Monsieur Jean-Yves Le Drian
Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères
37, Quai d’Orsay
75351 Paris cedex 07
Le 19 décembre 2018,
Objet : Cisjordanie - répression aveugle de l’armée d’occupation, exactions des colons, la France doit réagir - Lettre ouverte
Monsieur le Ministre,
Depuis plusieurs jours la Cisjordanie est en proie à des violences absolument révoltantes de la part de l’armée d’occupation israélienne et des colons israéliens qui n’ont plus aucune retenue. Des actes en contradiction flagrante avec le droit international humanitaire et les accords signés par Israël.
Il s’agit en premier lieu des exactions de l’armée israélienne.
A la suite d’une attaque palestinienne qui a coûté la vie à deux colons israéliens, l’armée a d’abord fait des incursions dans plusieurs villes palestiniennes, en pleine zone A, pour entrer dans les villages, les camps de réfugiés et les maisons et procéder à des punitions collectives et des exécutions extra-judiciaires ; faut-il rappeler que ces pratiques sont strictement bannies par le droit international ?
Ces exactions ont provoqué en retour une attaque au cours de laquelle deux soldats israéliens ont été tués, et l’armée a réagi dans des proportions démesurées. L’armée bloque maintenant depuis une semaine les entrées de Ramallah, a établi à l’entrée de toutes les villes palestiniennes des points de contrôle militaire, a arrêté des centaines de palestiniens, opère des intrusions dans les camps de réfugiés tirant à vue et inondant les lieux de gaz lacrymogènes, empêche la circulation des ambulances et est même allée jusqu’à pénétrer dans l’hôpital de Ramallah à l’intérieur duquel elle a tiré des gaz lacrymogènes. N’oublions pas les incursions dans les villages et les attaques contre les écoles elles aussi atteintes par des gaz lacrymogènes.
Les démolitions punitives de maisons se sont intensifiées ces derniers jours, des familles sont privées de leur permis de travail en Israël (y compris pour des familles de… victimes des colons !), tandis que le Premier ministre israélien annonce la construction de nouvelles colonies et zones industrielles.
Il s’agit d’une politique délibérée, démesurée, qui fait payer à la population palestinienne ses enjeux de la politique intérieure israélienne.
Vous êtes certainement informé de tous ces faits et nous ne comprenons pas votre silence.
Mais la situation est aussi caractérisée par une croissance extrêmement inquiétante des exactions des colons. Les lister serait impossible tant elles sont nombreuses et de tous ordres.
Depuis quelques jours, les exactions de colons prennent des proportions inédites : ils pénètrent dans les villages pour mener des attaques contre les Palestiniens qui y habitent, s’en prendre à la population et à ses biens, proférer menaces de morts et propos racistes ; sur les routes ils agressent les automobilistes sans aucune retenue ; s’en suivent parfois des affrontements avec de jeunes Palestiniens qui n’entendent pas se laisser faire.
À Jérusalem ils ont défilé dans la vieille ville appelant à l’assassinat du président Abbas. Ils ont également pénétré à plusieurs reprises sur l’Esplanade des mosquées pour y exercer les provocations dont ils sont spécialistes et coutumiers. Tout cela sous la protection de l’armée d’occupation.
Maintenant, les colons se mobilisent pour interdire la route 60 aux Palestiniens. Cette route traverse la Cisjordanie du Nord au Sud et dessert les principales villes palestiniennes ; et ces appels trouvent un écho chez les membres du gouvernement israélien.
Il s’agit désormais aussi d’attaques et de provocations inédites contre des lieux religieux : le 17 décembre des centaines de colons israéliens ont pris d’assaut le monastère de Mar Saba situé à quelques kilomètres de la ville de Bethléem. C’est un des plus anciens monastères chrétiens et c’est la première fois qu’il est visé par les colons.
En troisième lieu, sur le plan législatif, une commission ministérielle a voté dimanche matin en faveur d’un projet de loi proposé par Ayelet Shaked visant à légaliser des milliers de maisons construites en Cisjordanie occupée sans permis des autorités israéliennes et le plus souvent sur des terres privées palestiniennes.
Et pour couronner le tout, un projet de loi adopté par le comité législatif ministériel et qui sera soumis à la Knesset prévoit d’éloigner de force de leur lieu de résidence, dans la semaine qui suit l’attaque, la famille de tout palestinien impliqué dans des attaques contre des militaires ou colons israélien en Cisjordanie.
Monsieur le ministre, face à ce déchaînement de violence qui s’exerce contre une population occupée et sans défense, nous ne comprenons pas, nous ne supportons pas, le silence du gouvernement français. Nous attendons une expression forte de votre part pour condamner ces exactions et rappeler le droit.
Le Conseil des ministres de l’Autorité palestinienne demande la protection pour le peuple palestinien. Le ministre des Affaires étrangères exhorte la communauté internationale à agir immédiatement pour faire pression sur le gouvernement israélien afin qu’il mette fin aux attaques des colons israéliens contre le peuple palestinien.
Monsieur le ministre, il faut arrêter ces criminels, qu’il s’agisse de l’armée d’occupation ou des colons armés, qui dans une situation d’impunité totale se croient tout permis. C’est le devoir de la France. En tant que haute partie contractante des Conventions de Genève, elle en a aussi l’obligation.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre très haute considération.
Bertrand Heilbronn
Président de l’Association France Palestine Solidarité