Il fait de l’ombre au président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui a perdu la confiance de la rue. Marouane Barghouti demeure l’une des personnalités les plus populaires du Fatah, la principale composante de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). En 2019, il fêtera ses 60 ans, dont plus de 25 en prison.
Mais comment s’adresser au peuple palestinien sans tribune ni micro pour s’exprimer ? Même derrière les barreaux de sa prison de Gilboa, au nord de Tel-Aviv, Marouane Barghouti, condamné à cinq peines de prison à vie pour meurtre et soutien au terrorisme, veut démontrer sa capacité à mobiliser. A compter du lundi 17 avril, il appelle les 2 900 prisonniers du Fatah à une grève de la faim pour dénoncer les conditions de détention en Israël et réclamer la fin de la détention administrative – incarcération sans inculpation ni procès – à laquelle l’Etat israélien a recours.
Selon Qadura Fares, le directeur du Club des prisonniers palestiniens, la grève de la faim serait « la meilleure arme » pour faire entendre leurs droits. Ces derniers, chèrement acquis depuis les accords d’Oslo (1993), ont en effet été mis à mal après l’enlèvement et la détention du soldat israélien Gilad Shalit de 2006 à 2011 par le Hamas, le Mouvement de la résistance islamique au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007.
Soins médicaux médiocres
La possibilité d’étudier en prison a ainsi été bloquée dès 2010. En mai 2016, la Croix-Rouge, chargée de la coordination des visites familiales en provenance de Cisjordanie et jusqu’en Israël, a annoncé réduire leur fréquence de deux à une seule par mois. En outre, seuls les individus parents au premier degré avec le détenu y sont admis. L’accès au téléphone public est interdit et les soins médicaux médiocres.
Les doléances des prisonniers ont été transmises aux services pénitentiaires israéliens qui ont jusqu’au 16 avril pour y répondre. En l’absence de réponse satisfaisante, la grève débutera le lendemain. Qadura Fares l’espère « efficace » et « de courte durée » – de dix à quinze jours. Il escompte surtout qu’elle sera relayée à l’extérieur. « Un comité de suivi de la grève a été mis en place, avec des relais dans tous les gouvernorats [de Cisjordanie], explique Fadwa Barghouti, l’épouse de Marouane Barghouti. On espère une mobilisation dans les universités, les syndicats et les familles de prisonniers. »
Depuis l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 1967, le cas des prisonniers palestiniens en Israël est « une question de consensus national », selon Fadwa Barghouti : « Nos prisonniers ont payé de leur personne pour la libération du peuple palestinien. » Chaque famille est concernée, notamment après les arrestations massives de la première Intifada (1987-1993) puis de la seconde (2000-2004).
Prérequis à la paix
La libération de ces « prisonniers politiques » – qui sont des « prisonniers de sécurité » aux yeux de l’administration pénitentiaire israélienne, le Shabas – est d’ailleurs souvent brandie comme un prérequis à la paix avec Israël. Le dernier cycle de négociation, sous l’égide de l’ancien secrétaire d’Etat américain John Kerry, a notamment échoué au printemps 2014 sur cette question.
Si les dirigeants palestiniens ont été informés de la grève, ils se gardent de prendre position. A l’approche du cinquantenaire de l’occupation, Mahmoud Abbas se serait bien passé d’un tel événement. D’autant qu’à ce jour, près d’un millier de prisonniers palestiniens (sur 6 000, tout mouvement confondu) auraient confirmé leur participation. « Marouane Barghouti est un fédérateur, il saura rassembler » au-delà des appartenances politiques, affirme son épouse. « Des prisonniers du Hamas y participeront sûrement. Et si la grève prend, le Hamas se ralliera », ajoute M. Fares, qui refuse cependant de qualifier le geste de Marouane Barghouti de « politique ».
De son côté, le Service israélien des prisons se prépare, après avoir annoncé qu’il ne donnerait pas suite aux réclamations. Le 14 avril, un détenu de la prison de Nafha, dans le sud d’Israël, a été placé en isolement, accusé d’inciter ses collègues à la grève. Le ministre de la sécurité publique, Gilad Erdan, a précisé que des médecins réservistes ont été recrutés et qu’un hôpital militaire serait établi à l’extérieur de la prison de Ketziot (sud-ouest) où les prisonniers grévistes pourront être transférés pour ne pas engorger les hôpitaux civils. Lesquels ont aussi refusé de nourrir de force les grévistes, méthode jugée conforme à la Constitution par la Cour suprême israélienne depuis septembre 2016.