Oui, j’ai été privée de liberté quelques heures, oui, j’ai eu peur, à la suite de l’enlèvement du vendredi soir 16 juillet. Mais cela m’a permis, en même temps, de peut-être mieux ressentir l’angoisse quotidienne depuis le début de la seconde Intifada, de mes amis palestiniens, l’angoisse d’être privée de liberté, de ne pas comprendre pourquoi, de se demander ce qui arrive.
Cet incident était déplorable, certes, mais tout ce qui se passe à Khan Younis et à Gaza ne l’est-il pas plus encore ?
Ce que j’ai ressenti a été très fugace car le téléphone portable que j’avais gardé m’a permis très vite de reprendre espoir. Les médias ont couvert l’événement avec une rapidité et une dextérité qui m’ont laissée très perplexe : à la fois satisfaction de voir que les médias font leur travail et interrogation, voire colère contre ces même médias qui occultent les évènements quand ils concernent les Palestiniens. Je pensais qu’ils étaient peu présents dans le sud de la bande de Gaza, car sinon, comment expliquer qu’en dix jours, cent cinquante maisons aient été détruites sur le camp de réfugiés de Khan Younis dans le silence le plus total ? Que les habitants soient à nouveau réfugiés sous des tentes en plein soleil, sans eau, sans sanitaires, dans le dénuement le plus total ? Comment expliquer que durant la semaine que j’ai passée à Khan Younis, les bulldozers israéliens aient pu détruire des plantations de figuiers, d’oliviers sur le village d’Al-Qarara dans une indifférence générale ?
Je revois ce paysan de soixante-dix ans, abasourdi devant ce spectacle, devant les olives qui ne mûriront pas cette année, qu’il ne pourra pas récolter, et qui demandait : " Pourquoi s’en prendre à des arbres centenaires ? Qu’ont-ils fait ? Qu’ai-je fait ? "
Je revois aussi la tristesse, la déception dans les yeux du responsable de la nouvelle bibliothèque du camp de réfugiés essayant de récupérer des livres encore utilisables parmi des centaines de livres calcinés, déchirés, atteints pas des missiles lors de leur transfert. Et devant le choc que j’ai alors ressenti, la même interrogation : pourquoi ?
On m’a souvent dit que l’histoire ne se répétait pas... Pourtant, devant de tels spectacles, que d’images historiques sont revenues tristement à ma mémoire...
Martine Buffard
- (© Bertrand Heilbronn)
- De nouveau, les maisons rasées, les tentes sous le soleil et bientôt dans la boue...
La délégation française était constituée de membres d’Electriciens sans Frontières venus pour avancer le projet de réhabilitation du réseau électrique d’un bloc du camp et de membres d’Evry Palestine.
Le but du séjour de l’association Evry Palestine était de finaliser certains des projets en cours et de prendre des contacts pour des projets à construire, dans les domaines artistique, sportif et culturel.
Projet artistique : lien entre des artistes palestiniens de Khan Younis et de l’Essonne pour échanger des savoir-faire et développer la culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants palestiniens par un travail en commun permettant la pérennité des actions entreprises, par les artistes palestiniens eux-mêmes, dans les domaines du théâtre, de la musique, de la danse, des arts plastiques, du cirque ...
Projet culturel avec les enfants : discussion à propos du ludobus (Enfants Réfugiés du Monde, Centre culturel français de Gaza), projet de ludothèque ambulante sur les camps de réfugiés de la bande de Gaza pour réapprendre aux enfants à jouer, et mise en place d’une correspondance scolaire entre jeunes Palestiniens étudiant le français et jeunes Evryens.
Malgré de nombreuses difficultés, la délégation Evry Palestine a pu avancer dans son travail, difficultés essentiellement d’ordre matériel. L’entrée sur la bande de Gaza par Erez ressemble maintenant au parcours du combattant. Il est d’abord nécessaire de demander une semaine à l’avance l’autorisation à l’armée israélienne par le biais du consulat de France. Peu d’étrangers s’aventurent encore ici, car il est utile de se faire accompagner par une voiture diplomatique pour ne pas marcher pendant trois à quatre kilomËtres entre les chars israéliens. Le village de Beit Hanoun est encerclé par les forces israéliennes depuis plusieurs semaines et la route coupée. Les taxis n’ont donc plus le droit de venir jusqu’à la frontière (la délégation n’a pas pu voir ce qui se passait à l’intérieur du village totalement isolé).
Pour aller jusqu’à Khan Younis, il faut attendre l’ouverture du check-point qui coupe le nord et le sud de la bande de Gaza, ouverture aléatoire quant à la durée et à l’horaire alors qu’une route de contournement a été construite pour les colons au dessus de ce check-point. Le centre culturel français nous informe de la fermeture du passage et deux heures aprés, un appel téléphonique nous en apprend la réouverture : il faut se dépêcher pour arriver avant la nouvelle prochaine fermeture. Le taxi emprunte la route côtière le long de la Méditerranée, mer si proche mais non accessible à la majorité des Palestiniens, notamment nos amis de Khan Younis qui, depuis le début de la seconde Intifada, n’ont plus le droit de s’y rendre.
L’attente au check-point se fait en plein soleil car tout a été rasé : plus d’arbres, plus de maisons, seulement des ruines et de la poussière qui vole de toutes parts. La délégation arrive enfin à Khan Younis après ce voyage fatigant et constate très rapidement que les conditions de vie y sont de plus en plus pénibles. Lors de la visite du camp, la délégation se rend compte des nombreuses destructions, voit les habitants sous tentes comme en 1948 et ressent une tension très vive parmi les réfugiés à nouveau expulsés et les habitants du village côtier d’Al Mawassy qui attendent depuis plus d’une semaine l’ouverture du check-point pour rentrer chez eux. Les enfants occupent les ruines de leurs maisons, inactifs, tristes, perturbés. Dans de telles conditions, la cellule familiale se détériore car dans un habitat si précaire les membres de la famille sont dispersés, ce qui accentue encore les problèmes psychologiques qui devraient Ítre beaucoup plus souvent pris en considération et traités par des médecins internationaux, malheureusement peu nombreux sur le terrain.
Et malgré tout cela, l’accueil de nos amis du camp est toujours aussi chaleureux, leur sens de l’humour toujours aussi développé, de même que leur capacité à prendre du recul par rapport aux événements qu’ils subissent. Ils nous donnent une belle leçon de vie et nous construisons ensemble des projets pour l’avenir.
Martine Buffard et Josette Pineau
Evry Palestine