Du 3 au 6 Décembre 2004, à l’initiative de L’A.J.P.F. [1], j’ai participé à un déplacement dans des camps de réfugiés au Liban. Nous étions 3 élus municipaux de Douarnenez, dont la Maire de notre Ville, au sein d’une délégation d’une trentaine de personnes représentant les Collectivités de Bagnolet (93), déjà jumelée avec Chatila ; Mitry Mory (77) ; Avion (62), jumelée avec Burj el-Barajneh ; Douarnenez, bien sur, sans oublier la présence d’un ami belge dont la Ville est intéressée par ce type de démarche.
Difficile d’exprimer en quelques phrases la richesse des rencontres faites au cours de cette trop courte visite.
Y a-t-il seulement des mots pour traduire, au dela de la nécessaire solidarité avec le Peuple palestinien, ce qui fut un grand moment d’émotion ? Même si cela n’avait rien à voir avec ce que vivent nos amis qui participent aux missions civiles dans les Territoires Occupés et s’y engagent auprès de la population palestinienne.
Nous avons ainsi pu nous rendre dans le camp de Chatila : Plus de 15 000 habitants dans un quadrilatère de 200 mètres de côté, soit l’équivalent de 4 terrains de foot ! Camp martyr et lieu emblématique de la cause palestinienne en raison des massacres de civils qui y ont été perpétrés, une première fois, en 1982 par les phalanges chrétiennes sous la protection des troupes israéliennes commandées alors par Sharon ; et une seconde fois en 1985, lors de la " guerre des camps ", quand les milices du Mouvement chiite pro-syrien Amal ont voulu éradiquer la présence politique de l’O.L.P. au Liban. Le nombre des victimes de ces massacres, ensevelies au bulldozer pour certaines d’entre elles, reste largement imprécis, mais il se chiffre par centaines. Et c’est avec une intense émotion que se déroule la visite, incontournable, des deux cimetières du camp ; cimetières dont l’un, installé au détour d’une ruelle au rez de chaussée d’un immeuble d’habitation de plusieurs étages, renferme la sépulture de près de 600 personnes, hommes, femmes et enfants.
Puis ce fut au cours de ces quatre jours sur le sol libanais la visite des camps de Baddaoui et Nahr el-Bared près de Tripoli, à 80 km au nord de Beyrouth ; celle du camp d’Ayn el-Helweh dans la banlieue de Saïda, le grand port du Sud-Liban ; celle enfin du camp de Rashidiyé, à quelques kilomètres de la ville de Tyr. Sans oublier nos échanges avec les Maires - libanais - de Tripoli et de Saïda ainsi qu’avec M. SAAD, député de cette Ville. Sans oublier enfin la visite, commentée par trois anciens détenus de l’ancienne prison de Khiyam, à deux pas de la Galilée ; sinistre lieu de détention tenu par l’armée du Liban sud, milice à la solde de l’armée israélienne pendant la période où celle-ci a occupé cette région du Liban (de 1978 à 2000). De l’ordre de 5 000 personnes, dont 400 à 600 femmes, résistants libanais ou palestiniens mèlés, y ont été emprisonnées et torturées sans distinction de sexe. Une prison hors la Loi, où les conventions de Genève n’étaient bien évidemment pas appliquées et à laquelle les représentants de la Croix Rouge Internationale n’ont pu avoir accès que sur le tard.
C’est donc un séjour d’une densité peu commune que notre délégation d’élus et d’acteurs locaux français a accompli un séjour qui n’a rien du " voyage touristique " tant on est ébranlé, au plus profond de soi , par les témoignages de nos amis palestiniens et libanais et par les lieux où se sont déroulés tous ces drames.
Un sentiment de révolte
Ce qui ressort de ce déplacement, c’est d’abord un sentiment absolu de révolte devant la situation matérielle des réfugiés vivant dans ces camps. Ils sont les oubliés de tous. Certes, depuis la fin de la guerre civile libanaise, leur existence est militairement moins menacée.
Contrairement à la population de Cisjordanie ou de Gaza, ils ne subissent pas la violence de l’occupation. Mais les conditions de la vie quotidienne dans les camps du Liban sont dramatiques, insoutenables : Confinement dans des espaces surpeuplés ; délabrement des réseaux électriques, d’eau potable et d’assainissement ; privation des droits civils les plus élémentaires, comme le droit au travail, qui réduit ces familles à une précarité absolue. Les ruelles des camps sont sillonnées de câbles électriques aériens qui tissent de véritables toiles d’araignée. Quand il pleut, cela provoque des arcs électriques et il n’est pas rares qu’il y ait des électrocutions, notamment chez les enfants.
Mais ce qui est encore plus remarquable, c’est la détermination tranquille dont font preuve les réfugiés palestiniens au Liban. Il y a chez eux une vraie soif de vie et d’échange ; un enthousiasme et une confiance en l’avenir qui soulèveraient les montagnes. Il y a surtout chez eux un sens profond de la dignité. Partout où notre délégation est passée, nous avons entendu les même mots : " le Peuple palestinien ne demande pas la charité ; il demande la reconnaissance de ses droits ". Personnes en situation de responsabilité ou simples citoyens, tous ont insisté sur le fait que les jumelages qu’ils souhaitent avec les Collectivités locales européennes, ce n’est pas pour faire de " l’humanitaire " , c’est d’abord pour faire avancer la prise en compte de la cause palestinienne par l’opinion internationale.
L’espoir d’une vie normale
C’est pourquoi leur revendication fondamentale reste la reconnaissance du droit au retour des réfugiés, tel que ce droit a été énoncé par la résolution 194 des Nations Unies du 11 Décembre 1948 après la première guerre israélo-arabe ; une résolution qu’Israël, Etat membre de l’O.N.U., n’a bien sur jamais appliquée et dont il ne reconnaît même pas la validité. Sans doute qu’une majorité des Palestiniens en exil n’est pas prête à retourner vivre à l’intérieur des frontières de l’Etat d’Israël ; mais la reconnaissance du droit au retour est pour eux une question de principe, la reconnaissance de l’injustice qu’ils ont subie.
Mais ce que les réfugiés palestiniens au Liban veulent aussi, c’est de pouvoir vivre normalement et dignement sur cette terre qui les a accueillis. C’est de pouvoir jouir des droits civils de tout un chacun, comme le droit de travailler ; c’est de pouvoir sortir d’un état chronique de misère dans lequel ils sont relégués en raison, pour partie, d’une législation libanaise discriminatoire. Mais les choses sont peut être à la veille de bouger au Liban. La question de la place réservée aux réfugiés palestiniens fait débat sur la scène politique libanaise. Les Maires de Tripoli et de Saïda comme le député de cette Ville nous ont fait part de leur préoccupation sur la situation des camps et de leur souhait de voir évoluer rapidement la législation de leur Pays. De ce point de vue, il nous a été rapporté l’importance des jumelages entre les camps et les Collectivités locales européennes : Les partenariats amorcés, notamment en matière de développement et de soutien à la vie quotidienne de la population interpellent fortement les autorités libanaises et les incitent à bouger. C’est ce que nous ont confirmé les responsables palestiniens au Liban en souhaitant que nous puissions, de retour en France, continuer à interpeller les autorités libanaises en vue d’aboutir à une " normalisation " de la situation des populations palestiniennes dans ce Pays.
Car la France, son Gouvernement et, spécialement le Président de la République, bénéficient au sein de la population palestinienne au Liban d’une aura qu’on a peine à imaginer ici. Chez les officiels palestiniens, c’est loin d’être un discours convenu, mais une vraie reconnaissance. Mais cet engouement pour la France s’exprime tout aussi fortement chez le citoyen ordinaire, par quelques mots échangés dans la rue et un accueil d’une chaleur extraordinaire. Nos interlocuteurs palestiniens nous ont aussi indiqué que, grâce aux jumelages citoyens entre les camps et les Villes européennes, grâce aux échanges directs entre individus, le regard des habitants des camps sur les délégations européennes a changé, passant d’une certaine hostilité, nourrie de l’impression que leur situation était un " sujet d’observation ", à une vraie sympathie.
Il serait dommage que le Gouvernement français dilapide ce capital de sympathie par une réorientation inconsidérée de sa politique moyen-orientale. A ce titre, certains élus libanais rencontrés nous ont fait part de leur incompréhension à propos du vote par la France de la récente résolution 1759 des Nations Unies relative au rôle que la Syrie continue de jouer au Liban. Tout en souhaitant une redéfinition des rapports syro-libanais et une évolution du système politique libanais dans un sens plus démocratique, ces élus s’inquiétaient de voir la France se rallier à une résolution d’inspiration américaine, véritable ingérence dans les affaires libanaises qui, pour eux, s’inscrit dans le projet de " Grand Moyen Orient " défendu par Bush et qui sert de base idéologique à l’intervention US en Irak.
La Ville de Douarnenez a, de longue date, apporté son soutien au peuple palestinien, notamment au travers de séjours d’enfants depuis 1982 et le siège de Beyrouth. Mais c’était sa première approche de ce type de partenariat avec un camp ; partenariat qu’elle envisage aussi avec une Ville du Kurdistan de Turquie. Il va lui falloir maintenant concrétiser en mobilisant sa population et ses réseaux associatifs, en espérant que de nombreuses Collectivités françaises s’engagent aussi dans cette aventure qui donne une autre dimension au concept de " mondialisation ".
Etre Palestinien au Liban
C’est loin d’être un long fleuve tranquille ; plutôt une situation de " non-droit ", en raison d’une législation libanaise extrêmement restrictive.
C’est ainsi que les réfugiés se voient interdire l’accès à 73 professions aussi diverses que comptable, coiffeur, enseignant , cuisinier, médecin... Ils ne peuvent obtenir la nationalité libanaise même s’ils le souhaitent. Le droit de propriété ne leur est pas reconnu, le droit d’hériter non plus : Après la première guerre israélo-arabe, en 1948, quelques réfugiés de la première génération avaient pu acheter des maisons au Liban ; leur droit de propriété sur ces biens ainsi que le droit de les transmettre à leurs enfants leur sont aujourd’hui contestés. Ils ne sont pas non plus autorisés à introduire des matériaux de construction dans les camps.
De tels interdits, et parce qu’il faut bien vivre et faire vivre sa famille, condamne l’immense majorité de la population palestinienne du Liban (estimée entre 250 000 et 400 000 habitants selon les sources) au chômage ou au travail noir ; à la précarité absolue ; à survivre confinés dans des camps surpeuplés, construits de bric et de broc avec des matériaux de mauvaise qualité, sans respect possible des normes de sécurité élémentaires.
Le Liban : Un système politique bloqué ?
Le système politique libanais se caractérise par un mode de répartition très particulier des pouvoirs entre les différentes communautés religieuses du Pays. C’est ainsi que le Président de la République est obligatoirement chrétien maronite ; le Premier Ministre, musulman sunnite ; le Président de l’Assemblée nationale, musulman Chiite... Une répartition qui a une valeur quasi-constitutionnelle et il y a 17 communautés religieuses qui émargent ainsi peu ou prou aux différentes institutions. C’est aussi un Pays où il y a un poids considérable des " grandes familles " sur la vie politique, qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes. La démographie de ces communautés n’ayant pas les mêmes rythmes, on voit qu’il s’agit là d’un équilibre très fragile qui éclaire largement les causes de la guerre civile qui a déchiré le Liban de 1975 à 1990 (au moins autant que la présence palestinienne dans ce Pays).
Autre indicateur de la démocratie libanaise, il n’y avait pas eu d’élections municipales depuis... 1963. Les élections locales ont été rétablies en 1998. Lors du premier renouvellement des conseils municipaux, au printemps 2004, il y a eu une sensible poussée des partis progressistes, mais aussi du Hezbollah. Mais, attention ! Les partis progressistes libanais ne correspondent pas forcément à nos références politiques européennes. Quant au Hezbollah, si c’est un mouvement religieux chiite, il tient aussi un " discours social " qui attire les déshérités et certains de ses cadres viennent de formations marxistes.
A noter enfin que le Liban va bientôt connaître des élections législatives dont les enjeux semblent tourner tant sur la démocratisation de la vie politique que sur les relations syro-libanaises ; une question là aussi plus complexe que ce que nous pouvons percevoir ici.