Les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme ont longtemps attendu ce jour. Mercredi 1er avril, la Palestine devient formellement membre de la Cour pénale internationale (CPI), ouvrant la voie à d’éventuelles poursuites contre des dirigeants israéliens pour crimes de guerre. « Ceux qui ont commis des crimes vont payer. Nous allons ouvrir sur eux les portes de l’enfer, en utilisant les armes éthiques : le droit international », a annoncé Raji Sourani, directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR), basé à Gaza, lors d’une visite à Paris, fin mars.
Les premières salves de cette guerre judiciaire ne devraient pas être tirées mercredi. La concrétisation de la demande d’adhésion à la CPI, déposée fin 2014 par la direction palestinienne après l’échec d’une résolution devant le Conseil de sécurité des Nations unies sur la reconnaissance d’un Etat palestinien, sera avant tout cérémonielle. L’Autorité palestinienne ne déposera pas, du moins dans l’immédiat, de « plainte » visant la colonisation israélienne, comme l’avait annoncé début mars le ministre des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki. Ce dernier recevra juste la copie du statut de Rome, traité fondateur de la CPI. En outre, c’est à la Cour que revient la décision d’enquêter ou non sur les situations précises que portent à son attention les Etats membres.
Examen préliminaire
« Nous ne voulons pas travailler dans la hâte mais soumettre des cas bien construits. Nous allons laisser la priorité à la procureure, avec qui nous coopérons », assure Shawan Jabarin, directeur de l’organisation palestinienne Al-Haq, basée à Ramallah, en Cisjordanie, et vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). La procureure Fatou Bensouda a ouvert, le 16 janvier, un examen préliminaire, après avoir reçu une lettre du président palestinien, Mahmoud Abbas, l’autorisant à enquêter sur des crimes présumés commis dans les territoires palestiniens depuis le 13 juin 2014.
Ce jour-là, les autorités israéliennes avaient lancé une vaste opération de ratissage en Cisjordanie pour retrouver trois adolescents juifs, Naftali Fraenkel et Gilad Shaar, 16 ans, Eyal Yifrach, 19 ans, enlevés puis retrouvés morts. En trois semaines, neuf civils palestiniens ont été tués et des dizaines blessés lors de confrontations avec les soldats. L’escalade des tensions entre les deux camps a conduit Israël à déclencher, le 8 juillet, l’opération « Bordure protectrice » dans la bande de Gaza. Ce conflit, le troisième en huit ans dans l’enclave, a fait, en cinquante jours, 2 140 morts côté palestinien, essentiellement des civils, et 73 côté israélien, dont 66 soldats.
Dès le déclenchement de l’opération militaire, les organisations palestiniennes ont joint leurs forces pour documenter ce qu’elles qualifient de crimes de guerre. La FIDH – dont Al-Haq et le PHCR sont membres – a collecté, au cours d’une enquête menée fin octobre dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, des éléments de preuve, réunis dans le rapport « Prise au piège et punie : la population civile de Gaza lors de l’opération Bordure protectrice », publié fin mars.
Lorsque l’examen préliminaire a été ouvert à La Haye, les organisations de défense des droits de l’homme ont commencé à transmettre leurs éléments aux équipes de la CPI. Les informations collectées lors de l’examen préliminaire seront portées à la connaissance de la chambre préliminaire, chargée d’étudier l’opportunité d’ouvrir une enquête. « Nous espérons que les conditions seront rapidement réunies pour que la procureure ouvre une enquête », dit Karim Lahidji, président de la FIDH. « Certains pays essaient de politiser ce canal et de faire pression financièrement et politiquement. Mais nous avons entière confiance dans l’indépendance et le professionnalisme de la procureure Fatou Bensouda », assure M. Jabarin. Il affirme que des pays, dont certains européens, avaient déjà usé, fin 2014, de pressions financières et politiques pour tenter de convaincre le président Abbas d’abandonner sa démarche, considérée comme une déclaration de guerre par Israël.
« Etat de droit, ou loi de la jungle ? »
« Les Palestiniens placent beaucoup d’espoir dans la CPI. Nous espérons qu’ils ne vont pas tuer cet espoir », poursuit le directeur d’Al-Haq. Les organisations palestiniennes ont le sentiment d’avoir épuisé tous les recours. « Tout le monde condamne les Palestiniens pour avoir demandé l’adhésion à la CPI mais si l’Etat de droit existe, pourquoi ne pas l’utiliser pour rendre justice aux victimes ? Les démarches en Israël n’ont mené à rien. Les juridictions universelles en Europe se sont vu retirer leurs compétences en matière de crimes de guerre. Les mécanismes des Nations unies ont échoué », égrène M. Sourani. « Ce n’est pas seulement pour les Palestiniens, mais pour toute la région : que veut le monde pour notre région ? L’Etat de droit, ou la loi de la jungle ? »
Il espère que l’ouverture d’une enquête sur la guerre de Gaza aura un « effet boule de neige ». « Nous allons nous concentrer sur quatre catégories d’affaires à la CPI : les colonies, le mur de séparation, le siège sur Gaza et la guerre dans la bande de Gaza », indique-t-il. « L’absence de justice est le plus grand problème car sans justice, il n’y a pas de paix. Ce mécanisme est un moyen de bâtir la paix ; pas seulement un outil pour punir, mais aussi un outil de prévention pour bâtir une culture et une conduite dans la guerre qui soit respectueuse du droit humanitaire. Cela affectera aussi notre société et notre “résistance” », plaide M. Jabarin. « Le Hamas a donné son accord, sans condition, à l’adhésion à la CPI. C’est un pas en avant que nous devons encourager. »
Les groupes armés palestiniens pourraient eux aussi être amenés à rendre des comptes devant la Cour. « Nous ouvrons la possibilité à Israël de saisir la CPI. Ils disent que nous sommes des terroristes : qu’ils aillent devant la CPI et coopèrent avec la Cour s’ils sont sûrs de leurs dossiers ! », conclut le directeur d’Al-Haq.