Son bureau est niché au-dessus de l’affaire familiale, un coquet salon de coiffure pour hommes, à deux pas de la place de la Mangeoire. Avant de devenir tatoueur il y a douze ans, Walid Ayash y était barbier, comme son père avant lui. Les fenêtres fumées et la lumière tamisée de la pièce exiguë ne permettent pas de voir la basilique de la Nativité, si proche, ni la foule en effervescence près du sapin haut de 15 mètres ou les vendeurs de barbes à papa. Si ce n’étaient les Pères Noël en plastique, alignés sur les étagères entre les bouteilles d’encre et des esquisses de Christ auréolé, on oublierait presque l’imminence de la célébration.
« Stigmates »
Qu’on ne s’y trompe pas, ce fervent catholique n’a rien contre. « J’adore Noël, comme j’ai quatre enfants, c’est très excitant, mais pour parler business, ce n’est pas le pic de ma saison », déclare d’emblée ce grand gaillard de 39 ans. Walid Ayash est davantage sollicité à Pâques quand les chrétiens d’Orient viennent nombreux et qu’il tatoue jusqu’à 160 personnes par jour. « On leur fait un signe religieux, souvent une croix ou une couronne d’épines, et la date de leur pèlerinage sur le poignet, là où Jésus portait ses stigmates », explique-t-il en montrant la centaine de modèles dédiés à cette occasion : croix de toutes sortes, poissons et autres symboles chrétiens. « C’est presque du travail à la chaîne, donc quand c’est plus calme comme maintenant, j’ai plus de temps pour des créations sophistiquées », dit-il en désignant un portrait de Jésus au regard très expressif.
Ses voisins ne sont pas tous aussi philosophes. De l’avis unanime des vendeurs de souvenirs et des chauffeurs de taxi, les affaires n’ont jamais été aussi mauvaises. L’hyperbole est de rigueur pour tous ses hommes qui restent bras croisés à toiser les illuminations en ruminant. Il y a celui qui n’a « jamais vu ça » ou celui qui « n’a pas gagné un shekel depuis dix jours ». Walid et les autres sont tout de même d’accord sur un point : s’il y a une baisse de fréquentation, c’est à cause des violences récentes. Depuis trois mois, le cycle d’attaques et de représailles ne cesse de se répéter de la bande de Gaza à la Cisjordanie. L’AFP recense depuis le 1er octobre la mort d’au moins 124 Palestiniens et 17 Israéliens. Ce n’est pas l’affaire du tatoueur. Assis dans un imposant fauteuil en cuir, Walid Ayash préfère s’extasier devant les photos de ses dernières créations : des versets de la Bible, des chapelets, quelques animaux… Presque toutes ses œuvres sont religieuses. « Il y a plein de gens ici qui ne veulent pas constamment parler de la situation politique ou de l’occupation, et je suis l’un d’entre eux. Je suis très croyant et pour moi, c’est le plus important », confie Walid avant de rappeler que, pour lui, la Palestine est une terre pour toutes les religions avant d’être une cause politique.
« Atmosphère un peu lugubre »
Ses clients sont principalement étrangers, et si le carnet de rendez-vous est moins rempli que l’année dernière, il a tout de même quelques commandes prévues. « Je suis le seul vrai tatoueur avec tout le matériel professionnel en Palestine et en plus, je suis une célébrité ; peu importe à quelle fête je vais, je vais rencontrer plus d’une vingtaine de personnes que j’ai tatouées : touristes, DJ, expatriés et même des prêtres ! Certes, les affaires pourraient mieux marcher, mais ce n’est pas catastrophique et si ça marche pour moi, c’est aussi une question d’état d’esprit », analyse-t-il en faisant défiler sur son compte Facebook des images de soirées arrosées et délurées (sans présence de prêtre identifiée). Le son de cloche plus officiel de Fadi Kattan, porte-parole de l’Organisation de libération de la Palestine sur le tourisme, confirme l’optimisme du tatoueur : « Cette année, c’est l’atmosphère qui est un peu lugubre pour les Palestiniens car on souffre de l’occupation, beaucoup sont en deuils, Israël refuse de rendre certains corps aux familles pour éviter la célébration de martyrs... Mais si on parle des chiffres, ils ne sont pas mauvais. En 2014, 11 000 personnes sont venues à Bethléem le 24 décembre, on devrait être autour du même chiffre cette année. » Pour ceux qui crient au loup, Walid Ayash a un message : « Qu’on arrête de se plaindre, ce n’est pas parfait, mais ça va aller mieux, car Bethléem est éternelle. » Ce sera sa prière à la messe de minuit. « Si ça ne marche pas, je boirai mon whisky et ça ira mieux ! »