Le 12 juillet 2006, Israël a déclenché
une agression contre le Liban,
Etat membre fondateur des
Nations unies. Le prétexte en était les
représailles à une action militaire très
limitée contre ses forces, au cours de
laquelle deux soldats israéliens ont été
capturés. Cette action militaire limitée
avait pour but, selon ses auteurs, de faire
pression (en disposant d’une « monnaie
d’échange ») pour libérer des prisonniers
de guerre libanais détenus en Israël
dont au moins un depuis près de trente
ans, cette libération n’ayant pu être obtenue
par les tentatives de négociation du
gouvernement libanais depuis un an.
Quelle que soit la raison - ou la justification
pour certains - de cette riposte,
elle était absolument disproportionnée
quant aux moyens mis en oeuvre et aux
destructions infligées au peuple libanais.
Israël a commis, en lançant la guerre
et en la menant, des crimes graves, qualifiés
comme tels dans les instruments
internationaux, en particulier les conventions
de Genève de 1949. Des éléments
commencent à être rassemblés tant par
le gouvernement libanais que par des
associations (nationales, étrangères et
internationales) en liaison avec des
juristes (libanais et étrangers). Des juristes
spécialisés en droit international travaillent
sur la qualification des crimes
commis, la pertinence d’éventuelles
actions, les juridictions à saisir (libanaises,
nationales d’autres pays ou internationale
et, le cas échéant, laquelle).
Quelles actions peuvent être menées par
l’Etat libanais (et lui seul), quelles actions
les individus victimes de ces crimes
peuvent-ils engager ?
Nous n’avons pas ici la prétention de
répondre à l’ensemble de ces questions
mais d’évoquer les premiers éléments de
bilan de ces crimes et les possibilités
qui, à première vue, pourraient se présenter.
L’Etat libanais victime d’agression
Mille trois cents tués libanais, 4000 blessés,
la plupart des civils parmi lesquels
de nombreux enfants, plus d’un million
de personnes déplacées, villages et quartiers
entièrement démolis, infrastructures
civiles vitales (ponts, routes, réseaux
d’électricité, usines alimentaires, ...)
détruites, l’économie du pays étouffée,
tout cela après l’entrée massive dans
l’espace maritime, aérien et même terrestre
du Liban, Etat souverain, membre
de l’ONU. Les Libanais considèrent
que, le 12 juillet, leur pays a été victime
d’une agression caractérisée.
L’Etat libanais pourrait se tourner vers
la Cour internationale de Justice, organe
principal de l’ONU, pour qu’elle tranche
le différend qui l’oppose à l’Etat d’Israël.
Certes, la CIJ est ouverte aux Etats
membres des Nations Unies qui ont ipso
facto adhéré au statut de la Cour. Mais
pour ce faire, il faut le consentement
des deux parties... Le consentement
d’Israël est certainement exclu. De surcroît,
il n’est pas certain que l’Etat libanais
envisage de mettre en cause un Etat
qu’il n’a pas encore reconnu au plan
international.
L’Etat libanais peut faire appel au Conseil
de sécurité des Nations unies responsable
du maintien de la paix et de la
sécurité internationale pour qu’il mette
en oeuvre le chapitre VII de la Charte
(« Action en cas de menace contre la
paix, de rupture de la paix ou d’acte
d’agression »). En fait le Conseil de sécurité
s’est déjà saisi de la question et sa
résolution 1701 du début août 2006 est
en cours d’application avec sa force
d’interposition internationale. Si le
Conseil de sécurité n’était pas instrumentalisé,
comme cela est le cas, par
les grandes puissances et leur allié israélien,
il aurait qualifié cette guerre, dès
son début (comme il lui revient de le
faire) d’agression et il en aurait tiré les
conséquences du point de vue du maintien
de la paix, y compris par des sanctions
à l’égard d’Israël.
Reste le droit pénal international. L’Etat
libanais pourrait poursuivre le chef du
gouvernement israélien ès-qualités, ou
son ministre de la Défense, ou son chef
d’Etat-major, ou les trois, pour avoir
décidé et lancé une guerre d’agression
contre lui. Devant quelle juridiction ?
La Cour pénale internationale ? Celleci
n’est pas un organe de l’ONU et ni le
Liban ni Israël ne sont signataires du
statut de Rome qui l’institue. De surcroît
il faut savoir que le statut de Rome
inscrit le crime d’agression comme l’un
des crimes de sa compétence mais pour
ajouter aussitôt : « La Cour exercera
sa compétence à l’égard du crime
d’agression quand une disposition aura
été adoptée conformément aux articles
121 et 123, qui définira ce crime et fixera
les conditions de l’exercice de la compétence
de la Cour à son égard. Cette
disposition devra être compatible avec
les dispositions pertinentes de la Charte
des Nations Unies. » Autrement dit,
c’est, en l’état actuel, une voie à peu
près bouchée. Les juristes doivent-ils
revenir sur la nécessité pour la communauté
internationale de définir le
crime d’agression ? [1]Il semble que la doctrine
soit partagée sur ce point.
Les victimes civiles
Malheureusement l’Etat d’Israël ne s’est
pas contenté de lancer une agression
programmée de grande envergure contre
le Liban. Celle-ci a consisté en des
attaques systématiques et délibérées
contre des populations et des infrastructures
civiles.
Crimes de guerre
L’armée israélienne a commis de graves
violations de la IVe Convention de Genève
du 12 août 1949, et des protocoles additionnels
du 8 juin 1977. Ces violations
entrent dans la définition même des
crimes de guerre du Statut de la Cour
pénale internationale. Ainsi, outre l’homicide
intentionnel, des attaques terrestres,
maritimes et aériennes de l’armée israélienne
ont détruit des biens : entreprises
civiles, industrielles et commerciales,
sans aucune nécessité militaire...L’armée
israélienne a recouru aussi à des bombardements
de sites civils en tant que
tels dans toutes les régions citées ainsi
que des ponts principaux (plusieurs
dizaines) dans le but exprimé d’interrompre
la circulation entre les régions
du pays et d’empêcher le transport des
matières nécessaires d’une région à
l’autre. Elle a bombardé des missions
de secours (les véhicules du Croissant
rouge envoyés par les Emirats arabes
unis) et les lieux de rassemblement des
blessés et des malades (à Tyr par exemple
où a été attaqué un bâtiment renfermant
un dispensaire et un centre de défense
civile), des moyens de transport civils,
comme les camions qui transportent des
produits agricoles, des centrales électriques,
des monuments historiques et
des biens culturels à Tyr, des bâtiments
de culte, des écoles...
Des articles et des rapports [2] font aussi
état de l’emploi d’armes incendiaires et
même d’armes inconnues jusqu’alors.
Près d’un million deux cent mille Libanais
ont été expulsés de leurs habitations,
soit le quart de la population. Des
stations de télévision ont été attaquées
ainsi que des bâtiments des Nations
unies... Cette liste n’est probablement
pas exhaustive.
Crimes contre l’humanité
Dans son agression, l’armée israélienne
a lancé intentionnellement une « attaque
généralisée contre toute une population
civile » en tant que telle, dans toutes
les villes du Sud-Liban, dans certaines
villes du Mont Liban et dans de vastes
régions de la Beqaa et du Nord-Liban,
et dans la banlieue sud de Beyrouth qui
abrite plus d’un million d’habitants sur
une population totale de trois millions
et demi pour l’ensemble du Liban. Certains
quartiers ont été détruits complètement
et le nombre des victimes a atteint
plusieurs milliers, morts et blessés, dont
la majorité sont des enfants. Ces actes
sont qualifiés dans le statut de la Cour
pénale internationale (CPI) comme des
crimes contre l’humanité [3]
Crimes de génocide
Certains juristes libanais s’interrogent
même sur la possible qualification de
crime de génocide, en avançant que
l’armée israélienne essaie de détruire,
et en tant que telle, une grande partie
de la population libanaise par le bombardement
systématique, la famine et
l’expulsion... en violation de la convention
de l’interdiction de génocide (1948).
Nous laisserons là encore les juristes se
pencher sur cette délicate question.
Quels instruments et quelles juridictions ?
Ainsi, Israël transgresse-t-il tous les textes
et coutumes de la guerre et surtout :
les conventions de la guerre terrestre
(La Haye 1907), qui prohibent la destruction
des biens sans nécessité militaire
pressante ( art 22), l’attaque et le bombardement
des villes, des villages et des
habitations non défendus (art 25), qui
prescrit de prendre toutes les précautions
nécessaires pour éviter de bombarder
les rassemblements de blessés et
malades (art 27) ;
la quatrième convention de Genève
dans ses articles 16, 17, 21 et 23 relatifs
au blessés et malades ;
le premier protocole additionnel aux
conventions de Genève, dans ses articles
qui interdisent l’utilisation des armes
causant des maux superflus (art 35/2) ;
prescrit de faire des distinctions entre
la population civile et les combattants,
ainsi qu’entre les biens de caractère civil
et les objectifs militaires, et en cas de
doute les personnes et les biens étant
considérés comme civils (art 48, 50/2
et 50/3) ; interdit les actes ou les menaces
de violence dont le but principal est de
répandre la terreur parmi la population
civile (art. 51/2) ... ;
et encore d’autres instruments comme
le Pacte international relatifs aux droits
économiques, sociaux et culturels, la convention de Genève de 1980, etc.
Mais quels tribunaux les plaignants pourraient-ils saisir ? Nous reviendrons plus
en détail sur ces sujets. Selon la nature
des plaintes et la nationalité des plaignants,
en premier lieu les tribunaux
libanais si les auteurs des crimes sont
identifiés, surtout s’ils peuvent être arrêtés
sur le territoire et y être jugés. Ensuite
par des tribunaux nationaux selon leur
droit pénal interne dans les cas où des
victimes auraient cette nationalité et porteraient
plainte devant eux (s’ils acceptent
de traiter comme un crime de droit
commun un crime commis en situation
de guerre). En dernier lieu pour les crimes
de guerre par n’importe quel tribunal
national qui appliquerait la compétence
universelle [4].
L’impunité dont a bénéficié l’Etat d’Israël
pour les crimes commis contre les Palestiniens,
malgré les rapports, dénonciations,
condamnations, y compris par la
plus haute juridiction du monde (Avis
de la CIJ du 19 juillet 2004), ne doit
pas perdurer. Les violations du droit
international et du droit international
humanitaire dans l’agression de l’Etat
libanais doivent commencer à recevoir
une réponse judiciaire sauf à choisir
définitivement pour le monde l’empire
de la force et non celui du droit.
Sylviane de Wangen