La 66e session de l’Assemblée générale des Nations unies est marquée d’un événement qui suscite déjà d’intenses ballets diplomatiques et des débats enflammés : la demande de reconnaissance en qualité d’Etat souverain déposée par la Palestine. Il est dès lors primordial d’identifier les enjeux et les conséquences de la démarche palestinienne afin d’en définir précisément la portée tant juridique que politique.
La demande de la Palestine consiste principalement à obtenir la reconnaissance en tant qu’Etat indépendant par la plus grande majorité possible d’Etats au sein de l’Assemblée générale, en revendiquant comme frontières les lignes d’armistice de 1949 (plus connues sous le nom de « ligne verte »). Cette initiative vise dès lors à revendiquer le fait que le droit à un Etat appartient en propre au peuple palestinien et que son exercice ne saurait indéfiniment être subordonné à l’aboutissement de négociations avec Israël. Il s’agit également d’affirmer que Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est appartiennent de droit à l’Etat de Palestine, ayant de longue date été qualifiés de « territoire palestinien occupé » par les résolutions de l’ONU.
La demande de reconnaissance soumise aux Nations unies s’inscrit ainsi résolument dans un dépassement des Accords d’Oslo. Ceux-ci prévoyaient des négociations devant aboutir à un statut permanent au plus tard le 4 mai 1999. La Feuille de Route, présentée en 2003 par le Quartet (Etats-Unis, Russie, Union européenne, ONU) afin de relancer le processus de paix, promettait quant à elle un Etat palestinien pour 2005… La démarche palestinienne entend prendre acte du caractère très largement périmé de ces calendriers et du fait que le prolongement indéfini de la période intérimaire ne fait qu’éloigner la perspective d’une véritable souveraineté palestinienne, en raison de l’accumulation par Israël des mesures unilatérales qui ont constitué autant de violations du droit international et d’obstacles à la négociation (annexion de Jérusalem-Est, développement intensif de la colonisation, démolitions de maisons, construction du Mur…).
En droit international, l’existence d’un Etat implique que l’entité concernée dispose d’un gouvernement souverain, exerçant sa juridiction sur un territoire et une population. Aujourd’hui, un gouvernement, des institutions, une administration sont installés en Palestine, et s’ils n’étendent leurs pouvoirs que sur une partie du territoire palestinien, c’est en raison de l’occupation et de l’annexion israéliennes qui persistent illégalement. Un rapport des Nations unies d’avril 2011 constate que, dans les principaux domaines d’administration, les institutions palestiniennes sont « désormais suffisantes pour assurer le gouvernement d’un Etat ». L’Etat de Palestine est donc une réalité qui présente un degré d’effectivité suffisamment avéré pour qu’il puisse être reconnu comme tel par l’ensemble des Etats. C’est d’autant plus vrai qu’il bénéficie d’une incontestable légitimité, puisque de nombreuses résolutions onusiennes investissent le peuple palestinien du droit « à la souveraineté et à l’indépendance nationales ».
On sait les Etats de l’Union européenne divisés sur l’opportunité de reconnaître un Etat palestinien à l’ONU. Pourtant, la cohérence avec leurs propres positions sur le conflit devraient les conduire à voter en faveur de la reconnaissance. Les Etats européens ont déclaré à plusieurs reprises que les mesures unilatérales prises par Israël « menacent de rendre impossible une solution fondée sur la coexistence de deux Etats » et ont apporté leur plein soutien au programme de l’Autorité palestinienne « Fin de l’occupation et création de l’Etat », mis en œuvre depuis 2009. Ils ont également dénoncé, en septembre 2010, le refus de Benyamin Netanyahu de prolonger le moratoire sur la colonisation en Cisjordanie, refus qui a mis fin aux négociations en cours.
Par ailleurs, dans le cas de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, en février 2008, la grande majorité des pays membres de l’UE (22 sur 27) se sont empressés de reconnaître le nouvel « Etat », alors même que les tentatives de négociation avec la Serbie avaient duré moins de deux ans et qu’aucun droit à l’indépendance du « peuple kosovar » n’a jamais été reconnu internationalement.
Concernant la Palestine, vingt ans de négociations depuis la Conférence de Madrid n’ont abouti à aucun résultat et son droit à l’indépendance est pleinement admis, en particulier par l’UE. Au regard de ces éléments, on comprendrait mal que les Etats européens persistent à subordonner leur reconnaissance de l’Etat palestinien à l’aboutissement de négociations, alors que rien n’autorise à prédire une avancée dans un délai prévisible.
Dans l’hypothèse probable où une résolution se prononçant en faveur de la reconnaissance de la Palestine serait votée à une très large majorité, se verrait ainsi conforté le fait que la Palestine doit être considérée et traitée comme un Etat à part entière. Quelles conséquences juridiques cela entraînerait-il ? A défaut de pouvoir être immédiatement admis comme Etat membre des Nations unies en raison du veto américain au Conseil de sécurité, la Palestine pourrait se voir reconnaître par l’Assemblée générale un statut d’Etat non membre, lui accordant de nombreuses prérogatives au sein de l’Organisation.
Contrairement à certaines craintes exprimées, la reconnaissance d’un Etat de Palestine n’aurait aucune incidence sur les droits des réfugiés palestiniens, en particulier sur le droit au retour. La déclaration d’indépendance de 1988 énonce que « l’Etat de Palestine est l’Etat des Palestiniens où qu’ils se trouvent », incluant ainsi la diaspora et les réfugiés palestiniens. Le droit au retour, qui implique le droit des réfugiés palestiniens « de retourner dans leurs foyers et vers leurs biens, d’où ils ont été déplacés et déracinés » ou d’opter pour une compensation financière, constitue un droit individuel reconnu aux réfugiés, distinct du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Cela signifie que la création de l’Etat, qui consacre la mise en œuvre du droit à l’autodétermination, n’efface en rien le droit au retour des réfugiés, susceptible de s’exercer, le cas échéant, sur le territoire de l’Etat d’Israël. Par ailleurs, la reconnaissance d’un Etat palestinien n’entraverait en rien la possibilité, et la nécessité, de la tenue de futures négociations avec Israël visant à résoudre les points de conflits : les modalités du partage de Jérusalem, le droit au retour des réfugiés, les arrangements de frontières et de sécurité, les colonies, l’accès à l’eau, etc.
La qualité étatique permettra également à la Palestine d’imposer son existence sur la scène internationale en rejoignant diverses organisations internationales ou en ratifiant des traités internationaux. Point essentiel à souligner, la Palestine sera autorisée à adhérer au Statut de la Cour pénale internationale, ce qui donnerait juridiction à la Cour pour tous les crimes relevant de sa compétence (notamment les crimes de guerre) commis sur le territoire palestinien ou par un ressortissant palestinien. A cet égard, il faut mentionner que figure parmi les crimes de guerre énoncés dans le Statut le « transfert par une puissance occupante d’une partie de sa population civile dans le territoire qu’elle occupe », ce qui correspond à la politique de colonisation menée par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, comme l’ont constaté le Conseil de sécurité et la Cour internationale de Justice dans son avis relatif à la construction du Mur. L’adhésion au Statut de Rome aurait ainsi pour effet de rendre responsables devant la Cour les dirigeants israéliens pour de nombreux aspects de leur politique d’occupation.
La reconnaissance au sein de l’Assemblée générale des Nations unies d’un Etat palestinien ne constitue pas une solution miracle de nature à faire cesser l’occupation israélienne de manière soudaine. Il faut comprendre l’initiative de septembre pour ce qu’elle est capable d’offrir : une avancée symbolique affirmant le caractère inaliénable du droit à un Etat palestinien et le dépassement du cadre d’Oslo ; la construction progressive de l’Etat palestinien dans les lignes de 1967 comme une réalité juridique incontournable ; la mise à disposition de nouveaux outils diplomatiques et légaux pour parvenir à mettre fin à l’occupation et à régler les différends avec Israël.
Les Nations unies ont joué un rôle fondamental dans la création de l’Etat d’Israël, en adoptant le Plan de partage de 1947, se prononçant pour la création d’un Etat juif et d’un Etat arabe, et en votant son admission comme Etat membre dès 1949. Ce serait un juste retour des choses qu’une voie similaire soit utilisée pour contribuer à l’avènement d’un Etat palestinien, jouissant d’une pleine et entière souveraineté.