J’ai rencontré Marwan Barghouti au début des années 90, pendant la première Intifada. Il était évident que j’avais affaire à un leader. Il était alors un de ces jeunes du Fatah qui ne faisait pas qu’organiser le soulèvement mais aussi qui façonnait l’opinion publique palestinienne pour la mener jusqu’au processus de paix.
Au milieu des années 90, il dirigeait un groupe de sympathisants du Fatah qui participait aux réunions de fin de semaine que j’organisais en tant que fondateur et co-directeur de l’IPCRI - IPCRI-Israel Palestine Center for Research and Information - qui avaient lieu en Turquie, avec des dirigeants israéliens, au début pratiquement tous issus du Parti travailliste rejoints à partir de 1996 par des membres du Likoud.
Je me souviens particulièrement bien de la première rencontre après la victoire de Nétanyhou en 1996, à Ramallah, entre le Tanzim dirigé par Barghouti, Gideon Ezra, ancien directeur général du Shin Beth, et un nouvel élu à la Knesset. Dans la soirée, nous avons guidé le groupe des députés du Likoud dans Ramallah, tous avait accepté de participer à ce que Gideon Ezra présentait comme une occasion à ne pas manquer. En arrivant dans un ensemble d’immeubles modernes où se trouvaient les locaux du Tanzim, Ezra a fait remarquer qu’« ils avaient passé des années à chercher ce bureau sans jamais le trouver. »
Nous avons alors discuté, profondément, pendant plus de 200 heures, de tous les aspects du processus de paix. Nous avons conservé les transcriptions de ces réunions. Certains discussions furent très dures, certains débats très bruyants mais généralement nous trouvions des accords ou au moins, une base pour continuer à chercher ensemble des solutions convenables qui pourraient satisfaire les besoins, les intérêts et les aspirations du plus grand nombre de personnes assises autour de la table.
Les Israéliens étaient partciulièrement impressionnés par les positions de principe de Marwan Barghouti et par son sens de l’intégrité. Il y avait de sa part un engagement et un désir sincère de faire la paix avec Israël, mais pas à tout prix. Il avançait ses demandes sur la fin de l’occupation, le partage de Jérusalem, la question des réfugiés et la sécurité de son peuple. Il était tout sauf un collabo.
Quand la seconde Intifada a éclaté et qu’il fut établi que le Tanzim et Marwan étaient parmi ses instigateurs, j’ai pris contact avec lui alors qu’il s’était lancé dans la résistance pour essayer de comprendre si ses positions sur la paix entre les deux peuples avaient changé. Je lui ai demandé si je pourrais publier les textes où on pouvait lire ce qu’il avait dit pendant nos réunions de travail.
Il m’a répondu que ses positions n’avaient pas changé mais qu’Israël refusait de poursuivre sur le chemin du processus de paix en recourant à un usage massif de la force, en utilisant des balles réelles et qu’il ne pouvait donc pas rester assis là comme si rien n’avait changé. Il ne m’a pas donné la permission de publier nos échanges. C’était avant que le Fatah lance des attaques à l’intérieur de la Ligne Verte. Marwan m’a dit que si Israël pénétrait dans les villes palestiniennes et attaquait les zones contrôlées par Ramallah, le Fatah estimerait légitime de s’attaquer à Israël dans ses frontières et pas seulement en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza.
Je lui ai dit que ce serait une grave erreur pas seulement parce que, comme il l’avait bien compris, il n’existait pas de solution militaire, mais aussi parce que le message qui serait alors envoyé ne porterait pas sur l’occupation des territoires de 67 mais sur l’existence même d’Israël. Il a rétorqué que la décision qui serait prise dépendrait de ce qu’Israël ferait.
Marwan Barghouti a été arrêté en 2002. Il a été jugé, condamné cinq fois à la prison à vie et à 40 ans de détention. Il a refusé de reconnaître la légitimité du tribunal. Il n’avait pas de défense. Dans une longue déclaration qu’il a lu avant l’énoncé du verdict, il a accusé l’Etat d’Israël de crimes de guerre contre le peuple palestinien pour avoir échoué à appliquer ses engagements dans le processus de paix, notamment ne pas s’être retiré des territoires occupés et de continuer à construire des colonies illégales. Il a rappelé qu’il était un élu du peuple et qu’il n’avait tué personne.
En 2005, après la mort de Yasser Arafat, l’Autorité palestinienne a organisé des élections présidentielles. Marwan Barghouti a exprimé son intention de se présenter, de sa prison. Il était alors déjà baptisé le Mandela palestinien.
Je lui ai écrit une lettre publiée le 13 décembre 2004 dans le New York Times :
Je t’écris de ma propre initiative pour te demander de reconsidérer ta candidature. Je n’ai aucun doute sur le fait que ton tour viendra ; mais ce n’est pas le bon moment maintenant. J’imagine que c’est très difficile d’être derrière des barreaux même si je ne peux pas imaginer à quoi ressemble le quotidien en prison. Je sais combien tu dois être impatient d’être libéré, de retourner chez toi, de retrouver ta famille et de mener le peuple palestinien à la paix ... Tu ne seras pas oublié, ton temps arrivera ... Oui il est possible que tu puisses gagner les élections maintenant - c’est ce que montrent les derniers sondages. Mais qu’arriverait-il si tu gagnais ? La région se dirigerait-elle vers un processus de paix qui apporterait de vraies avancées politiques pour les Palestiniens ? Profiterons-nous d’une période de calme, de stabilité et de croissance économique ? Ou retomberait-on dans l’extrême violence, la destruction et la perte d’encore plus d’innocents palestiniens et israéliens ? Je crois plutôt en ce dernier scénario.
La jeune génération ne connaît pas Marwan, les dirigeants actuels d’Israël non plus, ils n’ont pas participé aux réunions d’avant la seconde Intifada.
Nelson Mandela n’était pas connu de la jeune génération avant la fin de l’apartheid.
Le lien entre Mandela et Barghouti, outre celui d’avoir été enfermé pendant des années et accusés de terrorisme, est que ces deux hommes étaient et sont perçus comme capables de rassembler dans un contexte politique marqué par la division.
L’ancien président sud-africian F.W. de Klerk fut assez sage pour comprendre ce que Mandela représentait pour son peuple et engagea des discussions de paix avec lui qui était encore en prison.
Barghouti est derrière les barreaux depuis 17 ans. Pendant les premières années, des dirigeants israéliens l’ont rencontré, dont l’ancien ministre de la Défense Ben-Eliezer et l’ancien MK Haim Oron. Ils soutenaient tous les deux l’idée de libérer Barghouti pour pouvoir négocier avec lui.
Je peux imaginer un scénario dans lequel Benny Gantz Premier ministre engagerait des discussions avec Barghouti emprisonné. C’est tellement dommage que de telles discussions n’aient jamais eu lieu jusqu’à maintenant. Barghouti sera probablement candidat aux prochaines élections présidentielles quand elles auront lieu. Cela pourrait arriver dans un avenir pas si lointain, vu l’âge et l’état de santé de Mahmoud Abbas. Les sondages indiquent une victoire claire et nette de Barghouti s’il décidait de se présenter, et si on l’y autorisait.
Si cela arrive, Israël subira une pression extrême sur la scène internationale pour reconnaître la volonté du peuple palestinien à prendre sa propre décision au cours d’élections démocratiques.
Barghouti est un leader palestinien patriotique, il soutient la paix avec Israël et reconnaît l’existence d’Israël. Il serait sage de commencer à collaborer avec lui en prison en tant que leader légitime de son peuple.
Nous, Palestiniens et Israéliens, avons besoin d’un Mandela et d’un de Klerk.
*Gershon Baskin est le fondateur du Centre de recherche et d’information IPCRI, dédié à la résolution du conflit israélo-palestinien sur la base d’une solution « deux États pour deux peuples ».
Traduction de l’anglais par l’AFPS