Nada Mahmoud Youssef sourit beaucoup, mais ses yeux restent inquiets. La septuagénaire a toujours habité le village de Qusra. Cette petite localité du nord de la Cisjordanie, proche de Naplouse, compte environ 5 300 habitants. La région est réputée pour ses terres arables. Les terrains, souvent escarpés, y ont vu des générations de bergers faire paître leurs chèvres et leurs moutons. Mais depuis la fin des années 1990, le paysage de Qusra et des villages alentour a beaucoup changé. Aujourd’hui, côté poulailler comme côté salon, les fenêtres de Nada donnent sur des colonies israéliennes où 4 000 habitations « sauvages » ont été légalisées la semaine dernière.
Violence omniprésente
La ferme de Nada, à l’extrémité sud de Qusra, fait face à l’une de ces implantations israéliennes. Esh Kodesh a été fondée en 2000. Aujourd’hui, plus d’une centaine de personnes y vivent. Nada se souvient : « Quand la première caravane d’Esh Kodesh est arrivée, on savait déjà que c’était mauvais signe, mais on ne pouvait rien faire, puisqu’étant agriculteurs, nous ne pouvions pas quitter nos terres ! » La vie est devenue compliquée : l’accès aux terres est limité par l’armée israélienne et la violence est omniprésente. Les colons, dont certains cultivent la vigne sur des terres appartenant à des propriétaires palestiniens, ont harcelé la ferme des dizaines de fois. À plusieurs reprises, ils ont jeté des bombes lacrymogènes sur la maison et la fumée a contaminé le lait qui venait d’être collecté. Plus grave encore, son mari a été agressé physiquement plusieurs fois.
Toute la famille craint qu’un des petits-enfants ne soit attaqué sur la route en venant voir leurs grandsparents. Nada a même quitté la maison pendant quelques semaines à l’été 2015, après l’incendie par des colons d’une maison de Duma, un village voisin, causant la mort d’un couple et de son bébé. « Je n’ai pas peur de mourir, mais pas brûlée vive ! » , s’écrie-t-elle. Avant de revenir, elle a obtenu de son mari qu’il fixe une autre rangée de pics aux entrées de la maison. Première Urgence internationale, une ONG de défense des victimes de conflit à travers le monde, suit la ferme des Mahmoud Youssef. En 2011, elle a construit un muret pour la protéger de ce type d’attaques. « On se sent moins vulnérable, mais au bout du compte, on finira par devoir partir, conclut Nada. Qui sait ? Demain peut-être ! »