Les leaders arabes estiment que le chaos règnerait s’ils ne gardent pas le pouvoir sur leur peuple grâce à de puissantes dictatures. Moubarak était convaincu de ceci : quelques jours avant de quitter le pouvoir, il donnait une interview à la chaine ABC, dans laquelle il disait : "Vous ne comprenez pas la culture égyptienne ni ce qui se passerait si je devais partir maintenant." "Si je démissionnais aujourd’hui, ce serait le chaos," a-t-il ajouté.
Cette croyance, selon laquelle la "culture" égyptienne, ou plus généralement, la "culture arabe", serait naturellement amenée à sombrer dans le chaos en cas de départ des dictateurs, est partagée par quasiment toutes les politiciens et dirigeants du Moyen Orient.
Quant aux politiciens israéliens, ils pensent la même chose : sans un dictateur au pouvoir, le chaos règnerait, ouvrant la voie aux affrontements communautraires et à la prise du pouvoir par les islamistes. Ils ont en tête l’exemple du Liban, une guerre civile, et l’émergence du Hezbollah, aujourd’hui l’un de leurs pires ennemis. Les leaders israéliens pensent donc que la fin d’Assad mènerait à la guerre intercommunautaire en Syrie, et à l’émergence d’un nouvel ennemi, pire qu’Assad. Un membre du gouvernement de Netanyahu l’affirme lui-même : "Nous connaissons Assad. Nous connaissions son père. Bien sûr qu’on voudrait avoir comme voisin une Syrie démocratique. Mais pensons-nous que cela va se produire ? Non."
Les leaders israéliens ne peuvent même pas imaginer une Syrie démocratique, et ils sont de même convaincus que tout ce qui pourra survenir en Syrie sera en leur défaveur. Israël pense être la préoccupation majeure de tous les Arabes, tout comme Assad a imaginé que les Syriens allaient adhérer d’un bloc à cette théorie de conspiration impliquant Israël.
Quand Moubarak est parti, la première préoccupation d’Israël était que l’Egypte devienne un Etat islamique, qui mettrait fin à son traité de paix avec l’Etat hébreu [2].
Cette conviction était si profonde qu’elle a dominé toute la réflexion stratégique d’Israël. Une offensive diplomatique a été lancée pour faire pression pour l’Egypte et l’obliger à respecter le traité de paix… alors que rien ne laissait spécialement penser qu’elle allait envisager de faire autrement.
Même compréhension de la situation de la part d’Israël pour la Syrie. Israël et la Syrie sont officiellement en guerre, mais la frontière syro-israélienne est l’une des plus calmes et tranquilles de l’Etat hébreu. Etant donné qu’il ne peut croire en un changement démocratique en Syrie, il est convaincu que la chute d’Assad serait une mauvaise nouvelle. Selon Israël, un changement démocratique dans le monde arabe est tout simplement impossible, et la chute d’Assad mènerait à un bain de sang lors d’affrontements communautaires, et à l’émergence d’un ennemi anti-israélien.
Du coup, Assad est le voisin idéal. Il maîtrise son peuple, il appelle à la résistance contre Israel mais garde le calme à la frontière, et signerait peut-être bien la paix avec l’Etat hébreu s’il lui rendait le Golan.
Au cours d’une récente interview avec le Wall Street Journal, Assad a évoqué une "nouvelle ère" issue de la révolution, posant une question ouverte : "S’agira-t-il d’une nouvelle ère vers plus de chaos, ou vers davantage d’institutionnalisation ? C’est pourquoi je dis que ce n’est que le début, et que c’est encore flou. On ne peut pas comprendre les raisons de tout cela jusqu’à ce qu’on en voie le bout, et le bout n’apparaît pas encore clairement."
Le discours tenu mercredi (30 mars)par Bachar el Assad a profondément déçu. L’énorme différence entre ce que les conseillers d’Assad avaient promis pour ce discours et ce qu’Assad a dit réellement, vient peut-être de divisions internes au régime. Ce régime pensait qu’il pouvait remettre à des dates ultérieures les réformes démocratiques et calmer le peuple en accusant Israël. Apparemment, ça ne marche pas (les manifestations ont repris de plus belle après le discours) et le régime d’Assad ne tient plus que sur la peur. La peur d’une division communautaire, la peur des services de renseignement, la peur de ce qui pourrait arriver après. Si, ou quand cette peur ne tiendra plus, alors ce sera la fin du régime.