Une des choses les plus difficiles pour moi qui vis avec les Palestiniens est de leur répondre quand il me demande si je crois en Dieu. Beaucoup sont choqués et personnellement offensés quand je réponds par la négative. Parfois, j’essaie de me justifier : « J’aurais aimé croire mais apparemment je suis une cause perdue. » J’ai au moins appris à me taire quand les gens disent « Allah nous aidera », ou « Allah nous punira », et encore « Allah est avec nous ».
Par le passé, quand j’écrivais sur une nouvelle famille qui venait de recevoir une ordre de démolition de sa maison par l’administration civile israélienne en Cisjordanie, ou sur un champ ou un verger que l’état juif démocratique avait décidé de voler aux Palestiniens en plein jour, ma frustration aurait pu me faire lâcher un « Je ne vois pas tout à fait Allah vous aider ».
Mais allez expliquer à un Palestinien qu’une telle phrase est un héritage de vos parents juifs, qui alors qu’ils étaient dans le camp de concentration de Bergen-Belsen et dans le ghetto de Shargorod en Transnistrie n’ont jamais chercher le Dieu perdu, même en rêve. Confrontée à ceux dont les êtres chers ont été balayés par une bombe israélienne, un tir de drones ou une simple balle, je restais de toute façon sans voix.
Avec le temps, j’ai appris à ne pas mentir sans pour autant déclarer mon hérésie. Mais il me semble que la veille de Yom Kippour [NDT : 10 ocotbre 2019] est le moment le plus approprié non seulement pour une telle révélation mais aussi pour raconter l’histoire de feu Shukriya Barakat, du village de Nabi Samwil au nord-ouest de Jérusalem.
Pendant des décennies, elle s’est battue, avec résolution, contre les assauts israéliens qui achètent, volent ou mettent la main sur sa terre usant de toutes les entourloupes et les fraudes possibles et inimaginables que les experts en rédemption juive ont pu inventer. Elle a continué à vivre dans son village même après la destruction des anciennes maisons, un matin de 1971, et même après 1995, quand le village a été classé parc national et transformé Disneyland hassidique de l’archéologie.
Elle est même restée quand Israël a séparé son village du reste de la Cisjordanie et des villages voisins, comme Beit Iksa, en 2000, provoquant le départ de toute une jeunesse dégoûtée par les mesures draconiennes qui les empêchent de passer le checkpoint chargé de plus d’un carton d’œufs ou d’accueillir leur nouvelle femme avant des semaines et des mois passés à attendre d’obtenir son permis d’entrée. Avec la Vieille Ville d’Hébron, le village détruite de Latran et la Vallée du Jourdain vide, Nabi Samwil illustre la constance de la politique d’expulsion d’Israël et les tactiques modernes employées pour l’appliquer.
Il y a 9 ans, pendant le ramadan, j’étais assise sous le toit bombé de la maison de Shukriya Barakat et je notais ce qu’elle me racontait de la cruauté des forces qui cherchaient à vider la colline de tous ses habitants palestiniens. Quand soudain, elle me demande si je crois en Dieu.
Je me tortille avant de me décider à lui raconter ce que je faisais encore à l’époque – interviewer des soldats israéliens, principalement des réservistes, qui avaient participé à la guerre de Gaza de 2009. Je les avais rencontrés accompagnée de Yehuda Shaul, un des fondateurs de Breaking the Silence. Après les avoir quittés, tard le soir, nos têtes remplies de témoignages, Shaul s’est assis dans la voiture et a cité un de ses amis qui, comme lui, avait été élevé au sein d’une famille religieuse : « Ca ne fait aucun doute que notre place en enfer est assurée. »
Shukriya Barakat a écouté attentivement, me pointant de son regard interrogateur : « Je comprends. Tu ne crois pas en Dieu, mais tu crois en l’enfer. »
Cette conviction a été renforcée à plusieurs reprises par un Juif craignant Dieu qui observe les commandements religieux. Cet homme est le ministre des Transports Bezalel Smotrich. Nous, les Juifs, comme il s’en est vanté sur son fil Twitter en crachant sur le député Ayman Odeh, « sommes les hôtes les plus accueillants depuis le règne d’Abraham, notre ancêtre. C’est pour ça que vous [les Palestiniens], vous êtes encore là. Enfin pour l’instant. »
Smotrich n’est qu’un parmi beaucoup d’autres. Mais lorsque nous avertissons le monde que le camp sioniste juif messianique d’Israël fantasme sans arrêt sur l’expulsion finale des Palestiniens et qu’il prépare un enfer sur terre, la franchise de l’avocat Smotrich nous en offre une preuve irréfutable.