Appels à la « désobéissance civile » ; analogies nauséabondes entre le redéploiement de Gaza et le génocide nazi des juifs d’Europe (condamnées par le directeur du mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem)... le tumulte provocateur des colons israéliens n’est pas pour surprendre. Michel Dahan, politologue israélo-américain, revient sur la stratégie de ces colons, notamment au sein du Likoud, ces dernières années, et sur les risques ou non de guerre civile.
Le projet historique israélien de colonisation des territoires palestiniens, qui nourrit leur idéologie et leurs pratiques, serait-il en cause ?
On a beaucoup écrit pour et contre le projet de Sharon de désengagement de la bande de Gaza, y compris sur le démantèlement des colonies qui s’y trouvent, de celles, isolées, du nord de la Cisjordanie et le redéploiement de l’armée israélienne à l’intérieur de la bande de Gaza. Pourtant un aspect crucial a été oublié par la plupart des commentateurs : le potentiel que représente le démantèlement de colonies et ses conséquences, avec la possibilité de transformation et de catharsis, sur la société israélienne.
Depuis 1967, Israël, d’abord sous les travaillistes - les premières colonies dans la bande de Gaza ont été établies par les travaillistes en 1971 - puis sous le Likoud, a fait des efforts énormes pour peupler la Cisjordanie et Gaza de colonies illégales, investissant environ 100 milliards de dollars en 38 ans dans cette entreprise illégale, avec comme résultat la présence d’environ 250 000 colons dans ces territoires occupés (en gros 3,5 % de la population israélienne).
Les colons et leurs représentants ont acquis un pouvoir politique disproportionné, perçu et réel, pendant cette période, apparaissant immédiatement derrière l’armée israélienne en termes de pouvoir politique, de réalisations et d’influence. Les colons et la droite qui collabore avec eux ont réussi à atteindre des positions influentes à l’intérieur du secteur public israélien, surtout dans les structures gouvernementales chargées de l’administration des terres à l’intérieur d’Israël même et dans les territoires. D’où la difficulté d’obtenir des informations par exemple sur le nombre de colonies sauvages illégales en Cisjordanie. En outre, la plupart des postes de responsabilité de niveau moyen ou élevé dans l’administration civile des territoires est aux mains des colons.
En fait, depuis cinq ans, les colons et leurs troupes se sont emparés de plus d’un tiers des sièges au comité central du Likoud, en une tentative concertée pour prendre le contrôle total du parti.
Depuis le début des années 90, les colons et leurs alliés ont mené ce qu’on ne peut qu’appeler une guerre psychologique contre les hommes politiques israéliens de gauche et de droite et contre le public israélien. Le but de cette guerre psychologique ? Frapper de peur et d’incertitude le cœur des citoyens et des décideurs israéliens afin de les empêcher d’arriver à la seule solution logique au conflit israélo-palestinien : le démantèlement des colonies, un retour aux lignes de 1967, une juste solution au problème du retour des réfugiés palestiniens et la création d’un Etat palestinien viable.
Plus récemment, alors que le vote à la Knesset sur le plan de désengagement approchait, des personnages centraux parmi les colons ont brandi la menace de guerre civile si Israël se retire de la bande de Gaza. De plus, de nombreux rabbins importants de la droite messianique [1] ont appelé les soldats religieux dans l’armée israélienne à refuser de participer au redéploiement de Gaza et au démantèlement des colonies à Gaza et dans le nord-est de la Cisjordanie. Le faire, selon ces personnes, amènera à une rupture irréparable dans la société israélienne et à la guerre civile.
En réalité ce n’est pas le cas. Le retrait de Gaza ne mènera pas à la guerre civile, pas plus qu’il ne créera une rupture, irréparable ou non, en Israël même. Tous les chiffres et les sondages montrent qu’en fait 70% du public israélien approuvent le désengagement. A vrai dire on trouve peu de questions sur l’agenda israélien qui entraînent un soutien aussi large. De même qu’Israël n’a pas subi de guerre civile du fait du démantèlement des colonies du Sinaï, il est tout à fait improbable que cela se produira avec Gaza et la Cisjordanie. En réalité, Israël n’a fait que gagner dans le passé en rendant des territoires conquis et occupés, et il continuera à tirer profit d’actions de cette nature dans l’avenir.
Ce qui fait peur aux colons, c’est qu’après 38 ans d’occupation, ils sont forcés d’abattre leurs cartes. Bizarrement, c’est leur ancien mentor et allié, Ariel Sharon, qui les force à montrer leur jeu au public - et leur main est vide. Pendant 38 ans les colons ont réussi à paralyser les dirigeants politiques qui voulaient qu’Israël se débarrasse des colonies. Leurs supporters ont assassiné le Premier ministre Yitzhak Rabin et ils menacent maintenant physiquement Sharon.
Après le vote de la Knesset, des graffiti appelant à la mort de Sharon sont apparus sur les murs de Jérusalem et Tel-Aviv. Pendant 38 ans les colons et leurs troupes ont réussi à empêcher la seule décision capitale à laquelle étaient confrontés le public et la direction israéliens : se débarrasser des territoires occupés.
Le plan de désengagement menace donc d’arracher le masque du pouvoir mythique des colons. Il mettra à l’épreuve la menace des colons et, comme dans les contes de fées, il sera vite clair que l’empereur est nu. Dès que cela sera intégré par l’opinion et la direction israéliennes, le pouvoir politique des colons se dissipera comme la brume.
Une fois que l’opinion et la direction israéliennes verront que l’on peut démanteler les colonies, cela aura vraisemblablement un effet de dominos et le château de cartes des colons s’écroulera très vite. Les colons seront alors forcés de décider où est leur loyauté - avec la vision messianique du « grand Israël » qui s’accompagne de l’occupation et de la soumission du peuple palestinien, ou avec l’Etat d’Israël, dans des frontières définies et libéré du bourbier moral, éthique et politique de l’occupation.
Il reste maintenant à voir si Sharon ira vraiment de l’avant pour le redéploiement et le démantèlement des colonies et si son gouvernement aura la capacité de faire face à l’agitation politique prévisible pour les mois à venir.
L’ancien premier ministre Ehoud Barak aime se glorifier, à tort ou à raison, d’avoir dévoilé les vraies intentions d’Arafat. De manière ironique, Ariel Sharon, mentor et architecte de l’aventure des colonies, pourra se glorifier dans l’avenir d’avoir dévoilé le vrai visage des colons et de leur pouvoir apparent et il facilitera la tâche des futurs dirigeants israéliens pour démanteler les colonies et avancer vers un accord politique avec les Palestiniens.
Traduction de l’anglais : Claude Léostic