Paris, le 16 février 2006
M. Philippe Douste-Blazy
Ministre des Affaires étrangères
37, Quai d’Orsay
75007 Paris
Monsieur le Ministre,
Le 25 janvier dernier, dans des conditions pourtant particulièrement difficiles, le peuple palestinien a voté pour élire ses députés. Ce scrutin qui a mobilisé une très large partie du corps électoral a été jugé par tous les observateurs comme parfaitement transparent et démocratique. Il ne laisse prise à aucune contestation quant à sa sincérité. Ce vote très massif et honnête s’est traduit par une situation bouleversée au plan politique. Le Hamas a pris largement le pas sur le Fatah et les autres partis en compétition. Tel est, qu’il plaise ou non, le résultat du vote des Palestiniens. On ne peut se prévaloir de la démocratie et l’exiger, notamment au Proche-Orient, de façon plus qu’insistante et refuser ce choix démocratique quand bien même il pose des problèmes sérieux évidents.
Il soulève en particulier la question de la « gestion politique » de cette situation nouvelle. Et pour apporter à cette question une réponse adaptée il convient de comprendre, pour les prendre en compte, les raisons pour lesquelles les Palestiniens ont voté de la sorte. Or nous assistons depuis ces résultats à des déclarations absolument incroyables et totalement contre-productives de la part des autorités israéliennes ainsi que de celles de l’Union européenne et des Etats-Unis.
1. Les responsables israéliens viennent de faire savoir qu’ils couperaient les vivres à l’Autorité palestinienne mais aussi qu’ils cesseraient toute relation avec elle si le Conseil législatif palestinien venait à entériner ces résultats ! Rappelons, tout d’abord, que l’argent perçu par Israël pour le compte de l’Autorité palestinienne est le résultat de son occupation armée et que cet argent collecté est le bien des Palestiniens en ce qu’il constitue le produit de la TVA. En second lieu, on ne peut manquer de relever que l’Autorité palestinienne ne se résume pas au Conseil législatif.
Ces volontés israéliennes déclarées sont irrecevables en leur principe. Elles manifestent une fois de plus le refus absolu des autorités de ce pays de négocier sur les bases du droit international pertinent visant à aboutir à la création d’un Etat palestinien dont la « Feuille de route » fixait la création pour « fin 2005 ». Ceci est à mettre en relation avec le fait que le vote des Palestiniens s’est nourri de deux éléments : une situation sociale et économique désastreuse - le mot est faible - et une absence totale et tangible de perspectives en matière d’existence d’un Etat palestinien. Le Fatah étant considéré comme incapable en ces domaines en a payé le prix.
2. Ces volontés israéliennes de couper les vivres qui appartiennent à l’Autorité palestinienne ne peuvent être non plus déconnectées des révélations faites dans la presse aujourd’hui même. C’est ainsi que le Yediot Aharonot, notamment, se fait l’écho de la publication dans le New York Times d’un plan « qu’auraient élaboré de hauts responsables du secrétariat d’Etat américain en concertation avec leurs homologues israéliens et qui viserait à faire chuter le gouvernement du Hamas. Le principe de ce plan serait de couper les vivres à l’Autorité palestinienne pendant plusieurs mois jusqu’à ce que le Président Mahmoud Abbas n’ait d’autre issue que de dissoudre le parlement et de décider de nouvelles élections ».
Ce plan, s’il existe et s’il devait être appliqué, ne pourrait que radicaliser encore plus l’opinion palestinienne. Ce serait pure folie que de chercher délibérément à allumer un feu dangereux.
3. L’Union européenne a une position moins « limpide ». Mais force est de constater qu’une fois de plus elle tance les Palestiniens tout en les menaçant également de rompre son aide. Elle pose des conditions au Hamas sans saisir toute occasion possible de le mettre au pied du mur de la négociation politique. Si la reconnaissance de l’Etat d’Israël par le Hamas est incontournable, on notera que ce mouvement a proposé une trêve en cas de volonté affirmée de ce pays de cesser son occupation illégitime. Cela revient, chacun sachant ce que les mots veulent dire, à reconnaître implicitement la frontière de 1967, et donc l’existence de deux Etats. Pourquoi ne pas saisir la trêve proposée et proposer de négocier avec le Président de l’Autorité palestinienne une perspective qui soit enfin globale mettant chacun devant ses responsabilités.
L’Union européenne pourrait jouer ce rôle politique majeur en ce sens. Et je ne vois pas comment on pourrait dire A à Moscou au Président Poutine à propos de sa rencontre avec les dirigeants du Hamas et dire B à Bruxelles ou ailleurs sur le même sujet....
L’arrêt des violences est aussi demandé au Hamas. Si les violences meurtrières qui touchent des civils israéliens innocents sont inacceptables, il faut, pour que l’Union européenne soit crédible, qu’elle demande l’arrêt de toutes les violences. La colonisation israélienne ; le mur, condamné en son principe - et pas uniquement en son tracé - par la Cour internationale de justice ; les condamnations extrajudiciaires ; le tramway - construit de surcroît par deux entreprises françaises - qui relie Jérusalem-Ouest aux colonies à l’Est ; les « checks-points » ; les milliers d’emprisonnés palestiniens - dont 10% des nouveaux députés - tout cela ne serait pas des violences ?
Plus fondamentalement c’est l’occupation israélienne qui est la violence majeure, fondamentale et inacceptable.
4. C’est le terreau sur lequel a prospéré le mouvement Hamas qu’il faut atteindre. De ce point de vue, et pour ce qui la concerne, l’Union européenne devrait balayer devant sa porte et prendre toute sa part de responsabilité dans la situation actuelle avant de donner des leçons. Va-t-elle continuer dans cette voie ainsi que le suggèrent les menaces évoquées plus haut jusqu’à tendre la situation et la rendre explosive ? Va-t-elle au contraire tout mettre en oeuvre pour permettre enfin que se dégage une solution politique globale au « problème » israélo-palestinien ? Va-t-elle enfin comprendre - et faire comprendre - que l’idée sous-jacente de la politique israélienne visant à constituer le « Grand Israël » est définitivement caduque de même que son exact inverse, à savoir le refus de reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël ?
La situation est très critique au Proche-orient. Les plans fourbis ici et là après les résultats électoraux sentent la poudre et la mort. Israël évoque maintenant l’idée que l’entité palestinienne serait désormais « terroriste » et qu’en conséquence elle « la traitera comme telle ».
La responsabilité de ce qu’on appelle la communauté internationale est considérable dans cette affaire. Il est temps, plus que temps, que l’Union européenne sorte de l’attitude que dénonçait le Président de la république, Jacques Chirac, qui déclarait devant la conférence annuelle des Ambassadeurs en août 2004 : « Il est indispensable que la communauté internationale assume ses responsabilités. Qu’elle constate les résultats désastreux de son inaction et s’affranchisse de ses fausses prudences. Qu’elle dise enfin et sans ambages que le terrorisme et la négation de l’autre sont condamnables et doivent être dénoncés et combattus sans faiblesse, mais que l’occupation, la colonisation, sont inacceptables et doivent cesser. Qu’elle refuse enfin la politique des préalables, qui fait le jeu toujours des extrémistes et des terroristes. »
Monsieur le Ministre,
Constatant les résultats désastreux de l’inaction de la communauté internationale et vous affranchissant des fausses prudences, l’heure est à l’initiative française au sein de l’Union et des institutions internationales pour la paix dans la justice au Proche-orient. Tout est dans la volonté politique.
Je vous demande d’en avoir le courage avec tout le gouvernement.
Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de mes sentiments distingués.
Jean-Claude Lefort
Député du Val-de-Marne