Il n’y a aucun moyen de savoir combien d’automobilistes palestiniens ont remarqué les mots griffonnés en hébreu sur le mur du poste militaire du checkpoint d’El Beit, la sortie est de Ramallah. Difficile également de dire qui de ceux qui ont remarqué ce « Mort aux Arabes » ont pu lire et comprendre le message. De tels graffitis, ainsi que ses variantes comme « Kahane avait raison », apparaissent aux arrêts de bus des Israéliens ou sur les blocs de ciment qui jalonnent les routes de Cisjordanie. Difficile de ne pas les voir. L’inscription sur le mur du checkpoint militaire est elle, presque cachée.
Ses lettres ne dégoulinent pas de peinture rouge et elles ne sont pas accompagnées d’une illustration qui expliciterait le message pour ceux qui ne liraient pas l’hébreu. Qui que ce soit qui ait écrit ce « Mort aux Arabes » en toutes petites lettres d’imprimerie n’avait pas l’intention de provoquer les passants. Il voulait simplement exprimer un point de vue personnel, une hypothèse de travail ou un souhait non caché. "Et son auteur est un soldat armé des Forces israéliennes de défense [nom officiel de Tsahal]. Un soldat qui passe quelques heures, chaque jour, avec un fusil chargé à la main, avec lequel il vise des milliers de personnes qui entrent et sortent de la cage de Ramallah.
Personne ne se soucie d’effacer les slogans incendiaires en hébreu des endroits où les colons font du stop. Personne ne s’inquiète de trouver le tagueur suspect pour l’inculper pour incitation à la haine afin d’informer les gens que de telles expressions sont illégales. S’il est légal que l’administration civile [instance dirigeante israélienne qui exerce ses activités en Cisjordanie, ndlt] détruise des villages palestiniens et empêche des maisons de se raccorder à l’eau courante, s’il est légal qu’Israël expulse des gens de leurs maisons et de leurs terres pour transférer ces propriétés aux richissimes associations de colons, alors pourquoi s’affoler pour quelques petits mots nauséabonds gribouillés sur un morceau de ciment ?
Le graffiti de haine en hébreu ne figure dans aucun index qui mesure et met en garde contre l’antisémitisme, un sujet qui occupe les grands titres de la presse internationale. L’œil s’habitue à lui, tout comme aux rouleaux de barbelés qui coiffent le mur de séparation, ou aux publicités pour les commerces des colonies, sans oublier la foule de travailleurs qui se presse aux checkpoints dès 5 heures du matin. Si habitué qu’il est, cet œil, que la tentation est grande d’ignorer ces quelques gribouillis sur le mur du poste militaire. Allez, c’est vrai quoi, un garçon de 18 ans qui ne comprend pas grand’chose à tout ça s’ennuyait juste, et on en fait tout un pataquès.
Pourtant, ce graffiti apparu sur le mur du checkpoint a bien une adresse – et cette adresse, c’est l’armée. On peut l’interroger. Dimanche matin, Haaretz lui a demandé une réaction à cette inscription. Dans la soirée, le bureau de son porte-parole a déclaré : « Cet incident est en contradiction avec les valeurs de nos forces armées. Le message a été effacé. » On ne saura jamais si l’auteur du graffiti participait, lundi matin, à la descente dans le village de Na’ameh, à l’ouest de Ramallah. On ne saura jamais non plus s’il faisait partie des soldats qui ont dû s’arrêter en route à cause d’une panne de leur jeep après avoir fait effraction dans les maisons, réveillé les gens par des coups effrayants frappés à leur porte, par des cris, avant de les tirer de leurs lits et d’en arrêter quelques-uns, comme le racontent des journalistes palestiniens.
Mais il y a bel et bien un lien entre la façon très naturelle de gribouiller un appel au génocide sur le mur d’une installation militaire et les réponses automatiques des soldats quand un véhicule palestinien les a heurtés. Ils ont riposté immédiatement en tirant sur le véhicule, décidant du même coup que conducteur et passagers méritaient le même sort – la mort. Le porte-parole de Tsahal avait lui aussi une réponse toute prête : Attaque terroriste. Automatiquement, toute la presse israélienne a repris à l’unisson qu’il s’agissait de terroristes.
L’éventualité que le conducteur et les passagers du véhicule palestinien n’aient eu aucune idée de ce qu’une jeep militaire faisait, coincée à cet endroit bizarre de la route, ou que le brouillard ait réduit la visibilité provoquant une perte de contrôle du conducteur alors qu’ils s’engageait dans un virage serré – un endroit connu pour provoquer de nombreux accidents – n’existe absolument pas dans la litanie que soldats et journalistes ont été entraînés à répéter. Les valeurs de l’armée, l’État et la société israéliens disent clairement : La première chose que vous avez à faire est de tuer l’Arabe.
Traduit de l’anglais original par EM pour l’AFPS