Le comité du patrimoine mondial de l’Unesco a approuvé mercredi une résolution sur les lieux saints de Jérusalem qui n’évoque que leur caractère musulman, sans référence au judaïsme. Le 13 octobre, déjà, le comité exécutif de l’Unesco avait adopté un texte comparable – avec l’abstention de la France. Ces résolutions suscitent une vive polémique en Israël et dans la communauté juive.
Historien spécialiste de Jérusalem, Vincent Lemire enseigne à l’Université Paris-Est Marne-La Vallée et il est chercheur associé au Centre de recherches français de Jérusalem (CRFJ). Il vient de publier, sous sa direction « Jérusalem - Histoire d’une ville monde » (Champs/Flammarion), après un « Jérusalem 1900 (points Histoire).
Comment réagissez-vous aux polémiques suscitées par les résolutions de l’Unesco sur les lieux saints de Jérusalem ?
En fait, ce sont des textes assez banals, régulièrement votés depuis 1967. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la réaction du gouvernement israélien qui en fait désormais un sujet de polémique, dans une stratégie politique apparemment gagnante au vu des réactions que cette affaire suscite. Auparavant, il faisait la sourde oreille et ne communiquait pas sur ce sujet.
D’où vient cette querelle ?
Depuis 1967, le « groupe de Khartoum » qui réunit plusieurs pays arabes - dont l’Algérie ou le Maroc - entend protéger les lieux saints musulmans dans les territoires occupés par Israël. Ils font voter régulièrement des textes dans ce sens par les organisations internationales comme l’Unesco. Dans ces résolutions il n’y a pas de déni explicite du lien entre le judaïsme et Jérusalem - mais un déni implicite : effectivement ce lien n’est pas explicitement mentionné. C’est un peu comme si on reprochait à Benyamin Netanyahou de ne pas parler des liens entre Jérusalem et l’Islam… en soi cela n’a rien d’étonnant, chacun son business, en quelque sorte ! Sur le plan juridique, celui du droit international, Jérusalem Est et la Vieille Ville (où sont les Lieux Saints - ndlr) sont des territoires occupés, même si l’État d’Israël a annexé cette partie de la ville. L’Unesco est donc fondé à dénoncer l’occupation militaire et les risques qu’elle fait courir à ces sites.
Qu’en est-il d’un point de vue historique ?
Il faut remonter à ce qu’il faut appeler le "compromis de 1967". Lorsque l’armée israélienne est entrée à Jérusalem Est et dans la Vieille Ville (qui étaient alors en Jordanie - ndlr), le gouvernement a décidé de laisser aux musulmans l’Esplanade des Mosquées, sur laquelle se trouve le Dôme du Rocher, le plus ancien lieu saint de l’Islam. Des dirigeants israéliens comme Moshe Dayan ou le Premier ministre Levi Eshkol ont fait immédiatement retirer le drapeau israélien de ce site. En contrepartie, quelques jours plus tard, les maisons arabes du Quartier des Maghrébins ont été rasées et les habitants, de l’ordre d’un millier, évacués en deux heures, pour créer ce qui est aujourd’hui l’esplanade devant le mur des Lamentations - le lieu saint du judaïsme. Ce compromis politique sur la séparation des lieux saints était soutenu par le Grand Rabbinat, qui déconseillait aux juifs religieux de se rendre sur l’Esplanade des mosquées.
Ce compromis est-il aujourd’hui remis en cause ?
Il y a effectivement une remise en tension de ces lieux saints depuis quelques années, et l’affaire autour de la résolution Unesco n’en est finalement qu’un symptôme de plus. La réaction du gouvernement israélien à la résolution de l’Unesco en témoigne. Il y a toujours eu des groupuscules juifs ultraminoritaires qui voulaient reconstruire le Temple à l’emplacement des lieux saints musulmans. Or, cette position extrémiste est maintenant défendue par des députés du Likoud (le parti de Netanyahou) et même jusqu’au sein du gouvernement israélien. En face, et dans ce contexte, il faut reconnaître que la résolution de l’Unesco est extrêmement maladroite. Elle est même contre-productive pour les objectifs que le groupe de Khartoum entend défendre. La direction de l’Unesco s’en est d’ailleurs quasiment désolidarisée.