Ancien commandant dans les forces spéciales israéliennes, devenu entrepreneur avant d’entrer en politique, Naftali Bennett ne rêve que d’un poste : celui de premier ministre. Le portefeuille de l’éducation, dont il a hérité après les élections de mars 2015, n’était pas ce qu’espérait ce faucon. Mais le leader du parti national religieux Foyer juif a vite compris quels bénéfices il pouvait en tirer. C’est là que s’organise la bataille idéologique pour former les nouvelles générations ; là que se mène la lutte contre les élites traditionnelles, de gauche, encore dominantes dans les cercles culturels et académiques.
Naftali Bennett évoque, pour Le Monde, sa conception de l’éducation nationale, conciliant Dieu et la Toile, dessinant l’objectif de « produire de bons citoyens israéliens patriotes, qui ont les outils pour réussir au XXIe siècle et peuvent obtenir un emploi significatif ». Pour cela, il compte mettre l’accent sur l’apprentissage des mathématiques et des sciences, afin de former davantage d’ingénieurs pour le secteur des nouvelles technologies. M. Bennett veut aussi réduire les handicaps dont souffrent les Arabes israéliens (20 % de la population) et les ultraorthodoxes.
Les avis sur son action sont partagés. Il y a ceux qui doutent de son investissement dans les dossiers et ceux qui s’alarment de l’envergure de son offensive idéologique, même si elle se manifeste surtout dans des affaires symboliques – par exemple le retrait du programme littéraire au lycée d’un roman évoquant une histoire d’amour entre une Israélienne et un Palestinien. Les ventes du livre de Dorit Rabinyan ont immédiatement explosé. « Je n’ai pas été consulté, je l’ai appris après les faits », assure M. Bennett.
« Bennett essaie d’appliquer les méthodes du secteur du high-tech à l’éducation, mais il voit en cela une façon de promouvoir son point de vue politique, explique une figure importante du monde universitaire. En particulier, toutes ses nominations ont bénéficié à des gens de son bord. »
« Voir un reflet hideux de la société est difficile »
L’une des décisions très commentées a été le départ du ministère, en février, du directeur scientifique Ami Wilensky. Celui-ci avait élaboré, avec l’armée, un indicateur inédit pour mesurer le racisme chez les jeunes. Il en avait eu l’idée après l’assassinat d’un adolescent palestinien brûlé vif par des extrémistes juifs en juillet 2014. « Le système éducatif ne parlait pas ouvertement du racisme, déclare le professeur. Se regarder dans le miroir et voir un reflet hideux de la société est difficile. Personne ne m’a dit que j’étais renvoyé pour cette raison, mais je laisse l’interprétation aux gens intelligents. » M. Bennett rejette cette lecture et vante le lancement prochain d’un nouvel indicateur sur l’école, comprenant vingt-cinq mesures dont le niveau de tolérance.
Le ministre de l’éducation et de la diaspora insiste sur son engagement en faveur d’une meilleure intégration des populations défavorisées. Mais derrière ce pragmatisme revendiqué se dessine aussi une approche plus clivante, visant à promouvoir le sionisme et le judaïsme.
« Il y a eu une élite ashkénaze masculine, plutôt laïque, penchant à gauche, qui a été centrale dans la fondation de notre pays, souligne-t-il. Mais Israël est aujourd’hui bien plus divers. La première génération de cette élite, celle de Ben Gourion, était profondément marquée par la Bible et nos racines. Mais en cinquante ans, la deuxième et la troisième génération se sont éloignées de cet héritage juif. Il est devenu le monopole des ultraorthodoxes. Je veux casser ce monopole. » Son credo : Dieu pour tous.
« On veut ajouter l’autre moitié de l’histoire »
La fin des monopoles est une démarche qui s’inscrit aussi dans les tensions entre ashkénazes – les juifs d’Europe – et séfarades – ceux de la péninsule Ibérique, du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient. Voilà pourquoi M. Bennett a applaudi la publication, début juillet, d’un rapport rédigé par le poète Erez Biton visant à promouvoir, dans tous les domaines, la culture séfarade longtemps méprisée. « Au lieu de raconter la moitié de l’histoire, on veut ajouter l’autre, déclare M. Bennett. On veut enseigner ce qui est arrivé aux juifs au Yémen, en Perse, au Maroc ou en Espagne. »
Nahum Barnea, l’éditorialiste du quotidien Yedioth Ahronoth, a mis en doute cette approche, motivée, selon lui, par un désir de « vengeance ». A l’école, écrivait-il le 11 juillet, « l’histoire n’est pas enseignée, et le peu qui est enseigné cultive la victimologie, le provincialisme, une mentalité de diaspora et la xénophobie ».
La publication d’un manuel civique pour les lycéens, dont l’élaboration a duré quatre ans et mobilisé de nombreux experts, a constitué l’une des controverses les plus intenses depuis l’arrivée de M. Bennett. Beaucoup de corrections ont été apportées en catastrophe à l’ouvrage. « Je n’ai pas été impliqué dans les changements. Le manuel est tellement équilibré qu’il en est parfois ennuyeux », plaide le ministre.
Le tabou de la « nakba »
Malgré ces corrections, le résultat final a été perçu comme une volonté de la droite de promouvoir une vision excluante et ethnique d’Israël, ainsi qu’une interprétation étroitement religieuse du judaïsme. « Je veux que chaque enfant juif connaisse notre héritage et aime la Bible, dit M. Bennett, qu’il connaisse le premier et le second Temple, la diaspora et l’Holocauste. Bien sûr, on adapte le programme d’histoire et de littérature dans le secteur arabe. »
Chroniqueuse au quotidien de gauche Maariv, Revital Amiran est l’une des trois auteurs qui ont refusé de signer les chapitres dont elle avait eu la charge. « Beaucoup de passages sont consacrés à raconter l’histoire du peuple juif depuis la nuit des temps, afin de justifier les droits des juifs sur la Terre, déplore-t-elle. Il y a une volonté de nier les droits des Palestiniens, de sous-entendre qu’ils n’ont pas d’identité nationale. » Preuve en est, selon Mme Amiran, l’absence totale du mot même de « nakba », la « grande catastrophe », soit l’expulsion de centaines de milliers d’Arabes au moment de la création de l’Etat d’Israël en 1948.
Le prédécesseur de M. Bennett, Shai Piron, avait défendu l’idée d’un enseignement généralisé de la Nakba à tous les élèves. Il n’en est plus question. « Injecter du contenu anti-israélien dans le cursus serait autodestructeur et immoral, estime M. Bennett. Ce terme relève d’un récit erroné selon lequel les juifs sont arrivés dans un pays qui n’était pas le leur et en ont prétendument expulsé de force les habitants. En réalité, l’Etat juif est ici depuis environ 3 800 ans. »