Mohammad sirote son café, prend quelques bouffées de sa cigarette puis se penche furtivement en avant comme s’il voulait partager quelque secret important.
Il possède une énergie nerveuse- c’est un type nerveux.
En 1982, adolescent, il a vu sa famille être massacrée dans les camps bien connus de Sabra et de Chatila quand les phalangistes chrétiens libanais ont attaqué les réfugiés palestiniens.
Vingt trois ans plus tard, il vit toujours dans le même camp.
« J’ai peur, j’ai peur à en crever. Si nous sommes désarmés, qui prendra soin de nous ? » demande-t-il ?
« Nous avons déjà été désarmés auparavant et regardez ce qui nous est arrivé ! »
L’anxiété de Mohammad a été éveillée ou plutôt rallumée par les développements politiques qui se jouent en ce moment dans les rues de Beyrouth.
Près d’un demi million de manifestants sont venus demander à la Syrie de se retirer du Liban en accord avec la résolution 1559 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
La résolution demande également la dissolution les milices armées du Liban en concentrant l’attention sur le puissant groupe chiite prosyrien du Hezbollah.
Survivants
Ceux en faveur de la résolution 1559 [1] soutiennent que le Liban doit devenir un pays normal, ne vivant plus sous occupation étrangère et sans groupes armés opérant comme un état dans l’état.
Mais cela soulève la question sur le futur de la population palestinienne dont beaucoup de membres sont lourdement armés.
Il y a plusieurs centaines de milliers de Palestiniens au Liban.
Ils sont les survivants et les descendants de ceux qui ont fui Israël au moment de sa création en 1948 et de nouveau après la guerre de 1967.
Aujourd’hui, ils vivent dans des conditions qui selon les officiels des Nations Unies, sont épouvantables, même selon les normes de la diaspora de réfugiés.
Leurs camps manquent souvent des commodités de base alors que leurs habitants sont en grande partie empêchés de gagner leur vie décemment dans le pays hôte.
Dans le camp de Ein al-Hilweh, des milices palestiniennes armées patrouillent dans leurs micro-territoires respectifs, s’engageant parfois dans des conflits internes au sein du microcosme du monde palestinien.
Il y a souvent des tirs mais quand quelqu’un est tué, les autorités libanaises n’interviennent pas. En effet, elles ne rentrent que rarement dans les camps.
Une liste d’ennemis
Le politicien chrétien, Dory Chamoun, parle au nom de beaucoup de Libanais quand il dénonce cet état de fait.
« Il s’agit de faire du Liban une vraie république démocratique où les lois seraient respectées et où les seules armes autorisées seraient aux mains de la police et de l’armée » dit-il.
« Je ne vois aucune raison quelle qu’elle soit pour que les Palestiniens aient des armes ».
Mais beaucoup de Palestiniens en voient.
Ils ont assemblé une liste impressionnante d’ennemis pendant la guerre civile libanaise de 1975 à 1990 : Phalangistes, Israéliens, les milices chiites musulmanes Amal.
Malgré le fait que la guerre civile libanaise se soit terminée il y a 15 ans, quelques milices chrétiennes plus petites ont des unités qui restent armées et sont préparées à l’action.
Un commandant a récemment montré sa collection d’armes à feu à des journalistes occidentaux.
Il a insisté sur le fait que ses hommes ne les utiliseraient jamais contre le peuple libanais parce qu’il ne voulait pas un retour à la guerre civile.
Mais si les Palestiniens devaient représenter une menace, alors dit-il « cela serait une autre affaire ».
Des rumeurs folles
Et ce ne sont pas juste les miliciens nerveux dans les collines qui croient en une telle menace.
Dans les bars à la mode du centre de Beyrouth, vous pouvez entendre encore une fois des gens qui décrivent les Palestiniens comme un ennemi potentiel vivant au milieu d’eux.
Tout le monde attend de voir si la Syrie va essayer de mettre fin aux manifestations et une théorie dit qu’ils se serviront des Palestiniens pour faire leur sale boulot.
C’est une idée fantaisiste. Les Palestiniens n’ont pas beaucoup d’affection pour la Syrie qui s’est retournée contre eux pendant la guerre civile.
Si les troupes syriennes se retirent, beaucoup de travailleurs syriens partiront aussi laissant leurs places vacantes que les Palestiniens pourront peut-être reprendre.
Mais c’est aujourd’hui une situation de suspicion et de contre suspicion.
Et quoique beaucoup de libanais ressentent une profonde sympathie pour les Palestiniens et pour leur cause, ceux à l’esprit le plus sectaire les considèrent comme des ennemis mortels.
Méfiance
A Chatila, Mohammad pèse ses chances.
Il dit qu’il n’a pas confiance dans le gouvernement libanais ni même dans ses propres dirigeants en ce moment.
Comme beaucoup de Palestiniens au Liban, il soupçonne que le président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pourrait faire un marché avec Israël, vis-à-vis de la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem marché qui ne fait que semblant de répondre aux revendications des réfugiés pour revenir dans leur pays d’origine.
Dans cette situation d’anxiété collective élevée, il n’est pas dans l’état d’esprit d’abandonner ses armes.
« La stratégie a toujours été d’effacer les Palestiniens de la carte du Liban » soutient-il.
« Amal a tué 1.000 civils parce que nous étions sans défense. Et les amis d’aujourd’hui peuvent facilement devenir les ennemis de demain. L’Histoire se répète ».
Mohammad insiste que son but principal dans la vie est le retour en Palestine, la terre que ses parents ont fui.
Mais en ce moment, il voudrait juste être n’importe où sauf là où il se trouve.