Pouvait-on donner titre plus éloquent que Présente Absence au dernier livre traduit de Mahmoud Darwich, près de huit ans après sa mort ? Car il s’agit bien du dernier livre inédit en langue française de ce poète jailli, poings juvéniles serrés, voilà plus d’un demi-siècle de résistance palestinienne. Du moins est-ce là le dernier titre de son œuvre révisé par ses soins, c’est-à-dire publiable, comme l’entendent par fidélité ultime à leur ami ses traducteurs Elias Sanbar et Farouk Mardam-Bey.
Chronologiquement antérieur au Lanceur de dés déjà traduit et publié en 2010, ce livre recèle une valeur testamentaire intrinsèque à toute l’œuvre du poète et il fallait prendre le temps de le transporter dans une autre langue, pour le situer sur le chemin continué de toute une vie. Au sortir (miraculeux) d’une lourde opération du cœur, le dénommé Mahmoud Darwich s’y adresse intimement à son autre, son double créateur, soit des deux celui qui va prendre la « direction » d’« une deuxième vie promise à la langue ». Le premier, l’homme, ne connaît de l’art du poète que les « incipits », les premiers mots, l’autre retrempe ceux de toute une existence dans une prose poétique d’une fluidité telle que chaque section du livre en exhale (au sens baudelairien) la chute dans un chant en vers.
Par ce subtil entremêlement de voix, de « toi » à « moi », où le poète, tout en étant le sujet adressé, est bien sûr celui qui tient la plume, Mahmoud Darwich peut remonter à son gré le cours d’une existence contrariée, et si avide d’espoir. Loin de signifier par là un quelconque clivage, comme entre prose et poème, Présente Absence porte à son paroxysme la tension extrême qui court dans toute l’œuvre de ce poète de Palestine. De quelque point de vue que l’on se place, de l’œuvre ou de la vie, de toute évidence, ses poèmes ne pouvaient être épargnés par les blessures de l’histoire, nulle métaphore ne « délestant » du « lien secret entre une terre croyante et un ciel païen ».