Aujourd’hui ces choses-là ressemblent au bon vieux temps.
Depuis lors, le conflit entre les Israéliens et les Palestiniens a vu les pierres remplacées par des pistolets et des attentats-suicides, puis par des roquettes et des milices bien entraînées, et maintenant, le mois dernier, par des couteaux de cuisine, des tournevis et d’autres armes improvisées. Certaines de ces tentatives rudimentaires ont été terriblement performantes, avec des victimes n’ayant que 13 ans. Il y a beaucoup à dire sur la nature et le déroulement de cette récente vague d’attaques palestiniennes — réponse désespérée et humiliée à l’élection d’un gouvernement israélien hostile qui encourage les colons extrémistes à attaquer les Palestiniens. Mais en tant qu’Israélien, je suis plus inquiet des actions de la société qui est la mienne, qui en ce moment devient plus épouvantable et plus laide.
Les débats internes en Israël sont plus combatifs, menaçants et intolérants qu’ils ne l’ont jamais été. Les conversations se sont orientées vers le fondamentalisme depuis l’opération israélienne à Gaza à la fin de 2008, mais cela est allé de mal en pis. Il semble qu’il n’y ait qu’une opinion acceptable, orchestrée par le gouvernement et ses porte-parole, et répercutée aux quatre coins du pays par une tribu d’organes de presse fidèles couvrant tous les autres. Ces quelques dissidents qui essayent de la contredire — de poser des questions, de protester, de représenter une nuance différente de ce consensus artificiel — sont au mieux ridiculisés et traités avec condescendance, au pire menacés, vilipendés et physiquement attaqués. Les Israéliens ne “soutenant pas nos troupes” sont considérés comme des traîtres, et les journaux posant des questions sur les politiques et les actions du gouvernement sont considérés comme démoralisants.
Depuis le début de la guerre à Gaza de l’an dernier, il y a eu plusieurs incidents de violence contre la gauche allant de pair avec les attaques visant les Palestiniens : des protestataires de gauche ont été agressés l’été dernier lors de manifestations contre la guerre à Tel Aviv et Haïfa, pendant la guerre ; le journaliste Gideon Levy de “Haaretz” a été accusé de trahison par un député, un crime qui en temps de guerre est punissable de mort. Depuis il a engagé des gardes du corps. La comédienne Orna Banai a perdu son emploi dans la publicité après un interview dans lequel elle exprimait sa consternation à propos des actions israéliennes contre les Palestiniens. Ce mois-ci, des gens d’Afula ont attaqué un correspondant arabe d’une chaîne de télévision israélienne et son équipe juive alors qu’ils étaient en reportage sur une attaque au poignard. Un nouveau projet de loi à la Knesset encourage une police de la pensée en refoulant les visiteurs en Israël qui ont soutenu le mouvement de boycott des sociétés tirant profit de l’occupation. Vendredi, un colon juif masqué a attaqué le président du groupe de gauche des Rabbins pour les Droits de l’Homme dans une oliveraie palestinienne en Cisjordanie.
Sur les réseaux sociaux, on ne prend plus de gants, les bonnes manières sont laissées de côté, la haine hideuse réapparaît. Des pages Facebook appelant à la violence contre les gens de gauche et contre les Arabes apparaissent fréquemment, et même quand elles sont éliminées, elles réapparaissent sous une forme ou sous une autre. Toute opinion non conforme au consensus supposé suscite un flot de vitriol raciste. Un groupe Facebook qui a pris le nom de Lions de l’Ombre a débattu de la façon de perturber un mariage entre une personne arabe et une personne juive, en diffusant en ligne le numéro de téléphone du marié et en demandant aux gens de l’appeler et de le harceler. Sur Twitter et Instagram, des mots-clés comme #ceuxdegauchedehors et #gensdegauchetraîtres foisonnent. La réalisatrice Shira Geffen, qui a demandé aux spectateurs de son film de faire un moment de silence en hommage aux enfants palestiniens tués lors d’une offensive israélienne, a été éreintée à travers les réseaux sociaux israéliens. “La Honte”, une nouvelle pièce géniale de l’ actrice Einat Weitzman, porte à la scène un choix des remarques haineuses qu’elle a reçues après avoir porté un T-shirt avec le drapeau palestinien. Un exemple tiré de la pièce : “Si le bébé qui a été assassiné était le votre je me demande quel drapeau vous auriez mis. Maintenant piétinez-le et ramenez votre tête hideuse dans votre minuscule appartement et cachez-vous de la honte jusqu’à ce que vous y mourriez seule et peut-être qu’à votre enterrement nous demanderons au Djihad de lire des versets du Coran.”
Dans ce dernier cycle de lutte, le volume a encore été augmenté d’un autre cran. Tandis que les attaques au couteau continuent, ma famille et moi sommes à Omaha, où j’enseigne pendant ce semestre, et ce que j’entends et que je lis venant d’Israël me laisse consterné. Menée à nouveau par des politiciens de la droite (avec le soutien troublant de membres de l’opposition supposée, tel que Yair Lapid), puis diffusée par les médias à sensation dominants, il y a eu une diabolisation généralisée des Palestiniens et des Arabes israéliens. Un récent sondage commandé par le journal “Maariv” a révélé que seuls 19 % des Juifs israéliens pensent que la plupart des Arabes sont opposés aux attaques. La semaine dernière, la tendance a atteint son apogée absurde, avec l’affirmation ridicule du Premier Ministre Benjamin Netanyahu selon laquelle Hitler n’a décidé d’anéantir les Juifs qu’après avoir reçu le conseil de le faire du Mufti de Jérusalem Haj Amin al-Husseini, le dirigeant des Arabes palestiniens à l’époque. (le Twitter israélien a été plein de blagues et de mimes sur le discours qu’une image en circulation a qualifié d’ “Hitlérien.” Même pour les partisans de Netanyahu, manifestement, ceci a été de trop.)
Il y a eu des appels à tuer les attaquants en toutes circonstances, au mépris de la loi ou de toutes les règles admises d’engagement de l’armée. Lapid, par exemple, a déclaré dans une interview, “N’hésitez pas. Même au début d’une attaque, tirer pour tuer est juste . Si quelqu’un brandit un couteau, abattez-le.” Le Ministre de la Sécurité Publique, Gilad Erdan, a donné aussi sa bénédiction à cette idée. Et le chef du service de police de Jérusalem, Moshe Edri, a annoncé, “il est juste que quiconque poignarde des Juifs ou blesse des gens innocents soit tué.” Le député Yinon Magal a twitté que les autorités doivent “faire un effort” pour tuer les terroristes qui effectuent des attaques.
Une telle disposition a conduit à des incidents comme la mort à Jérusalem-Est de Fadi Alloun, soupçonné d’une attaque au couteau mais abattu par la police alors qu’elle l’avait cerné. Parfois, cela se retourne contre nous : ce mois-ci, un membre d’un groupe d’auto-défense juif près de Haïfa a poignardé un collègue juif israélien dont il pensait qu’il était un Arabe. Mercredi dernier, des soldats ont tué un Juif israélien qu’ils ont pris pour un attaquant palestinien.
Le plus bas niveau (jusqu’à présent) a été le lynchage de dimanche soir dernier du demandeur d’asile érythréen âgé de 29 ans, Haftom Zarhum, identifié par erreur comme l’auteur d’une attaque terroriste à Beersheba. Zarhum a été abattu par un garde de sécurité puis battu à mort par une foule de badauds dans une réponse prévisible aux incitations venues de nos propres hommes politiques à tuer pour se venger. Et le ton de plus en plus intolérant, bouillonnant, et raciste des conversations israéliennes est — il n’y a aucune autre façon d’exprimer ceci — un résultat de 48 années d’occupation d’un autre peuple : d’ Israéliens recevant un message (ou au moins le comprenant comme tel) disant que nous sommes supérieurs aux autres, que nous contrôlons le destin de ces autres inférieurs, que nous sommes autorisés à méconnaître les lois et toute notion fondamentale de morale humaine en ce qui concerne les Palestiniens.
L’effet cumulatif de cette récente violence stupide est extrêmement inquiétant. Nous semblons être dans un tourbillon descendant, rapide et préoccupant, vers une société sauvage, irréparable. Il n’y a qu’une solution pour faire face à ce qui arrive aujourd’hui en Israël : nous devons arrêter l’occupation. Non pour la paix avec les Palestiniens ou pour leur bien (quoiqu’ils aient sûrement pendant trop longtemps souffert entre nos mains). Non pour quelque conception d’un Moyen Orient idyllique— ces arguments n’auront jamais de fin, parce qu’aucune des deux parties ne cédera jamais, ni qu’il lui sera donné tort en quoi que ce soit. Non, nous devons arrêter l’occupation pour nous mêmes. De façon à ce que nous puissions nous regarder dans les yeux. De façon à ce que nous puissions légitimement demander, et recevoir, un soutien du monde. De façon à ce que nous puissions redevenir humains.
Quelles que soient les conséquences, elle ne peuvent pas être pires que ce avec quoi nous sommes aux prises. Peu importe le nombre de soldats que nous mettons en Cisjordanie, ou combien de maisons de terroristes nous faisons sauter, ou combien de lanceurs de pierres nous arrêtons, nous n’avons aucune impression de sécurité ; en attendant, nous sommes devenus isolés diplomatiquement, perçus dans le monde (parfois à juste titre) comme des bourreaux, des menteurs, et des racistes. Aussi longtemps que l’occupation dure, nous sommes la partie la plus puissante, ainsi nous appelons les coups, et nous ne pouvons pas continuer à blâmer les autres. Dans notre propre intérêt, pour notre santé mentale — nous devons arrêter maintenant.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers