Un drame humain, médical et politique s’est déroulé au cours des quelques semaines passées au Centre Médical Asaf Harofeh, juste à l’extérieur de Tel Aviv. Au coeur du drame il y avait deux Palestiniens détenus par Israël sans inculpation ni jugement — Anas Shadid, 19 ans, et Ahmad Abu Farah, 29 ans — et hospitalisés en raison de la dégradation de leur état de santé causée par des grèves de la faim prolongées. Les deux hommes ont été arrêtés en août de cette année, et ont commencé leur grève de la faim moins d’un mois après, aussitôt après avoir été placé en détention administrative.
Il y a quelques semaines, après que la Haute Cour de Justice israélienne ait rejeté la requête des deux hommes demandant à être libérés de la détention administrative, ils ont intensifié leur grève de la faim — en déclarant qu’ils arrêteraient aussi de boire de l’eau. Ils refusent aussi de passer des examens physiques et médicaux, des analyses de sang ou toute analyse en laboratoire, des radios, et des contrôles cardiaques.
Shahid and Abu Farah ont réussi à relancer le débat ambiant pour savoir si les médecins sont obligés d’obéir à la loi autorisant à nourrir de force les grévistes de la faim. La « Loi sur l’Alimentation Forcée » a été adoptée en juillet 2015 mais l’état ne l’a pas encore utilisée à l’encontre d’un gréviste de la faim. La loi autorise les autorités a demander un ordre de justice obligeant les médecins à nourrir ou à soigner de force des grévistes de la faim contre leur volonté par la pose de perfusions ou de sondes gastriques. L’état est censé s’adresser aux tribunaux quand le personnel médical estime que la vie d’un gréviste de la faim est en danger dans le cas d’un refus collectif de soins et de nourriture.
Le fondement de tout traitement médical est la relation entre le médecin et le patient. C’est une relation fondée sur la confiance et la conscience que le médecin agira pour le bien de la santé du patient et de sa guérison, tout en prenant en considération son autonomie, et le principe du consentement éclairé. En pratique, il y a interdiction de l’alimentation forcée dans les règles d’éthique médicale parce que faire ceci est une violation du principe de l’autonomie du patient, ne tient pas compte du manque de consentement éclairé, et constitue un traitement nuisible, inhumain et dégradant qui peut être considéré comme de la torture.
Le débat qui a eu lieu autour du vote de la loi sur l’alimentation forcée a mis en évidence de fortes objections de la part de l’Association Médicale Israélienne et du Conseil Israélien de Bio-Ethique, en raison, entre autres, du fait que les médecins estiment que les grévistes de la faim peuvent se voir administrer un traitement en accord avec la Loi sur les Droits des Patients. Le Ministère de la Santé, en revanche, a soutenu la loi.
Depuis l’adoption de la loi sur l’alimentation forcée, de nombreux détenus palestiniens ont mené des grèves de la faim pour protester contre leur maintien en détention administrative, une pratique par laquelle Israël emprisonne des Palestiniens sans inculpation ni jugement, parfois de façon indéfinie. Certains de ces grévistes de la faim ont dû finalement être hospitalisés en Israël ; beaucoup d’entre eux ne buvaient que de l’eau sans complément en vitamines ou en minéraux, et refusaient de passer tout examen médical, y compris des analyses de sang. Cette sorte de situation rend très difficile des soins médicaux. Les principes de traitement des grévistes de la faim comprennent un dialogue continu entre le médecin et le patient : ce dernier doit comprendre les conséquences de tout acte à toutes les étapes du traitement, et doit affirmer si lui ou elle est prêt-e à accepter le traitement à chaque étape du processus, ou réaffirmer son opposition.
Une grève de la faim est une forme de protestation non-violente, utilisée seulement quand quelqu’un voit qu’il n’y a aucun autre moyen de s’opposer à l’injustice à laquelle il ou elle fait face — dans le cas présent, la détention administrative. Le détenu administratif est confronté à l’état, au Service des Prisons d’Israël, et à toutes les forces de sécurité, qui d’une part ne veulent pas céder aux pressions de la population, mais qui d’autre part sont soucieuses quant aux conséquences possibles de la mort d’un gréviste de la faim alors qu’il est sous la garde des Israéliens.
Selon les recherches menées par les Médecins pour les Droits de l’Homme-Israël, les équipes hospitalières dans le pays ont résisté aux pressions des services de sécurité dans le but de briser les grèves de la faim et de punir les grévistes. Depuis l’adoption de la loi, il n’y a eu qu’un seul cas dans lequel l’état a menacé d’utiliser la loi. Toutefois, depuis que la plupart des médecins ont refusé de nourrir de force les patients, les autorités l’ont suffisamment compris pour décider de ne pas essayer de faire usage de la loi. Dans la plupart des cas, les personnels médicaux ont respecté la volonté et l’autonomie de leurs patients, en refusant de contrevenir aux principes fondamentaux de l’éthique médicale.
Il est intéressant de noter que les comités d’éthique au niveau des hôpitaux ont en fait accordé aux médecins la permission d’alimenter de force les patients dans les cas où leur état de santé se dégradait. Cependant les personnels médicaux “sur le terrain” ont refusé d’agir ainsi, en argumentant qu’utiliser la force et attacher les patients à leur lit au cours du traitement (qui pourrait durer au moins quelques jours) pourrait menacer leur santé et leur vie.
La fermeté des personnels médicaux malgré les pressions exercées sur eux est digne d’éloges, et doit imposer une relance du débat sur une législation qui contrevient aux principes de l’éthique médicale. De telles initiatives peuvent bien servir des buts politiques, néanmoins la loi sur l’alimentation forcée démontre qu’elles sont vouées à l’échec. L’éthique médicale a été destinée à protéger tous les patients et à empêcher la violation de leurs droits humains. La communauté médicale comprend bien que l’éthique protège tous les médecins dans des situations dans lesquelles la priorité est donnée à des considérations politiques et sécuritaires passant avant les décisions purement médicales.
Ainsi, toutes les lois qui violent les principes humains fondamentaux en même temps qu’elles foulent aux pieds l’éthique médicale sont vouées à l’échec. La solution aux dilemmes politiques et sécuritaires doit être trouvée en conformité à l’éthique et aux normes des droits humains — autrement, elles ne seront jamais appliquées.
Le Dr. Birmans est membre du Comité d’Ethique des Médecins pour les Droits de l’Homme – Israël. Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Appel Local (version en hébreu du blog +972, sur lequel sont publiés des articles d’auteurs juifs ou arabes, 972 étant l’indicateur téléphonique d’Israël et des Territoires Palestiniens Occupés).
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers