Un tournant historique ? A l’aune des vingt-trois années d’échecs successifs du « processus de paix », mieux vaut se garder des formules ressassées et des soi-disant dates-butoirs, lesquelles n’ont apporté aux deux peuples que des espoirs en miettes. Mais, le 29 avril, Israéliens et Palestiniens parviendront au bout d’une logique. Celle des neuf mois de négociations qui avaient été impartis, fin juillet 2013, pour parvenir à un « accord-cadre » susceptible de favoriser la création d’un Etat palestinien et d’apporter une solution aux questions dites du « statut final » de leurs relations de coexistence : frontières, colonies, réfugiés, statut de Jérusalem, sécurité.
Plus de sept mois se sont écoulés, et tout porte à croire que les efforts déployés par le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, ont engendré une maigre moisson. L’ancien sénateur du Massachusetts n’est pas en cause, encore qu’il se soit illusionné en croyant que son opiniâtreté aurait raison d’une défiance réciproque enracinée par des décennies d’hostilités.
Son échec serait aussi celui du président Barack Obama, lequel, de l’Afghanistan à l’Irak, de la Syrie à l’Ukraine, ne collectionne pas les succès de politique étrangère. C’est pour cela que le chef de l’exécutif américain, jusque-là très discret sur ce dossier, s’implique aujourd’hui fortement, pour tenter de faire tomber quelques-unes des défenses de Benyamin Nétanyahou et Mahmoud Abbas.
En recevant le premier, le 3 mars à la Maison Blanche, M. Obama a dénoncé une politique de construction dans les colonies « plus agressive » que jamais. Nul doute qu’il aura des propos aussi fermes pour obtenir des concessions du second, qu’il accueillera le 17 mars. Mais la diplomatie américaine a désormais des ambitions limitées : elle tente d’obtenir du premier ministre israélien et du président de l’Autorité palestinienne un socle minimum de points de rapprochement pour convaincre les Palestiniens d’accepter une prolongation des négociations, au moins jusqu’à la fin de l’année.
M. Nétanyahou, dont la priorité est de faire perdurer l’impression qu’il recherche un accord de paix, n’y verrait que des avantages. Négocier, c’est gagner du temps. Sur quoi ? Dès lors que la solution à deux Etats est minée par une politique de colonisation systématique, bien malin qui peut dessiner la vision à long terme d’Israël de M. Nétanyahou. M. Abbas, qui est enclin à refuser toute prolongation de négociations apparemment stériles, est dans une position plus inconfortable. S’il persiste, il portera de facto la responsabilité d’avoir fait dérailler le processus de paix. Accusation injuste, eu égard à l’intransigeance de M. Nétanyahou ? Peu importe : la propagande israélienne est déjà à la manœuvre pour accréditer cette thèse.
M. Abbas devant un choix historique
Mahmoud Abbas n’ignore pas que la phase qui suivrait un constat d’échec est lourde d’incertitudes : demander à la communauté internationale de prendre ses responsabilités, s’efforcer d’obtenir l’adhésion de la Palestine aux agences des Nations unies, voire faire traduire des responsables israéliens devant la Cour pénale internationale, est une démarche aléatoire : la Palestine est devenue Etat observateur non membre de l’ONU en novembre 2012, mais ce fut une victoire éphémère.
In fine, l’Etat palestinien ne peut naître que d’une négociation de ses frontières avec Israël. Or, M. Nétanyahou sait qu’il dispose à Washington d’une oreille attentive s’agissant du préalable auquel il conditionne tout accord : les Palestiniens doivent reconnaître Israël comme « Etat-nation du peuple juif ». S’il s’agissait de rassurer le sentiment d’insécurité congénital d’Israël, la revendication pourrait être légitime.
Mais comme celle-ci n’a jamais été formulée en plus de vingt ans de négociations et n’a pas été exigée de l’Egypte et de la Jordanie pour signer un accord de paix avec Israël, les Palestiniens – qui ont reconnu « le droit d’Israël d’exister dans la paix et la sécurité » le 9 septembre 1993 – ont quelque raison de soupçonner un prétexte pour justifier un état de négociation permanent. Ils fondent leur refus – qui a reçu le soutien de la Ligue arabe le 9 mars – sur des raisons de principe. Accéder à la demande de M. Nétanyahou sous-entendrait un renoncement au « droit au retour » des réfugiés, à tout le narratif de la présence des Palestiniens dans la Palestine historique, c’est-à-dire à leur expulsion en 1948 pendant la « nakba » (la « catastrophe »). Or, celle-ci est tout aussi constitutive de la nation palestinienne que l’a été le rêve sioniste pour la nation israélienne.
Un tel aggiornamento saperait surtout les droits culturels, religieux et peut-être politiques des 20,5 % d’Arabes qui ont la nationalité israélienne. 575 000 colons juifs résident aujourd’hui dans les territoires palestiniens occupés, où, forts du soutien de M. Nétanyahou, leur présence s’enracine : le nombre des nouvelles unités de construction a plus que doublé en 2013. C’est pour cela que M. Abbas est confronté à un choix véritablement historique : claquer la porte des négociations, c’est risquer d’être désigné comme le leader palestinien qui aura tourné le dos à la paix ; accepter leur prolongation, c’est entériner indirectement la poursuite de la colonisation, qui n’est rien d’autre que la mort lente du rêve palestinien…
Correspondant à Jérusalem