"Beau discours, M. le Président, mais nous ne reconnaissons pas l’existence de Jérusalem-Est et de Jérusalem-Ouest. Nous reconnaissons uniquement que Jérusalem est une, indivisée, et que chaque partie en est sainte. Excusez-moi, M. le Président, mais ce qui arrive aux femmes d’Al-Aqsa et à la mosquée d’Al-Aqsa elle-même ne sera pas stoppé par des mesures pacifiques. Nous ne nous sommes pas soulevés pour être humiliés."
Le message de ce jeune âgé de 19 ans était clair : l’heure n’est plus aux discours. La Troisième Intifada, disait-il, a déjà commencé.
Halabi parle pour sa génération. Il est né un an après la signature à Taba du second Accord d’Oslo qui a installé une autorité autonome palestinienne intérimaire pour la Cisjordanie et Gaza. A l’âge de quatre ans, Halabi aurait dû connaître un accord de paix global dans lequel Israël aurait eu cédé le contrôle sur les territoires en échange de la paix. Quand Halabi a eu sept ans, Israël a commencé à construire le mur qui devait diviser la Cisjordanie en Bantoustans. Alors qu’il avait huit ans, Yasser Arafat est mort, débarrassant Israël d’un dirigeant palestinien qu’il décrivait comme un homme à "deux visages". Il a été remplacé par Mahmoud Abbas, dont le visage unique a été, et est, inexorablement opposé à la violence.
La génération de Halabi aurait dû connaître la paix. Elle aurait dû bénéficier des plans de Tony Blair et de Salam Fayyad pour revitaliser l’économie de la Cisjordanie. Au lieu de cela, ce qu’a connu cette génération ce sont 600.000 colons, la disparition progressive de la Jérusalem-Est palestinienne, une force de sécurité palestinienne dont le rôle était de stopper les manifestations contre les intrusions quotidiennes de Juifs israéliens, qui se disent touristes d’abord, sur l’esplanade d’Al-Aqsa. Au lieu d’un règlement final, la génération a vécu l’expérience d’un abandon final de tout espoir.
Ceci alors, plus que les chiffres des morts et des blessés, ou que le phénomène des attaques au poignard se produisant dans tout le pays, est ce qui fait de ceci une intifada - ce qui en arabe signifie "se débarrasser". Une nouvelle génération cherche à s’affranchir de son occupant. Une nouvelle génération a redécouvert la lutte de leurs parents. Ce qui arrivera dans les semaines, les mois ou même les années à venir deviendra leur lutte.
L’étincelle qui a déclenché ceci c’est Al-Aqsa, un symbole qui est attaqué pierre par pierre par la pluie acide de la politique sectaire à propos de Jérusalem. Malgré l’interdiction faite aux Juifs par le Grand Rabbinat d’entrer sur l’esplanade qu’il nomme Mont du Temple , le statu quo change à Al-Aqsa. Le Waqf, l’institution musulmane qui, sous contrôle la Jordanie, administre les lieux saints, ne recouvre plus les droits d’entrée et n’est pas en mesure d’interdire aux non-Musulmans de franchir la porte sous contrôle d’Israël.
"Tant que le Waqf continue à collaborer avec la police pour renforcer l’interdiction aux Juifs de la prière, il ne peut plus déterminer la taille des groupes juifs ou leur tarif d’entrée ; et il ne peut s’opposer à l’entrée de militants particuliers qu’il considère comme des provocateurs. Israël a parfois autorisés les Juifs à entrer par groupes de 10 à 30, et même 50, y compris en uniforme militaire, ce qui avait été auparavant interdit," a récemment rapporté l’International Crisis Group.
A partir de 2012, des députés, des ministres-adjoints et des ministres ont été filmés alors qu’ils faisaient état de la souveraineté israélienne sur l’ensemble du site.
Pour la génération de Halabi ceci n’est pas seulement une question religieuse. Al-Aqsa est un symbole d’identité nationale, le dernier symbole effectif d’une identité qui a été si complètement réduite à néant par l’état israélien. Il unifie à la fois les Palestiniens religieux et laïcs. Les premiers Palestiniens à attaquer les Juifs religieux sur Al-Aqsa étaient issus d’un groupe révolutionnaire laïc, le Front Populaire de Libération de la Palestine, (FPLP). Défendre Al-Aqsa de l’intrusion des Juifs nationaux-religieux est une question existentielle. Cela veut dire à tous les Palestiniens : "Si nous ne nous battons pas pour ceci, nous pouvons aussi bien abandonner."
Halabi n’a pas eu besoin d’incitation. Et il n’a pas attendu d’ordres du Fatah ou du Hamas. Il a pris sa propre décision comme des milliers d’autres le font sans tenir compte de savoir s’ils habitent en Cisjordanie, à Gaza ou en Israël.
La Première et la Seconde Intifadas ont toutes les deux pris les dirigeants palestiniens au dépourvu. La première a démarré quand un camion de l’armée israélienne est entré en collision avec deux fourgonnettes transportant des ouvriers palestiniens, tuant quatre d’entre eux. La seconde a été déclenchée par Ariel Sharon, alors dans l’opposition, faisant une apparition sur l’esplanade d’Al-Aqsa en compagnie d’un millier d’officiers de police israéliens et répétant la phrase qui avait été diffusée quand les troupes israéliennes se sont emparés de Jérusalem-Est dans la Guerre des Six Jours en 1967 : "Le Mont du Temple est entre nos mains." Mais en l’espace de quelques jours lors de chacune d’entre elles, les dirigeants en ont pris le contrôle et ont commencé à donner des ordres.
Jamal Zakout, qui a rédigé le "Communique No. 2" au nom de la Direction Nationale Unifiée de l’Intifada de 1987 nous en a rappelé l’objet : "elle considérait l’Intifada, sa direction, et sa base militante comme partie intégrante de l’OLP, et non comme un remplaçant de celle-ci." Aujourd’hui l’OLP, sous la direction d’Abbas, ne veut pas savoir, et pour cette raison même, lutte pour contrôler la situation.
Un récent sondage effectué par le sondeur et expert en sciences politiques Khalil Shikaki a révélé que 42 % des Palestiniens estimaient que seule une lutte armée mènerait à un état palestinien indépendant, et que 57 % ne croient plus qu’une solution à deux états soit possible. Les deux tiers désiraient qu’Abbas soit remplacé en tant que président.
La nouvelle génération prend ses propres décisions au mépris à la fois du Fatah et du Hamas. Si l’on résumait ceci en une image, ce serait celle d’une fille portant jeans et keffieh passant des cailloux à un garçon masqué portant un bandeau vert du Hamas. Les jeunes religieux et laïcs sont à l’unisson dans la protestation. Chaque jeune et tout jeune qui ramasse un couteau ou jette une pierre est leur propre leader.
Ceci entraîne des dangers particuliers pour Israël. Il peut avoir à s’occuper de groupes en arrêtant ou en assassinant leurs dirigeants ou en négociant éventuellement un cessez-le-feu. Il ne peut pas empêcher des individus de prendre leurs propres décisions désespérées. Il ne peut que les provoquer davantage en ayant recours à des démolitions de maison ou à d’autres mesures de punition collective.
Il y a d’autres facteurs particuliers concernant cette intifada. La Première et la Seconde Intifadas étaient menées à partir de la Cisjordanie et de Gaza. Les citoyens palestiniens d’Israël, qui y sont présents depuis 1948, ont participé aux manifestations au début de la Seconde Intifada, mais pour une courte durée. Depuis la Journée de la Terre en 1976 les Palestiniens de “48” n’ont pas été à l’avant-garde de la protestation populaire. Le 30 mars 1976, des milliers de Palestiniens de la région du triangle du Nord avaient manifesté pour protester contre l’expropriation de vastes étendues de terre faisant partie d’une politique ouvertement déclarée de "Judéisation" de cette zone.
Cependant aujourd’hui, aucun mur ou aucune barrière de séparation ne contient le soulèvement. Les attaques de la semaine dernière ont eu lieu dans des zones dont l’OLP n’a pas le contrôle – Jérusalem-est, Afula, Tel Aviv. Il y a d’autres facteurs. C’est la première intifada dans laquelle les Palestiniens ne recherchent pas l’intervention des états arabes voisins. Peut-être est un signe des temps ou un signe du chaos autour des propres frontières d’Israël.
Jusqu’ici, la réaction d’Israël réaction à l’intifada a été de perdre confiance dans le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu et de soutenir encore plus les dirigeants de droite. Le dernier sondage publié dimanche par le quotidien “Yediot Ahronot” a montré que 73 % sont mécontents du traitement des attaques récentes par Netanyahu. Quand il a été demandé qui était mieux qualifié pour s’en occuper, deux ultra-nationalistes, l’ancien Ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman et le Ministre de l’Education Naftali Bennett, sont arrivés premier et second. En tant que ministre des affaires étrangères, Lieberman avait chargé des juristes d’étudier des projets de soi-disant "transfert statique" de la population palestinienne du Nord d’Israël vers un état Palestinien.
Mais les Israéliens sont aussi encouragés à faire leur propre loi. Déjà société lourdement armée - en 2013 environ 160.000 permis de port d’arme à feu ont été délivrés à des citoyens privés, et 130.000 à des organisations - Israël est sur le point de le devenir davantage. A Jérusalem c’est à l’encouragement explicite du maire Nir Barkat, qui avec son garde du corps a neutralisé un Palestinien qui avait poignardé un Juif dans la rue. Par la suite Barkat a été vu avec un fusil d’assaut dans le quartier palestinien de Beit Hanina. Des groupes d’auto-défense sont déjà apparus qui font la chasse aux travailleurs palestiniens dans les rues de Jérusalem, organisant leur itinéraire vers des zones où des éboueurs palestiniens seraient employés.
Tous les ingrédients sont là d’une lutte longue et sanglante, dans laquelle d’innombrables innocents des deux côtés seront tués. Si vous voulez, Israël a découvert le secret qui a échappé à des générations de physiciens : le secret du mouvement perpétuel. Chaque fois que son organisme de sécurité se félicite d’être venu à bout d’une intifada, une autre arrive. Chaque fois la flamme est ravivée par l’expérience personnelle du désespoir, du découragement et de l’humiliation d’une autre génération.
Il n’y a qu’une voie pour sortir de ce cycle de conquête, de répression et de résistance. C’est pour les Israéliens juifs de se regarder dans le miroir et de se réconcilier – en tant qu’égaux – avec les gens du pays qu’ils partagent maintenant. Pour une raison et une raison seulement. Les Palestiniens sont ici pour rester, une génération après l’autre.
Traduit de l’anglais par Y. Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS