Mme. Christiane Taubira
Ministre de la Justice
Garde des Sceaux
Place Vendôme
75001 Paris
Madame la Ministre,
Voilà maintenant plusieurs mois que je multiplie les démarches auprès de votre cabinet au sujet de la circulaire, dite
Alliot-Marie, en date du 12 février 2010 assimilant le boycott des produits israéliens ou des colonies à une incitation à
la discrimination.
Cette circulaire criminalise les actions politiques de militants engagés pour une paix juste et durable au Proche-Orient
et qui, comme partout ailleurs en Europe et dans le monde, appellent à boycotter les produits des colonies ou des
produits israéliens (à l’exception absolue des produits casher) pour amener les dirigeants israéliens à respecter le droit
international.
On peut être pour ou contre ces actions, évidemment. C’est affaire d’appréciation politique. Mais dans notre
République, la liberté d’expression doit être assurée et garantie pour tous, à l’exclusion de toutes les formes de
racisme qui ne sont justement pas des opinions mais des délits.
De nouveaux procès vont avoir lieu à travers la France visant des militants qui se sont exprimés en ce sens, en
particulier à Perpignan et Alençon en juin prochain puis en octobre à Mulhouse.
Si maints tribunaux ont clairement refusé de les condamner en première instance, les parquets ont fait appel en se
basant sur cette circulaire (CRIM-AP N°09-9006-A4) qui précisait que : « Si certaines procédures ont déjà fait l’objet
de classements sans suite, vous prendrez le soin d’exposer de manière détaillée les faits et de préciser les éléments
d’analyse ayant conduit à ces décisions. »
Singulière conception de l’indépendance de la Magistrature.
Pire, et alors qu’il n’était plus ministre et donc hors toute légalité, votre prédécesseur, Monsieur Mercier, a renvoyé
une seconde circulaire, le 15 mai 2012, pour expliquer aux procureurs généraux comment il fallait interpréter l’article
24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 (CRIM-AP N° 2012-0034-A4).
Pour lui, appeler au boycott « par discours ou par des écrits » ne relève absolument pas de la liberté d’expression
mais d’actes de « provocation à la discrimination ».
Cette circulaire a été publiée, ce n’est pas la moindre des ignominies, plus d’un an après une rencontre avec ce ministre,
qui a eu lieu en janvier 2011, à la demande et en présence de notre regretté Stéphane Hessel qui était lui-même inculpé
dans ce cadre.
Cette rencontre avec Monsieur Mercier, à laquelle participait également Mesdames Elisabeth Guigou et Catherine
Tasca, avait pour objectif de demander l’abrogation de cette circulaire liberticide et la relaxe de tous les inculpés.
J’ajoute que de telles actions, spécialement concernant les produits des colonies israéliennes, sont menées
régulièrement par notre Association France Palestine Solidarité, souvent en partenariat avec d’autres militants
d’associations de défense des droits de l’homme.
Comme Président de cette association, il serait logique que je sois poursuivi et inculpé si les parquets persistent dans
cette voie… aberrante.
Suite aux nombreuses démarches que j’ai effectuées vers votre cabinet, j’ai rencontré votre Conseiller diplomatique
pour lui expliquer de vive-voix la situation.
J’ai fait observer, en sus des autres aspects politiques déjà soulignés, que si vous aviez déclaré ne plus vouloir envoyer
désormais de circulaires aux parquets cette décision n’affectait pas les circulaires précédentes qui devaient être
abrogées, en tout cas les plus inacceptables.
Suite à cette entrevue qui a duré plus d’une heure il était convenu de mettre sur pied une rencontre avec vous.
Je me permets donc de revenir instamment vers vous pour enfin obtenir un rendez-vous dont vous comprendrez la
nécessité et l’urgence.
Contrairement à ce que pensent certains, et vous le savez bien, l’opinion publique ne supporte plus le « deux poids,
deux mesures ».
Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l’expression de mon profond respect.
M. Jean-Claude Lefort
Député honoraire
Président de l’AFPS