Un nouveau rapport des Nations Unies donne carte blanche à Israël et son lobby pour entâcher le mouvement pour les droits des Palestiniens d’antisémitisme. Ahmed Shaheed, le rapporteur spécial pour les questions de liberté de religion et de croyance, est l’auteur de ce rapport ostensiblement focalisé sur l’antisémitisme.
Il entérine l’adoption d’une définition controversée de l’antisémitisme mais soutenue par Israël et ses groupes de pression.
Les défenseurs des droits de l’homme alertent depuis longtemps sur le fait que la dénommée ’définition IHRA’ associe critique de l’Etat d’Israël et de son idéologie sioniste d’un côté, à intolérance anti-juive de l’autre. Le rapport de l’ONU reconnaît que les détracteurs de cette définition craignent qu’« elle puisse appliquée de manière à restreindre en réalité une expression politique légitime », y compris la critique des violations par Israël des droits des Palestiniens.
Par conséquent, il conseille que cette définiton soit utilisée « en tant qu’outil éducatif non-juridique » pour minimiser ses « effets dérangeants ». Ahmed Shaheed avertit aussi les gouvernements de faire usage de cette définition dans « un contexte réglementaire avec toute l’attention due » à la protection de la liberté d’expression. Il repousse gentiment les efforts déployés pour interdire le mouvement BDS.
Sans forcément les soutenir, le rapporteur onusien ouvre un espace aux déclarations du lobby israélien selon lesquelles le mouvement BDS - Liberté, égalité et justice pour les Palestiniens est « fondamentalement antisémite ».
Il concède finalement que
le droit international reconnaît le boycott comme une forme légitime d’expression politique et que les expressions non violentes de soutien au boycott sont, en règle générale, un discours légitime qu’il convient de protéger.
Enfreindre ses propres avertissements
Mais dans son rapport, Shaheed ignore ses propres avertissements, prêtant largement foi aux efforts d’Israël pour renommer le plaidoyer pour l’égalité de droits en antisémitisme. Par exemple, en abordant le sujet du mouvement BDS, il affirme que toute expression qui « refuse le droit d’exister à Israël ou qui prône la discrimination des Juifs en raison de leur religion doit être condamnée. » Le mouvement BDS a déjà explicitement condamné la discrimination envers les Juifs du fait qu’ils sont Juifs, tout comme il rejette toute forme de racisme. Mais les circonvolutions d’Ahmed Shaheed entre discrimination anti-juive et droit à l’existence d’Israël font partie du programme plus vaste de son rapport visant à brouiller les pistes.
Cela devient très clair quand il attaque ce qu’il étiquette comme « un antisémitisme de gauche ». Shaheed interpelle les soi-disant antisémites de gauche qui ont « confondu le sionisme, mouvement d’autodétermination du peuple juif, avec le racisme ; qui ont prétendu qu’Israël n’avait pas le droit d’exister et qui ont accusé ceux qui expriment une inquiétude quant à l’antisémitisme de mauvaise foi. » Il pose ces affirmations comme s’il s’agissait de déclarations incontestables, or chacune d’entre elle comporte des assertions politiques largement contestées fréquemment formulées par Israël et ses lobbyistes.
Clore le débat
Premièrement, comme l’universitaire Joseph Massad l’a expliqué, la définition du sionisme comme mouvement d’auto-détermination du peuple juif est une invention récente qui date des années 60 et 70. Il note que, historiquement, le sionisme s’est toujours défini comme un mouvement colonial. Il s’est lui-même renommé mouvement de « libération nationale » alors que l’auto-détermination est arrivée seulement dans la période post-coloniale.
Deuxièmement, la notion selon laquelle Israël en tant qu’État, a un « droit d’exister » abstrait va à l’encontre des préceptes fondamentaux de la démocratie et du droit international. Israël n’a pas plus de « droit d’exister » que l’Allemagne de l’Est ou le Royaume-Uni, par exemple. La RDA a cessé d’exister en 1990, au moment de la réunification allemande. Personne ne soutient que l’Allemagne de l’Est a un droit abstrait à ressusciter, que le peuple allemand le veuille ou non. Même chose au Royaume-Uni qui existe depuis des siècles mais dont aucun dirigeant ne soutiendra qu’il détient un droit abstrait à l’existence pour l’éternité contre les volontés des peuples qui le constituent. C’est bien pour ça que l’Ecosse a pu organiser un référendum sur son indépendance en 2014 et en organisera probablement un autre prochainement. C’est également pour ça que l’Etat anglais reconnaît à l’Irlande du nord le droit au référendum pour retrouver l’unité irlandaise.
L’auto-détermination appartient aux résidents légitimes d’un territoire : l’Etat n’a aucun « droit d’exister ». Ou plutôt, le peuple qui vit légitimement sur un territoire a le droit de constituer l’entité qui va le diriger. Les colons qui ont envahi et occupé ce territoire, qui ont expulsé ou assujetti ses habitants légitimes, ne peuvent pas légitimer leur présence simplement en rebaptisant leur invasion d’« auto-détermination » pour les colons, comme Israël est en train de le faire.
La revendication se fait encore plus spécifique quand Israël brandit son « droit à exister en tant qu’Etat juif » dans le sens où il a le droit de maintenir une majorité démographique juive. Cette majorité a été violemment conçue à coups de moyens illégitimes : le nettoyage ethnique de 800 000 Palestiniens par les milices sionistes en 1948. Comme je l’explique dans mon livre (2014) La bataille pour la justice en Palestine la revendication d’Israël de son « droit » à maintenir une majorité juive est l’affirmation d’un droit perpétuel à promulguer des politiques fondamentalement racistes contre les indigènes palestiniens afin de contrôler leur nombre. Cela va également de soi que la politique sioniste de base, qui dénie le droit au retour aux réfugiés palestiniens, est foncièrement raciste : Israël ne permet pas aux Palestiniens expulsés de leur terre d’y revenir simplement parce qu’ils ne sont pas Juifs.
Présumé coupable
Troisièmement, l’affirmation de Shaheed selon laquelle toute accusation d’antisémitisme est en soi une preuve d’antisémitisme rend toute tentative de défense impossible. En réalité, les accusations toute faites d’antisémitisme sont au coeur de la stratégie d’Israël pour faire taire le mouvement de solidarité avec la Palestine sur les campus américains. De telles fausses accusations sont aussi destinées à entâcher le Parti travailliste britannique de Jeremy Corbyn d’antisémitisme institutionnel. Il est tout à fait compréhensible que les propagandistes israéliens n’aimeraient pas qu’on expose leurs mensonges et leurs traces. Mais il semblerait que Shaheed estime également que ceux qui sont accusés d’antisémitisme à tort doivent être reconnus coupable et ne pas avoir la chance de se défendre. Il donne ainsi à Israël et à ses défenseurs toute latitude pour diffamer qui bon leur semble.
A coup d’affirmations bâclées, de mauvaise foi et malhonnêtes, le rapport d’Ahmed Shaheed essaie de poser les bases d’un débat sur la liberté d’expression et les droits des Palestiniens en affirmant qu’en discuter simplement est déjà antisémite. On comprend très clairement pourquoi : les revendications sionistes ne tiennent pas la route face à un examen motivé et fondé des faits. La meilleure stratégie pour Israël est donc de mettre un terme à toute discussion.
En août, le rapporteur a été durement critiqué par les défenseurs des droits humains pour sa proximité avec le lobby israélien et son déni des violations des droits des Palestiniens et de la liberté religieuse. Après la publication de son rapport, il est désormais clair que ses critiques étaient totalement justifiées.
Traduction de l’AFPS