Ouvrir un livre de Pascal Boniface est toujours un plaisir. Non seulement parce que les sujets qu’il aborde sont captivants mais parce que leur lecture est aisée et agréable. En un mot : on comprend ce qu’il écrit ! C’est limpide et accessible quand bien même les sujets qu’il évoque – de politique extérieure – sont souvent présentés comme incompréhensibles ou bien hors de portée. Il n’écrit pas pour briller mais pour expliquer. A partir des faits qu’il relie les uns aux autres il dégage les cohérences ou bien, leur inverse. Il ne fait pas de la politique. Il fait du politique. Ce n’est pas donné à tous dans ce monde où le clinquant et l’approximation l’emportent trop souvent, sinon uniquement, sur le profond et l’analyse. Souligner cela n’est pas accessoire.
Son dernier ouvrage, le monde selon Sarkozy, a été publié chez l’éditeur qui avait « osé » publier son précédent livre « Les intellectuels faussaires » [1]. Une maison d’édition qui a eu le courage de le faire alors que tant d’autres s’y refusaient.
Dans sa nouvelle livraison, Pascal Boniface s’attache à balayer la politique extérieure de la France depuis le général de Gaulle et à dégager les deux grandes lignes politiques qui, finalement, s’affrontent dans notre pays sur ce domaine vital pour notre société, un domaine vital mais qui est pourtant terriblement absent du débat présidentiel. Du coup il s’interroge sur l’avenir en cette veille d’élections où le président, du fait des institutions françaises et de la pratique, joue un rôle central, en termes d’impulsion et de décision, en ce domaine. On peut donc considérer légitimement que son livre constitue, à sa manière, une sorte d’« adresse aux candidats à l’élection présidentielle ».
Ce livre est d’une extrême importance dans cette période électorale… D’autant plus que, comme il le souligne d’emblée, « Il est un point commun entre les guerres et les campagnes électorales. La première victime est souvent la vérité. L’élection présidentielle à venir ne devrait pas déroger à cette règle. »
Pascal Boniface prend acte évidemment des évolutions considérables survenues depuis 1958. Des évolutions qui se produisent d’elles mêmes, en quelque sorte. On ne peut ni protester contre elles ni tenter de les freiner. Elles sont. Ce sont « des restructurations structurelles ».
Par contre, et c’est l’objet de toute politique internationale, il demeure une question centrale qui résulte de ces évolutions : allons-nous les prendre en compte et en tirer toutes les conséquences heureuses pour « conserver un rôle important sur l’échiquier international » ou bien allons-nous choisir de n’être qu’un « pays rangé au rayon des puissances historiques. »
Pour répondre à cette question il analyse les deux tendances politiques évoquées qui s’affrontent de manière récurrente dans note pays.
Des évolutions, d’une autre nature que celles d’aujourd’hui, enregistrées depuis la fin de la seconde guerre mondiale et des guerres coloniales ont soulevées, déjà à l’époque, ce même dilemme et posé le même choix.
Certains ont alors cherché « à vouloir abandonner toute politique autonome en se rapprochant de la locomotive soit américaine, soit européenne. C’est l’option atlantiste. L’option occidentaliste n’étant qu’une réincarnation agressive de cette posture. »
Il est nécessairement un autre choix, « moins confortable », que l’auteur nomme « l’option gaullo-mitterrandiste. » Il exprime ses faveurs pour celle-ci. Non pas à partir d’une démarche politicienne ou partisane mais avant tout politique car elle est liée intimement à l’intérêt national et à celui du monde : « Comment ne pas voir que dans un monde où les acteurs internationaux se sont multipliés et diversifiés, c’est la seule option pour préserver nos intérêts sur le long terme ? »
Certes, précise-t-il, cette option « est moins confortable car elle exige de recalculer en permanence le rapport de forces, de mesurer très précisément les marges de manœuvres afin de les préserver, et d’avoir à la fois une ligne directrice immuable (notre indépendance, qui n’est que mieux garantie par l’indépendance des autres, une stratégie tous azimuts) et des tactiques qui dépendent des circonstances. » Il enfonce le clou : « Dans un environnement où la puissance est de plus en plus multipolarisée, réduire la France à son seul statut occidental revient à l’automutiler. »
Et il pose la question : « Que va-t-il se passer en 2012 ? Nicolas Sarkozy va-t-il s’appuyer sur Alain Juppé et revenir aux fondamentaux de la Vème République ? Va-t-il courir deux lièvres à la fois… [Juppé ou/et Guéant] ? Va-t-il opter clairement pour une ligne purement occidentale, estimant qu’il sera plus libre de ses choix lors d’un second mandat ? »
Quant à François Hollande : « Que fera-t-il ? A l’heure où ces lignes sont écrites, il s’est relativement peu prononcé sur les questions internationales. Va-t-il prendre le sujet à bar-le-corps ? Va-t-il définir une claire ligne alors que le parti socialiste est, depuis 2002, traversé par deux courants contradictoires que sont l’atlantisme, voire pour certains, l’occidentalisme, et la ligne gaullo-mitterrandiste, à laquelle la base est majoritairement attachée ? »
Pascal Boniface se livre à un large tour d’horizon qui mérite vraiment le détour pour notre connaissance.
Il montre aussi, fort à propos, comment des choix de politique intérieure peuvent avoir des conséquences au plan international, par exemple ce que j’appellerais, pour ma part et parlant de Sarkozy, « son obsession contre les musulmans ». Et je ne pense pas ici seulement au Hallal… Il montre comment, de ce point de vue, il y a « interpénétration entre politique interne et extérieure. »
Pascal Boniface revient, pour mieux en tirer des conclusions pour aujourd’hui, en distinguant le circonstanciel et le fondamental, sur toutes les postures adoptées par tous les présidents jusqu’ici en place depuis 1958. Sur la réintégration de la France au sein de l’OTAN, sur l’abandon de la politique dite des « droits de l’Homme » qui devait primer sur tout le reste pour le candidat Sarkozy, sur les choix et les politiques de Bernard Kouchner et de Rama Yade, sur l’intervention en Lybie (et BHL, il va sans dire) où il s’interroge « Y a-t-il un bonus libyen » pour Sarkozy ? Sarkozy se caractérise comme un homme qui adore les « coups » et leur médiatisation, ceci au détriment d’une pensée, d’une vision et d’une stratégie globale assurée… Sarkozy qui, avocat de formation, prend dossier après dossier sans forcément chercher ou donner une cohérence entre tous ses faits et gestes qui sont nombreux !
Autant de sujets passionnants sur lesquels Pascal Boniface, très informé, nous livre des informations importantes et nous fait partager ses réflexions de son œil acéré…
A découvrir absolument, goulument presque !
Mais si j’écris cette « critique », comme on dit, c’est que tout naturellement le « conflit israélo-palestinien » occupe une grande place, et pour cause, dans ce nouveau livre de Pascal Boniface.
Ami hautement déclaré d’Israël, quelle a été en fait et exactement la politique de Nicolas Sarkozy au Proche-Orient ? Sa posture délibérément pro-israélienne, vérifiable, entre autres, par la différence de traitement relevée par l’auteur, s’agissant de Guilad Shalit et de Salah Hamouri – tout cela a-t-il aidé effectivement à « activer des leviers positifs », comme nous le disait Bernard Kouchner qui récusait ouvertement la politique chiraquienne, et fait avancer d’un millimètre la situation surplace et l’obtention de la paix ?
Et que serait la politique de François Hollande lui qui, et c’est moi qui parle là, à rencontrer le CRIF sans estimer nécessaire de réagir au compte rendu de cette rencontre qu’a fait ce dernier où il est dit que François Hollande à exprimé sa résolution à « combattre l’antisémitisme et l’antisionisme »…
Et quid de l’attitude vis-à-vis d l’Iran ? Autant de sujet que nous suivons chaque jour et qui doivent compter dans nos choix citoyens et électoraux.
C’est pourquoi il faut lire le livre de Pascal Boniface en cette période… Ce n’est pas une recommandation, c’est plus que cela : un remède contre toute mauvaise surprise demain !
On dira que cette critique ne l’est que très peu ? C’est vrai, d’autant que je ne suis pas d’accord pour ma part à 100% avec ce qu’écrit pascal Boniface, en particulier sur la question du Proche-Orient où l’inaction – je ne parle pas du manque de paroles parfois justes – est la cause principale de l’absence de la fin de ce conflit dont « on connaît pourtant les paramètres de la solution », pour reprendre une phrase du président sortant lancée récemment en même temps que l’annonce du fait que, lui Sarkozy, allait régler le problème en 6 mois... après son élection !
Mais ce qui m’intéresse de souligner, après la lecture de ce livre, c’est que la problématique qu’il met en avant, et qu’il souligne avec force, est majeure.
« Il n’est que d’éloges flatteurs » ? Comme un simple chercheur d’or je veux dire surtout que, ni je ne blâme ni je ne flatte. J’affirme que ce livre est un fleuve où tant pépites sont…
A lire absolument, et de préférence avant les élections présidentielles et législatives.
Taoufiq Tahani, membre du bureau national de l’AFPS