Candidat à la présidentielle, Nicolas Sarkozy avait tenu à affirmer depuis les Etats-Unis ses affinités avec les orientations politiques de la Maison blanche et de ses affidés néo-conservateurs, singulièrement au Proche-Orient. Désormais président, il a « voulu que la première visite d’Etat en France » [1] depuis son élection « soit réservée à Israël » et, ajoute-t-il, « à vous Monsieur le président Pérès ».
Peu sans doute auront été dupes du discours officiel sur le caractère apolitique et purement littéraire -comme si la littérature s’exonérait du politique- du salon du livre, en dépit des efforts de certains journaux du soir ou du matin. L’engagement de l’ambassade d’Israël dans le choix des auteurs comme l’invitation faite à Shimon Pérès pour l’inauguration officielle ont confirmé la détermination de la présidence française à prendre prétexte du soixantième anniversaire de l’Etat d’Israël pour tenter de réaliser une opération de communication politique censée justifier le rapprochement avec Tel-Aviv, et ce dans la négation et l’invisibilité totales des soixante ans de l’expulsion et de la dépossession palestiniennes, de la Nakba, comme un nouvel effacement de l’histoire. Une tentative qui ressemble fort à une offensive idéologique sans précédent depuis 1967, pour légitimer un rapprochement politique et stratégique lui aussi sans précédent depuis lors.
Dès avant l’élection présidentielle déjà, Nicolas Sarkozy ou ses conseillers n’avaient pas hésité à prôner d’autres relations à l’Otan, à justifier le contournement de l’Onu, à désigner l’Iran comme menace première dans la région, à plaider la communauté de valeurs et d’histoire qui uniraient la France et Israël, en choisissant comme date de référence 1956, c’est-à-dire l’année de la piteuse expédition de Suez.
Et de mettre les symboles au service d’une telle orientation. La visite officielle de Shimon Pérès en France s’accompagne par exemple d’une exposition de la direction des archives du ministère des Affaires étrangères, portant sur « les faits saillants qui ont précédé la naissance de l’Etat d’Israël » et partant sur la nature du soutien de la France au projet sioniste. Nicolas Sarkozy se réjouit aujourd’hui du « renouveau de la relation entre nos deux pays ». Il brosse un portrait partisan d’Israël, donné comme « l’une des sociétés les plus ouvertes et les plus brillantes, l’une des économies les plus performantes et les plus dynamiques au monde », oubliant à la fois l’aide économique, financière, militaire, politique, considérable que les Etats-Unis lui attribuent et l’incompatibilité entre la pétition de progressisme ou de démocratisme et la réalité de l’occupation militaire et du viol permanent du droit international et des droits humains les plus élémentaires. Certes, le président de la république reprend à son compte les réponses apportées au questionnaire de la plateforme des ONG françaises pour la Palestine durant la campagne électorale, dont l’exigence d’une solution politique fondée sur la coexistence entre deux Etats indépendants dans les frontières de 1967. Mais à l’instar de son ministre des Affaires étrangères il se satisfait des promesses du gouvernement israélien, notamment sur l’arrêt de la colonisation, même quand elles sont immédiatement démenties dans les faits, et il n’accepte d’envisager aucune sanction de la politique israélienne. Ressasser « processus d’Annapolis » comme d’autres ou les mêmes ressassaient hier « processus d’Oslo » indépendamment de toute réalité suffirait à nourrir « l’espoir », ourtant seulement virtuel, et justifierait le laisser faire, en appuyant les Etats-Unis sans autre intervention.
L’ordre du réel comme celui des séquences est inversé. Ainsi la sécurité israélienne passerait-elle avant la fin de la colonisation ; la mise en place d’institutions palestiniennes démocratiques avant la fin de l’occupation… La libération du tankiste Shalit est présentée comme une exigence contrairement à celle de plus de 10000 prisonniers politiques palestiniens. Quant au jeune Franco-palestinien Salah Hamouri, qui croupit depuis trois ans dans les prisons israéliennes sans accusation sérieuse, la France plaide pour qu’il soit jugé… par Israël. A l’inversion des séquences et des priorités s’ajoute naturellement celle des pressions pour un règlement. Le peuple palestinien est sanctionné pour la nature de son choix démocratique, mais avec Tel-Aviv se développent les relations non seulement politiques et économiques mais aussi stratégiques et militaires.
De quoi conforter une vision du monde hasardeuse inscrite dans une logique de guerre des « civilisations » qui se nourrit aussi de la mise en concurrence victimaire des citoyens.
Mais Nicolas Sarkozy ne s’est pas contenté de flatter son hôte, en cette mi-mars. Il a aussi formulé des promesses. Sur l’Iran, d’abord. « Israël n’est pas seul », a-t-il affirmé, appelant à une grande fermeté contre le programme nucléaire iranien sans même évoquer le nucléaire militaire israélien auquel Paris contribua en son temps, ni suggérer la fin du nucléaire militaire dans la région. Sur l’Europe, ensuite, que la France présidera à partir du premier juillet : « Israël peut également compter sur le soutien de la France pour donner dans le cadre de notre présidence un nouvel élan à sa relation avec l’Union européenne (…) ».
Autant d’orientations, de symboles, d’actes forts, qui appellent à une intervention citoyenne pour que la France prenne un autre chemin : celui du droit, celui de l’engagement non virtuel mais bien réel en faveur d’un règlement politique fondé sur le droit. L’accueil intéressé et bienveillant réservé par les lecteurs curieux, à l’entrée du salon du livre, aux militants de l’AFPS venus distribuer tracts, informations, et proposer le débat, est de ce point de vue encourageant.
I.A.
Le 16 mars 2008.