Depuis plus d’un mois, les médias internationaux nous abreuvent d’articles et de reportages sur le "document de Genève", le "processus de paix de Genève", et divers chefs d’Etat se plaisent à joindre leur nom, et surtout leur photo, à cette initiative : Israéliens et Palestiniens auraient trouvé la voie menant à une paix durable entre les deux peuples, en conflit depuis plus d’un siècle, comme le rappelait judicieusement, il y a dix ans, le préambule des accords d’Oslo ; ce qu’oublie de faire le document de Genève.
Quand Politis titre son numéro du 4 décembre "Proche-Orient, un plan de paix virtuel", il met l’accent sur le fait que du côté israélien les signataires n’engagent qu’eux-mêmes et n’ont pas les moyens, ni aujourd’hui ni dans les prochaines années, de transformer leur plan en un réel accord de paix entre les deux parties : les travaillistes et autres politiciens de la gauche sioniste ne sont pas sur le point de reprendre le contrôle des affaires politiques en Israël, discrédités par leur ancien dirigeant, Ehoud Barak, qui continue à affirmer que les Palestiniens sont tous des terroristes et que la politique de pacification de Sharon est la seule possible.
Mais en soi, le virtuel n’est pas nécessairement négatif. Il y a quel-ques années, le Centre d’information alternative d’Israël-Palestine présentait à Montréal, avec le soutien d’Alternatives, un "People’s Peace Plan" comme alternative à un processus d’Oslo qui s’embourbait dans une impasse s’annonçant des plus sanglantes. Il n’y a rien de mal à anticiper ce que pourrait être un compromis acceptable par les deux sociétés, israélienne et palestinienne, et à faire de la sensibilisation auprès de ses opinions publiques respectives. Ce qui pose problème avec cette initiative de Genève, c’est ce que l’on fait jusqu’à ce que le plan virtuel devienne une réalité, car ce que l’on fait - ou ce que l’on ne fait pas - aujourd’hui, détermine dans une large mesure si ce virtuel peut un jour se concrétiser.
Au moment même ou l’on se congratulait dans les salons d’un hôtel de luxe des bords du lac de Genève, les chars israéliens faisaient quatre morts à Ramallah, dont un enfant de neuf ans. Et là est bien le problème numéro un concernant l’initiative parrainée (et financée) par le gouvernement helvétique : le rapport entre la paix virtuelle et la guerre qui, elle, est bien réelle.
Retour à la case zéro
Que font les centaines d’Israéliens, du Parti travailliste et du Meretz, qui se trouvent derrière le document de Genève contre les assassinats ciblés, les incursions dans les zones palestiniennes prétendument autonomes, contre les colonies, contre le mur d’apartheid qui, malgré les difficultés financières d’Israël, se construit à un rythme infernal ? Pour la majorité des signataires, la réponse est : rien du tout, car ils soutiennent ces mesures, car ils voient dans le mur un moyen efficace et légitime pour lutter contre le terrorisme, car ils voient en Arafat - et pas en Barak ou Sharon - le responsable de la dégradation de ces trois dernières années, car ils continuent à soutenir les grandes lignes de la campagne sanglante de pacification menée par l’armée israélienne.
Les plus importants des signataires Israéliens connus considèrent ceux qui militent contre l’occupation comme des rêveurs naïfs, et les soldats réfractaires qui refusent de servir dans les territoires occupés comme des traîtres.
Ce qui est regrettable c’est que les signataires palestiniens se soient contentés des positions de leurs amis Israéliens sur l’avenir virtuel et n’aient pas exigé des réponses claires sur le présent concret et sanglant, et ce au moment même ou ces derniers exigeaient des Palestiniens d’effacer toute référence au passé, et aux responsabilités, sur les causes du conflit centenaire qui déchire la terre de Palestine.
Une telle erreur risque bel et bien d’être fatale pour les objectifs que se sont fixé les signataires palestiniens et israéliens du document de Genève : regagner leurs opinions publiques respectives à une perspective de négociations et de paix.
La colère qu’entraînent l’extension des colonies, la construction du mur, l’encerclement des villages ou les assassinats ciblés ne peuvent pas ne pas provoquer, tôt ou tard, le mépris pour tous ceux et celles parmi les Palestiniens qui s’obstinent à parler de paix avec des gens qui ne s’opposent pas à cette politique de répression - voire, pour certains, la soutiennent.
Il y aura aussi inévitablement une reprise des attentats. Face à ces attentats, l’opinion publique israélienne continuera à soutenir la politique du tout-répressif d’Ariel Sharon, et a se moquer de ceux qui rédigent des plans de paix avec des poseurs de bombe.
Bref, si on ne s’attaque pas aux racines de la violence actuelle, c’est-à-dire à l’occupation, à la colonisation et à la répression, on retourne forcément à la case zéro.