Nétanyahou va bientôt battre le record de longévité à la tête du gouvernement israélien, record de 13 ans et 4 mois, jusqu’alors détenu par David Ben Gourion. Mais il a d’ores et déjà surpassé le père-fondateur d’Israël par le nombre de portefeuilles cumulés avec la direction du gouvernement. Là où le Premier ministre Ben Gourion a pu être son propre ministre de la Défense pendant plus de onze ans, Nétanyahou cumule aujourd’hui, outre la Défense et les Affaires étrangères, les portefeuilles de la Santé et des Affaires religieuses. Cette situation sans précédent est lié à un exercice très personnalisé du pouvoir, dans la perspective des élections anticipées du 9 avril.
DES GOUVERNEMENTS DE COMBAT
Nétanyahou a longuement médité les leçons de son premier passage à la tête du gouvernement, de juin 1996 à mai 1999. Lorsqu’il revient au pouvoir, à la faveur des législatives de février 2009, il est bien décidé à ne plus en être aussi facilement délogé, et surtout à ne plus laisser les rivalités des uns et les intrigues des autres parasiter son ambition personnelle. Le défi est de taille sur une scène politique éclatée qui n’offre que des majorités de coalition à la Knesset, tandis que les médias nourrissent en continu une fièvre de « confidences », de fuites et de révélations. Nétanyahou accorde un soin tout particulier à la « gestion » d’Avigdor Lieberman, qui fut longtemps son bras droit à la tête du Likoud, avant de fonder le parti russophone Israel Beytenou (Israël, notre maison). Lieberman est récompensé de ses 15 sièges (sur 120) aux législatives de 2009 par le portefeuille des Affaires étrangères, portefeuille que Nétanyahou assume durant l’année d’enquête pour corruption dont Lieberman sort blanchi en novembre 2013.
Depuis les législatives de mars 2015, où Israel Beytenou a chuté à 6 sièges, Nétanyahou est son propre ministre des Affaires étrangères. Il connaît bien cette administration où il a servi comme conseiller politique à Washington, en 1982-84, puis comme ambassadeur auprès des Nations Unies, en 1984-88, enfin comme vice-ministre des Affaires étrangères, en 1988-92. Le Premier ministre veut surtout associer sa personne aux indéniables avancées diplomatiques enregistrées par Israël ces dernières années : consolidation de la coopération avec l’Inde, ainsi que, dans une moindre mesure, la Chine ; percée en Europe centrale et orientale, de même que sur le continent africain ; relation personnelle très forte avec Poutine ; et naturellement lune de miel avec Trump qui endosse sans réserve le discours de Nétanyahou et déplace l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Lieberman, recasé à la Défense, en mai 2016, malgré les protestations de la hiérarchie militaire, démissionne en novembre dernier, sans parvenir à entraîner la chute du cabinet Nétanyahou, où celui-ci devient son propre ministre de la Défense.
LES ELECTIONS ANTICIPEES DU 9 AVRIL
Le Premier ministre ne disposait plus à la Knesset que d’une majorité étriquée de 61 députés sur 120, une Knesset désormais dissoute jusqu’à son renouvellement en avril prochain. Là où d’autres auraient distribué les portefeuilles pour élargir leur assise, Nétanyahou a au contraire resserré son contrôle. Il est vrai que la police a déjà recommandé son inculpation pour fraude, corruption et abus de pouvoir dans trois affaires différentes, la décision de la mise en examen revenant désormais au Procureur général Mandelblit (qui fut un des plus proches collaborateurs de Nétanyahou durant trois ans au Premier ministère). Nétanyahou est obsédé par le sort d’Ehud Olmert, son prédécesseur à la tête du gouvernement, mis en examen peu après sa défaite électorale de 2009, avant de purger une peine de 18 mois de prison pour corruption. Nétanyahou entend bien jouir de l’immunité du pouvoir le plus longtemps possible et ses relais politiques ont fait savoir que, même inculpé, le Premier ministre demeurerait en fonctions.
Nétanyahou le pugnace s’est totalement investi dans la campagne électorale et il ne se défaussera plus d’aucune petite ou grande carte politique. Il a déjà récupéré les portefeuilles de la Santé et des Affaires religieuses de chacun de ses deux alliés ultra-orthodoxes. Il a hésité à s’approprier également l’Immigration, un ministère tout autant source de clientélisme que les deux précédents, avant de confier ce portefeuille, et seulement par intérim, à un de ses fidèles, le ministre Likoud du Tourisme. Car Nétanyahou est déterminé à faire du prochain scrutin un véritable référendum sur sa personne. Il a veillé à ce qu’aucune forte personnalité n’émerge au sein de son parti. Et il a joué de la dissidence de Lieberman pour neutraliser ses autres partenaires de gouvernement. Homme-orchestre de son propre cabinet, Nétanyahou incarne plus que jamais toutes les dérives de son rapport au pouvoir : dégradation du débat public, personnalisation à l’extrême des postures, banalisation de l’affairisme et du népotisme…
Nétanyahou est à l’évidence devenu le ministre préféré de Nétanyahou. Son éventuelle reconduction à la tête du gouvernement ne pourrait qu’aggraver de telles tendances à la concentration des pouvoirs, déjà préoccupantes pour la démocratie israélienne.