Les entreprises françaises et les violations des droits humains dans les Territoires Palestiniens Occupés
En mars 2012, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU (CDH-NU) a mandaté « une mission internationale indépendante d’établissement des faits » chargée d’étudier les effets des colonies israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans les Territoires Palestiniens Occupés (TPO), y compris Jérusalem-Est. Ce rapport se penche notamment sur le rôle des entreprises y compris étrangères dans la colonisation.
La mission, présidée par la juriste française Christine Chanet a rendu son rapport qui a été adopté le 18 mars 2013 à l’unanimité de ses membres moins les États-Unis [1].
Le Conseil :
• Affirme que les colonies Israéliennes dans les TPO sont illégales, constituent des graves violations du droit international humanitaire et des droits humains des Palestiniens et compromet gravement les efforts internationaux dans le processus de paix et pour la réalisation d’un état Palestinien viable, contigu, souverain et indépendant.
• Dénonce les destructions de maisons, la violence et les menaces que font peser les colons, en toute impunité, sur la vie et les biens des Palestiniens.
• Constate que « les colonies de peuplement sont maintenues et développées à travers un système de ségrégation total entre les colons israéliens et la population habitant dans les territoires occupés ».
• Demande à tous les États de remplir leurs obligations en vertu du droit international et « d’assumer leurs responsabilités dans leur relation avec un État qui viole une norme impérative du droit international ». Le rapport constate les violations liées à la colonisation et le fait que des entreprises ont, directement et indirectement, permis la construction et la croissance des colonies de peuplement, les ont facilitées et en ont profité. Outre les violations des droits des travailleurs palestiniens, la mission constate un certain nombre d’activités commerciales et de problèmes connexes qui soulèvent des préoccupations particulières en ce qui concerne les violations des droits de l’homme tels que la fourniture d’équipements et de matériels facilitant la construction et l’expansion des colonies de peuplement et du mur, ainsi que des infrastructures associées ; l’installation d’équipements de surveillance et d’identification dans les colonies de peuplement, le long du mur et aux points de contrôle directement liés aux colonies de peuplement ; la fourniture d’équipements destinés à la démolition de logements et de propriétés et à la destruction de fermes agricoles, de serres, de vergers d’oliviers et de plantations ; la fourniture de services de sécurité, d’équipements et de matériels de sécurité à des entreprises exerçant dans les colonies de peuplement ; l’offre de services et de prestations contribuant à l’entretien et à l’existence des colonies de peuplement, y compris dans le domaine des transports ; les opérations bancaires et financières contribuant au développement, à l’expansion et à l’entretien des colonies de peuplement et de leurs activités, y compris les prêts immobiliers destinés à la croissance des entreprises ; l’utilisation de ressources naturelles, en particulier l’eau et la terre, à des fins commerciales ; la pollution et le dépôt de déchets dans les villages palestiniens ou le transfert de tels déchets vers les villages palestiniens, la captivité des marchés financiers et économiques palestiniens et les pratiques qui mettent les entreprises palestiniennes dans une situation défavorable, notamment les restrictions à la liberté de circulation, les restrictions administratives et les contraintes juridiques ; l’utilisation des profits et des réinvestissements réalisés par les entreprises appartenant en totalité ou en partie à des colons pour développer, élargir et entretenir les colonies de peuplement.
Également, la mission note que certaines entreprises s’étaient retirées des TPO parce que leur présence nuisait à leur image et pouvait avoir des conséquences juridiques.
Enfin, le rapport invite les entreprises privées qui travaillent avec Israël à vérifier qu’elles ne violent pas ainsi les droits humains des Palestiniens et les États dont elles relèvent à faire de leur côté de telles vérifications, en conformité avec les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme.
Le rapport interne des chefs de mission de l’UE, basés à Jérusalem et à Ramallah, émis début 2013 tire des conclusions analogues. Il constate que la colonisation est "systématique, délibérée et provocatrice" et préconise notamment aux 27 Etats membres d’"empêcher les transactions financières, de les décourager et d’informer sur leurs conséquences problématiques, y compris en ce qui concerne les investissements étrangers directs, en faveur des activités, des infrastructures et des services dans les colonies".
Et pourtant malgré les condamnations constantes de la colonisation et le rappel de son illégalité, l’Union européenne dont la France, à travers ses échanges commerciaux, participe directement au renforcement des colonies israéliennes comme le montre le rapport « La Paix au rabais » publié par 22 organisations non gouvernementales rendu public en octobre 2012 : l’UE importe 15 fois plus de produits provenant des colonies israéliennes que de produits palestiniens.
En ce qui concerne la France, ces liens se manifestent de plusieurs manières :
• Importation par des entreprises françaises de produits des colonies israéliennes, produits agricoles provenant notamment de la Vallée du Jourdain ou produits industriels (par exemple : machines à gazéifier Sodastream produite dans la colonie de Mishor Adoumim, produits cosmétiques Ahava issus de la colonie Mitzpe Shalem etc.).
• Investissement direct d’entreprises françaises dans des projets ou réalisations profitant directement à la colonisation et la consolidant (Veolia et Alstom dans le tramway reliant Jérusalem-Ouest à la colonie israélienne Pisgat Zeev).
• Services rendus à des colonies israéliennes à travers des filiales locales (déchetterie et traitement des eaux par TMM une filiale de Veolia, lignes de bus opérées au profit de colonies par Veolia, Dexia finançant des projets de collectivités territoriales de colonies…).
• Accord commercial direct avec une entreprise israélienne implantée dans les colonies (accord de licence de marque de France Télécom Orange avec l’opérateur israélien Partner Communications).
Le rapport de la mission de l’ONU, enfin, demande à tous les États « de prendre les mesures qui s’imposent pour faire en sorte que les entreprises commerciales domiciliées sur leur territoire et/ou relevant de leurs compétences, y compris celles qui sont la propriété de l’État ou contrôlées par l’État, qui ont des activités dans les colonies de peuplement ou des activités en relation avec les colonies respectent les droits de l’homme dans toutes leurs activités » [2].
Pour être cohérent avec la défense du droit international et du droit international humanitaire il est nécessaire que le gouvernement français émette des lignes directrices à l’attention des entreprises françaises afin d’empêcher, de décourager les transactions financières et commerciales, qui directement ou indirectement soutiennent la colonisation israélienne et contribuent à des violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme des Palestiniens, et d’informer sur leurs conséquences problématiques. Les Principes Directeurs de l’ONU sur les Entreprises et les Droits de l’Homme rappellent l’obligation de l’Etat de protéger les droits de l’homme des impacts négatifs découlant des opérations des entreprises. Au delà de déclarer l’illégalité des colonies, il est temps que la France se conforme à son obligation de protéger les droits de l’homme et prenne des mesures pour garantir que ses entreprises ne contribuent pas à, et profitent de, cette situation illégale.
Dans la rédaction des dites lignes directrices à l’attention des entreprises françaises, le gouvernement français doit collaborer étroitement avec la société civile et les victimes des violations des droits de l’homme liées aux opérations des entreprises françaises dans les TPO ; engageant toutes les parties prenantes, y compris les procédures spéciales et autres organes des Nations unies.
Il y va aussi de l’image et de la crédibilité de la France, pays des droits de l’homme.
Robert Kissous, Bureau National de l’Association France Palestine Solidarité