La ministre de la justice israélienne, Ayelet Shaked, a proposé un texte de « transparence » qui prévoit que les ONG israéliennes recevant plus de la moitié de leur financement de gouvernements étrangers devront le mentionner systématiquement dans leurs rapports officiels. L’apparente « transparence » dont elle se prévaut pourrait dissimuler le caractère fondamentalement discriminatoire de cette loi, susceptible de nuire aux efforts pour un accord de paix entre les parties au conflit israélo-palestinien.
Voici une lettre adressée aux députés israéliens, afin de rejeter, à l’image de 50 de nos collègues européens, ce projet de loi du gouvernement israélien :
Chers membres de la Knesset,
En tant que députés français attachés, comme vous, à la démocratie, aux droits de l’homme et à la liberté d’expression, nous nous adressons à vous aujourd’hui pour vous faire part de nos inquiétudes quant à la proposition de loi concernant le financement des organisations non-gouvernementales israéliennes, dite « NGO Bill. »
Ce projet de loi vise à exiger des organisations financées à plus de 50% par des entités gouvernementales étrangères qu’elle mentionne ce financement dans toutes leurs publications, prises de parole et échanges avec des élus et agents publics israéliens.
Nous sommes favorables à la transparence du débat public, condition d’une démocratie saine. Cependant, nous sommes inquiets du caractère fondamentalement discriminatoire de cette mesure, qui semble avant tout viser à délégitimer – voire diaboliser – les organisations promouvant les droits de l’Homme et les Etats et institutions européennes qui les soutiennent.
Les organisations visées par cette loi publient déjà leurs sources de financement, au contraire de certaines organisations extrémistes qui sont financées par des entités privées israéliennes et étrangères, le gouvernement israélien et des collectivités locales. Ces organisations sont particulièrement opaques et ne seront pas concernées par cette loi.
Ce projet de loi s’inscrit dans un contexte préoccupant qui voit l’actuel gouvernement israélien faire d’importants efforts pour restreindre et délégitimer le travail des ONG, des artistes, des écrivains et des intellectuels qui se montrent critiques à l’égard de sa politique.
La récente campagne nationaliste de l’organisation Im Tirzu, présentant les militants et travailleurs des droits de l’Homme comme des « espions » et des « traîtres » illustre ce climat délétère. Le projet « Loyauté dans la Culture » du Ministère de la Culture, en est une autre illustration, qui vise à couper tout financement public pour les artistes qui expriment des critiques contre la politique de l’Etat israélien.
Les actes qui entravent l’action de la société civile affaiblissent, plus qu’elles ne renforcent, Israël et mettent à mal les conditions d’une solution politiques au conflit avec les Palestiniens. Ces organisations et artistes ne sont pas des « agents étrangers », mais représentent des voix légitimes et prouvent qu’Israël conserve et protège ses bases démocratiques solides.
L’occupation des territoires palestiniens, le processus de paix et la défense des droits de l’Homme ne sont pas seulement des affaires domestiques israéliennes. Toute la région, et même le monde entier, s’y intéressent à juste titre. L’Union européenne et la France ont transféré des milliards d’euros tant vers Israël que vers l’autorité palestinienne. L’économie et les universités israéliennes bénéficient de financements européens et d’un accord d’association avec l’UE, qui permet aux entreprises israéliennes d’accéder au marché européen. L’UE finance également l’autorité palestinienne – à défaut, l’administration des territoires palestiniens serait impossible.
Le financement européen d’organisations œuvrant en faveur de la paix et des droits de l’Homme n’est donc pas « anti-israélien » mais au contraire incarne notre communauté de valeurs, qui fonde et justifie l’ensemble de notre coopération économique et financière.
Aussi, nous appelons le gouvernement israélien et les membres de la Knesset à ne pas prendre de mesures législatives ou soutenir des campagnes visant à stigmatiser ou réduire au silence la société civile. Au contraire : cultivez et stimulez, chers collègues, les conditions d’un débat public stimulant, avec des voix indépendantes qui promeuvent la diversité, la fraternité et la paix.
Pouria Amirshahi, Député des Français de l’étranger
Alexis Bachelay, Député des Hauts-de-Seine
Fanélie Carrey-Conte, Députée de Paris
Barbara Romagnan, Députée du Doubs
Catherine Troallic, Députée de Seine-Maritime