Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+
Donald Trump m’a craché au visage.
Pas seulement à moi, mais à au moins la moitié de la population israélienne.
Il a nommé un avocat spécialisé en faillites du nom de David Friedman au poste d’ambassadeur des États-Unis en Israël.
On dirait une mauvaise blague. Mais c’est la brutale réalité. Elle crée un précédent inconnu dans les annales de la diplomatie internationale.
TOUT D’ABORD il n’est pas bon de nommer un ambassadeur dans un pays avec lequel il a de profondes attaches personnelles. Vous n’envoyez pas un cubano-américain anti-Castro comme ambassadeur des États-Unis à la Havane. Vous n’envoyez pas un Chinois du Kuomintang de Taïwan comme ambassadeur des États-Unis à Pékin.
Certes, ce n’est pas la première fois qu’un Juif américain est nommé ambassadeur en Israël. Il y a deux ou trois personnes, qui auraient aussi bien pu être ambassadeurs israéliens à Washington. Mais ils avaient des opinions bien moins arrêtées que ce spécimen.
Un ambassadeur est comme les yeux et les oreilles de sa patrie dans un État étranger. L’une de ses tâches est de fournir à ses supérieurs du ministère des Affaires étrangères des informations fiables, objectives sur lesquelles fonder
sa politique. L’ambassadeur idéal est un observateur dépassionné, sans aucun sentiment fort à l’égard de son pays de mission, ni en positif ni en négatif.
Cette description d’un diplomate est l’exact contraire de ce personnage particulier.
Il aurait été de loin plus logique de nommer David Friedman ambassadeur israélien aux États-Unis. Malheureusement ce poste est déjà occupé – par un autre Juif américain. La rumeur voudrait que celui-ci ait été nommé par Nétanyahou à la demande de Sheldon Adelson, un magnat de casino juif qui place son argent selon son goût – à l’extrême, extrême, extrême droite.
Mais même cette personne est de gauche comparée à David Friedman.
Le nom, naturellement, fait rire en lui-même. Friede signifie paix en allemand, mais ce David est le contraire d’un homme de paix. Le David biblique était d’ailleurs un homme de guerre d’un bout à l’autre, et c’est pour cette raison que Dieu décida que ce serait seulement son fils, Salomon, qui construirait le premier temple.
ALORS QUI est cet homme de paix ? Depuis que la nouvelle de sa prochaine nomination est connue, internet est rempli de citations de ses déclarations. Toutes plus incroyables les unes que les autres.
Une chose en ressort même en première lecture : quand ce futur ambassadeur des États-Unis dit “nous”, il veut dire “nous Israéliens”, “nous les véritables israéliens”, “nous patriotes israéliens”. Le territoire du Grand Israël, de la Méditerranée au Jourdain (au moins) est “notre pays”.
Friedman ne s’identifie pas à tous les Israéliens. Il semble penser que la plupart d’entre nous sommes aveugles, imbéciles, défaitistes, ou pires – traîtres. Cela établirait un record du monde : la plupart des Israéliens, semble-t-il, sont des traîtres.
Alors à qui Friedman s’identifie-t-il en réalité ? Un échantillon représentatif de ses déclarations clarifie très bien les choses : il se considère appartenir à environ 5% de la population israélienne : les colons et l’extrême droite.
VOICI quelques unes de ses opinions remarquables :
• Les citoyens arabes d’Israël, quelque 21% de la population, devraient être déchus de leur nationalité. Ce serait un peu comme déchoir tous les afro-américains de leur nationalité des États-Unis.
• Il n’existe pas de “solution à deux États”. Le simple fait d’évoquer une telle possibilité frise la trahison. (Comme j’ai été accusé d’avoir été le premier à préconiser cette solution en 1949, cela fait plus de crachats à essuyer de mon visage.)
• On ne doit autoriser l’expulsion d’aucun colon de son “foyer”, même si ce “foyer”se situe sur la propriété privée de fermiers palestiniens.
• Dans le Grand Israël, de la mer au Jourdain, les Juifs constituent une majorité de 65%. C’est un mensonge éhonté : dans ce territoire, avec la Bande de Gaza, les Arabes constituent déjà la majorité.
• Le futur Président Trump devrait être encouragé à licencier tous les membres du ministère des Affaires étrangères qui plaident pour la solution à deux États.
• Les Palestiniens sont corrompus.
• Le Président Barack Obama est un “antisémite manifeste”.
• Bashar al-Assad et Benjamin Nétanyahou devraient être amis. En y incluant Vladimir Poutine – charmant trio vraiment.
• Il nous faut une guerre mondiale contre l’antisémitisme islamique.
• Les Juifs américains et israéliens qui soutiennent le camp de la paix israélien sont pires que des Kapos. (les Kapo, abréviation de Kamp-Polizei, ou “police du camp”, étaient des détenus recrutés par les nazis pour faire régner l’ordre dans les camps de la mort, jusqu’à ce qu’on les mette à mort à leur tour.) Cela s’applique spécifiquement à l’organisation “J Street” modérée et inoffensive.
Cela, bien sûr, s’applique aussi à moi.
SI VOUS étiez tenté d’éclater de rire à quelques unes de ces définitions, ne le faites pas. Cela n’a rien de risible.
David Friedman est une personne à prendre au sérieux. C’est un avocat célèbre en matière de faillites. Mais on ne l’envoie pas ici pour s’occuper de la faillite du régime de Nétanyahou. Au contraire, il est envoyé pour faciliter l’installation d’un gouvernement d’Israël dans lequel Nétanyahou représenterait l’extrême gauche. Et ce n’est même pas une exagération.
Depuis 1967 le camp de la paix israélien prie pour que les États-Unis sauvent Israël de lui-même. Chaque nouveau président a été accueilli avec de grands espoirs. Voici l’homme qui obligera le gouvernement d’Israël à renoncer aux territoires palestiniens et à faire la paix avec les Palestiniens et avec l’ensemble du monde arabe.
Le Président Obama ne fut que le dernier de la série. Intelligent, sympathique, orateur enthousiasmant, plein de belles intentions. Mais les résultats, en ce qui nous concerne, furent nuls. Pourtant aujourd’hui nous aurions voulu qu’il ait un troisième mandat.
Cette approche m’a toujours laissé sceptique. Pourquoi un président des États-Unis prendrait-il le risque de sauver Israël de lui-même, alors que les Israéliens eux-mêmes sont trop paresseux ou trop lâches pour s’y atteler ?
(J’ai déjà écrit récemment qu’un jour, à une conférence internationale, j’avais accusé l’homme d’État espagnol et européen Miguel Moratinos de ne l’avoir pas fait. Il a répondu en colère que ce n’était pas son devoir de nous sauver, que c’était notre devoir de nous sauver nous-mêmes. Je ne pouvais qu’être d’accord au fond de moi.)
J’ai aussi renoncé depuis longtemps à l’espoir de voir l’administration américaine nous aider à conclure une paix historique avec le peuple palestinien et à échanger les territoires occupés contre la paix. Nous devrons faire cela nous-mêmes. Il n’y a pas d’autre solution. L’alternative qualifiée de “solution à un seul État” est une promesse de guerre civile pour les générations à venir.
Quiconque n’est pas aveuglé par l’ultra-nationalisme et/ou une ferveur messianique doit sûrement le voir. C’est tellement simple.
LA CONQUËTE de ce qui restait des territoires palestiniens en 1967 a plongé Israël dans un délire qui nous empêche encore aujourd’hui d’écouter la voix de la raison. Les États-Unis, pour des raisons qui leur appartiennent, ont encouragé Israël à poursuivre dans cette voie.
Le président-élu Trump est prêt à pousser Israël en avant de toutes ses forces – en avant vers sa catastrophe finale.
Il y a quelque 2000 ans un rebelle juif du nom de Bar-Kokhba (“Fils des étoiles”) se leva contre la toute puissante Rome. Enivré par quelques victoires initiales, il cria à Dieu : “Ne nous aide pas, mais au moins n’aide pas nos ennemis !” Dieu ne l’a pas écouté et la rébellion fut écrasée par les Romains. La population juive de Palestine ne s’en est jamais remise, jusqu’à l’époque récente.
Je voudrais crier à Donad Trump : “Si tu ne nous aides pas à obtenir la paix, au moins ne nous envoie pas ce briseur de paix juré.”