- AFP/Sean Gallup
Si l’enjeu n’était pas aussi déterminant pour l’avenir de la population palestinienne, les tractations diplomatiques qui s’intensifient à l’approche du 29 mars pourraient paraître dérisoires. Soumis à une pression accrue de l’administration américaine, Israéliens et Palestiniens disposent encore d’un peu plus d’un mois (jusqu’au 29 avril) pour tenter de se mettre d’accord sur un consensus minimal : la prolongation — au-delà de la période de neuf mois qui avait été convenue entre eux —, des négociations sur les grands principes de l’accord-cadre pour la création d’un Etat palestinien, que doit leur proposer Washington.
Mais c’est en réalité fin mars que les choses vont se jouer : Israël doit relâcher le quatrième et dernier contingent des 104 prisonniers palestiniens qu’il s’était engagé à libérer au début de ce cycle de pourparlers, en échange de l’engagement de l’Autorité palestinienne de surseoir à toute démarche visant à obtenir son adhésion à différentes agences des Nations unies, voire à la Cour pénale internationale. 26 prisonniers palestiniens, condamnés avant les accords d’Oslo (1993) doivent, en principe, être élargis à la fin de la semaine.
Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, assure que leur libération n’est pas liée à la poursuite des négociations (il se réserve donc la possibilité de refuser la seconde), tout en laissant entendre que celles-ci seraient à coup sûr compromises si Israël renonce à libérer les prisonniers. Le sort des détenus dans les geôles israéliennes a toujours été au cœur des préoccupations de la société palestinienne (rares sont les familles qui ne sont pas concernées). L’insistance de M. Abbas se comprend d’autant mieux qu’il ne peut se prévaloir d’aucune autre avancée auprès de ses concitoyens pour justifier un processus de négociations jusque-là stérile.
La « carte Pollard »
En Israël, de nombreux responsables politiques s’expriment sur le sujet : les plus modérés, comme la ministre de la justice Tzipi Livni, qui pilote les négociations avec les Palestiniens, sont d’avis de ne pas libérer les prisonniers si M. Abbas ne donne pas son accord pour poursuivre les négociations. Les plus ultras, comme Danny Danon, vice-ministre de la défense et chef de file de l’aile dure du Likoud, le parti du premier ministre Benyamin Nétanyahou, sont opposés à la remise en liberté de « terroristes ayant du sang sur les mains ». La décision est d’autant plus difficile à prendre que M. Abbas exige que 14 Arabes Israéliens (qui ont la nationalité israélienne) soient inclus dans la liste des 26 prisonniers.
Alors qu’il assure avoir reçu des assurances en ce sens de la part du secrétaire d’Etat américain John Kerry, le gouvernement israélien dément l’existence d’une telle clause, et se réserve le droit de choisir l’identité des prisonniers libérables. Le différend semble inextricable, sauf à jouer la « carte Pollard »… Jonathan Pollard est un citoyen américain interpellé en 1985 et condamné en 1987 à la prison à perpétuité aux Etats-Unis pour espionnage au profit d’Israël. Sa libération est demandée depuis des années par les Israéliens : il est devenu une cause nationale.
Le marchandage diplomatique (officieux) pourrait être le suivant : la libération de Pollard en échange de celles des Arabes-Israéliens. Un tel accord semble très incertain, notamment parce que le président Barack Obama s’est toujours refusé à faire preuve de clémence en faveur de l’ancien analyste de l’US Navy. Ces tractations se déroulent dans la coulisse, mais sur fond de tension croissante en Cisjordanie, d’accélération de la colonisation dans les territoires palestiniens occupés, et alors que les positions des deux parties sur leurs principaux désaccords (le tracé des frontières, le droit au retour des réfugiés, la question de Jérusalem, etc.) n’ont jamais semblé aussi éloignées.
John Kerry interrompt son voyage
Alors que M. Nétanyahou continue d’exiger des Palestiniens qu’ils reconnaissent Israël comme « Etat-nation du peuple juif », M. Abbas répète qu’une telle concession est hors de question. Outre le soutien de la Ligue arabe, il a reçu, mercredi 26 mars, celui du sommet des dirigeants des pays arabes réunis à Koweït, qui ont affirmé « leur refus total et catégorique de reconnaître Israël comme un Etat juif ».
Ce bras de fer entre Israéliens et Palestiniens devrait trouver son épilogue dans les prochains jours : les seconds font monter la pression en menaçant de relancer leurs démarches onusiennes si Israël ne libère pas les prisonniers. Ce scénario ne comporterait alors qu’une certitude : ce serait la fin de ce cycle du processus de paix. C’est pour cela que John Kerry, interrompant un voyage en Europe et en Arabie saoudite avec le président Obama, rencontrera Mahmoud Abbas, ce mercredi à Amman (Jordanie), dans ce qui ressemble à une réunion de la dernière chance.