« Je suis fière de dire qu’une institution culturelle portant atteinte à l’Etat ne bénéficiera pas de son soutien. »
C’est ainsi que la ministre israélienne de la culture et des sports, Miri Regev, a célébré la validation de son projet de loi dit « de loyauté » par le procureur général, Avihai Mandelblit. Ce texte très controversé, qui a provoqué la fureur des milieux artistiques traditionnellement proches de la gauche, doit encore être débattu à la Knesset (Parlement). Il offre la possibilité au ministère de couper les fonds attribués à des institutions qui se rendraient coupables des faits suivants : incitation au racisme et à la violence, soutien au terrorisme, négation de la légitimité d’Israël comme Etat juif et démocratique, avilissement des symboles de l’Etat.
Pas d’approbation a priori
Le parquet général a refusé l’idée d’une approbation a priori des programmes culturels par la ministre. Il a aussi souligné le droit des institutions attaquées à présenter leurs arguments, en défense. Mais la philosophie globale du projet demeure. La ministre a beau rejeter les accusations de censure et de mise en coupe réglée de la culture, l’initiative, sur laquelle le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, ne s’est pas clairement exprimé, a provoqué un vif débat. L’acteur Lior -Ashkenazi a réagi avec humour sur sa page Facebook : « Voici un projet de loi encore meilleur : à partir de maintenant, avant chaque pièce, chaque film, chaque spectacle, conférence ou même manifestation, l’hymne national sera joué et deux drapeaux seront placés de chaque côté de la scène, pour que nous sachions d’où nous venons, et, surtout, où nous allons. »
Le texte de Miri Regev s’inscrit dans un contexte de tension entre la droite nationaliste et religieuse et le monde de la culture. Au moment où le projet de loi était rendu public fin janvier, une organisation d’extrême droite, Im Tirtzu, a pris pour cible des artistes considérés comme des " taupes " et des figures hostiles à l’Etat. La raison : leurs liens avec des ONG de gauche, comme Rompre le silence, qui regroupe des vétérans de l’armée, ou B’Tselem, qui documente les violations des droits des Palestiniens par l’armée et les colons. Parmi les personnalités attaquées figuraient les écrivains David Grossman et Amos Oz, le dramaturge Joshua Sobol ou le rappeur Shaa’nan Streett. Cette liste noire a suscité des condamnations unanimes de la classe politique, obligeant même le groupuscule à présenter ses regrets.
« Culs serrés et hypocrites »
Miri Regev, l’un des faucons du gouvernement de Benyamin Nétanyahou, n’en est pas à son premier coup d’éclat. Ancienne porte-parole de l’armée, elle ne cache pas ses lacunes en matière culturelle. Elle vise les élites ashkénazes traditionnelles, dont le poumon est Tel-Aviv et le cœur, franchement à gauche. Sa politique est placée sous le signe d’une revanche historique et d’une redistribution des privilèges au profit des Séfarades et de la droite nationaliste. Elle veut ainsi revoir l’attribution des fonds alloués par son ministère au profit de spectacles et d’événements culturels situés dans ce qu’on appelle les périphéries, les régions défavorisées.
En juin 2015, la ministre, issue des rangs du Likoud, avait qualifié les artistes, majoritairement hostiles à ses vues, de « culs serrés, hypocrites et ingrats » . Miri Regev entreprend, dans le monde de la culture, ce que son collègue Naftali Bennett, chef du parti extrémiste le Foyer juif, fait à l’éducation. Derrière ses propos incendiaires et ses textes législatifs se dessine une bataille pour l’hégémonie idéologique en Israël.