El-Haj Abu Mahmoud Queshta, cinquante-sept ans, se tient debout devant ce qui reste de sa maison. « Je ne sais pas pourquoi ils ont détruit la maison. Pourquoi ils nous ont fait vivre en plein air. » Il poursuit : « Nous vivions en sécurité et soudain le bulldozer est arrivé et a tout détruit. Les soldats d’occupation ne nous ont même pas permis de prendre nos affaires ni les meubles ». Encore une fois, il regarde le tas de ruines qu’est devenue sa maison : « Dans cette maison nous vivions à quatorze. Nous sommes tous devenus vagabonds, des sans-abri, des dépossédés. Désormais, nous vivons dans une des écoles gérées par l’UNRWA ».
La tragédie de El-Haj Queshta est un exemple parmi des dizaines d’autres à Rafah depuis l’opération israélienne de grande envergure que l’armée a intitulée l’opération « Arc-en-ciel ». Une « incursion » au cours de laquelle plus de 180 maisons ont été détruites en une semaine, ajoutées aux 1 870 maisons déjà démolies depuis le déclenchement de la deuxième Intifada dans cette ville où l’essentiel de la population est composée de réfugiés de 1948.
C’est par les médias que les habitants de Rafah ont appris la réalité des intentions de l’armée israélienne d’occupation : creuser un canal de 12 km de longueur, de 60 mètres de largeur et de 20 mètres de profondeur tout au long de la frontière qui sépare la bande de Gaza et l’Egypte. Côté palestinien, ce canal sera complété par un mur. Côté égyptien par une ligne de barbelés. Un no man’s land déjà baptisé « l’axe de Philadelphie » et qu’Israël prévoit de remplir d’eau de mer.
Israël justifie ce projet par sa volonté d’empêcher les Palestiniens de creuser des tunnels entre l’Egypte et le sud de la bande de Gaza pour prévenir le passage illégal d’armes et d’explosifs. Une fois ce canal creusé, il sera impossible de passer de part et d’autre, sauf en quelques rares points. Said Zurub, maire de Rafah : « Nous avons appris ce projet de "canal" par les médias israéliens. Jusqu’à maintenant nous n’avons rien d’officiel. Si ce projet est appliqué, plus de quatre mille maisons habitées devront être détruites, jetant à la rue quarante mille personnes ». Il poursuit : « Tout ça est illégitime, illégal et contraire aux lois internationales. Israël n’a pas le droit de faire quoi que soit sur notre terre ». Said Zurub ne confirme ni ne nie l’existence de contrebande. Tout simplement, explique-t-il, « Dans toutes les zones frontières de la planète ce phénomène existe. L’Egypte et l’Autorité nationale palestinienne le combattent. Mais quelle qu’en soit la réalité, quelles qu’en soient les raisons, elles ne justifient pas que l’on détruise des maisons et expulse ses habitants ».
Nasser Elhanafi, membre du comité central populaire d’urgence qui a récemment été constitué à Rafah pour affronter l’agression israélienne, dit que le plan israélien est une nouvelle catastrophe, une nouvelle Nakba pour le peuple palestinien. Il dit qu’Israël tente de vider les camps de réfugiés de ses habitants, pratiquant en ce sens une épuration ethnique. Il ajoute que les réfugiés n’accepteront pas ce plan et qu’ils feront tout leur possible pour le combattre.
A Rafah, les habitants évoquent un autre désastre : les effets écologiques dangereux sur leur terre de ce plan. Ashraf Ghneim, directeur du service d’eau et de drainage sanitaire à la mairie de Rafah, dit que le creusement de ce canal va contribuer à la destruction de nouvelles terres situées tout au long des frontières et à l’augmentation du taux de salinité de l’eau de Rafah qui est déjà élevé.
Aujourd’hui, le PARC (le Comité palestinien de secours agricole) s’inquiète des effets attendus de la destruction de terres agricoles et de la pollution des réservoirs souterrains qui ne pourront qu’avoir des conséquences désastreuses sur le développement dans la région. Samir Zaqut, un chercheur employé au Centre Almizan pour les droits humains dit que ce canal va créer une nouvelle catastrophe humanitaire. « Elle ne représente pas seulement une violation du droit au logement mais aussi une violation des droits à l’éducation, à la santé et au travail ». Il poursuit : « Tout est illégal. Toutes les lois et les conventions internationales s’opposent à la spoliation de la terre des autres. Tout ce que fait l’occupation israélienne est illégitime : la colonisation et tout changement dans les territoires occupés sont illégaux. La démolition des maisons et toute destruction de biens des Palestiniens sont autant de crimes de guerre selon la Quatrième convention de Genève. »
Le retrait des forces d’occupation de la ville ne suffit pas aujourd’hui à rassurer les habitants. Plusieurs informations confirment que l’armée va poursuivre ses projets. Et les propos de Tomy Lapid, ministre de la Justice israélien, qui affirme que le plan à l’étude va détruire deux mille des maisons de Rafah, le confirment. Selon Said Zurub, la dernière agression israélienne sur Rafah a fait des dommages estimés à vingt millions de dollars, mentionnant que cette agression a entièrement détruit la partie sud de la ville. Depuis quelques jours Rafah est sortie d’une nouvelle agression et ses habitants se préparent pour la prochaine. Et entre la première et la prochaine, les citoyens continuent à rêver d’une vie stable, calme, très loin des bulldozers et des balles de l’occupation.