestine au monde entier », poursuit le jeune Palestinien âgé d’à peine 30 ans. « Je pense que les gens sont plus impactés lorsqu’ils voient les choses d’eux-mêmes. »
Réalité de l’occupation
L’application est le symbole de l’inventivité dont peut faire preuve la nouvelle génération de Palestiniens, bien plus dynamique et connectée que la gérontocratie de l’Autorité palestinienne. En quelques clics, l’application permet de se promener sur l’esplanade des Mosquées de Jérusalem, dans la vieille ville de Hébron ou sur une plage de Gaza, en compagnie d’un guide local, palestinien ou israélien.
Si l’expérience est encore plus enrichissante avec un casque de réalité virtuelle, un smartphone suffit amplement pour évoluer à 360 degrés dans les différentes localités palestiniennes proposées. « Avec l’application, nous voulons montrer la réalité de l’occupation sur le terrain, le mur, et les colonies », explique Salem Barahmeh. « Nous souhaitons également rendre leur humanité aux Palestiniens et souligner qu’ils ne sont pas victimes, mais résilients. »
Le plus grand mérite de cette application est de permettre à tous ceux qui ne peuvent se rendre sur place de mettre enfin un pied en Palestine. Les plus de six millions de citoyens juifs israéliens qui peuvent enfin passer de l’autre côté du mur de séparation sans risquer d’être attaqués, mais aussi les cinq millions de réfugiés palestiniens au Proche-Orient qui peuvent espérer retrouver un court instant, comme s’ils y étaient, la terre de leurs ancêtres.
Photo de l’article : L’application Palestine VR est disponible sur l’Apple Store et Android depuis début novembre. © Namou / Le Point