Saed Talib est citoyen américain et fermier cisjordanien. Aucune de ces deux positions ne lui rend service en ce moment. Il n’a pas pu s’occuper de sa terre depuis quatre ans, terre située dans le village de Turmus Ayya sur la route nord de Naplouse et il n’a aucun moyen de faire un recours légal.
Il y a environ six ans, un poste avancé de colonie a été établi près du village. Le colon qui le premier est arrivé avec sa caravane sur la colline alors inoccupée est aujourd’hui connu. Tous les villageois le connaissent sous le nom de Boaz. Il n’est plus seul. Aujourd’hui, environ 50 caravanes sont installées à côté de la sienne. Selon la loi israélienne, ces postes avancés de colonisation sont illégaux. Mais le gouvernement israélien leur a néanmoins fourni des routes pavées, de l’électricité et de l’eau courante.
Saed et ses compatriotes villageois n’ont eu depuis le début de l’Intifada le droit d’aller sur leurs terres que quelques jours par an : ce sont les quelques jours en octobre/novembre au moment de la récolte des olives. Les fermiers sont désespérés. Deux jours par an, et seulement pour récolter, ça ne veut rien dire ! Le restant de l’année, ils ne peuvent pas s’occuper de leurs terres, ni planter, ni désherber ni tailler.
Avant l’Intifada, les fermiers défiaient les colons. Il y a eu beaucoup de confrontations et de disputes. Juste avant de déclenchement de l’Intifada, Boaz s’est réveillé un matin et a découvert que son troupeau de moutons était parti et que ses chiens étaient morts.
Il est allé dans un autre village voisin, al-Mughayyer, et a accroché des feuillets en hébreu. Les feuillets avertissaient les villageois que s’il ne recevait pas une compensation de 1.500 $ par chien et que si ses moutons ne lui étaient pas rendus dans les 24 heures, lui, Boaz, tronçonnerait 700 arbres. Aucun argent ni moutons ne lui sont parvenus. Le lendemain, Boaz est revenu avec un gang armé et devant l’armée israélienne, il a coupé 700 arbres. Des mois plus tard, les villageois ont rapporté que ses moutons avaient été retrouvés dans la vallée du Jourdain et qu’apparemment son seul but avait été de réclamer une compensation.
La violence ne s’arrête pas. Dans les faubourgs d’un autre village voisin, Sinjel, des colons de Ma’ale Levona ont érigé des caravanes que le gouvernement israélien décrit aujourd’hui comme étant « semi-illégales » ou « programmées pour devenir légales ». Les colons ont tendance à brûler les champs de blé chaque été.
L’été dernier, 5 hectares ont ainsi été détruits avant que les villageois n’aient eu le temps d’éteindre le feu. Afin de protéger ces colons, l’armée israélienne a construit un camp près du poste avancé. Tout le monde sait qu’un jour, ce camp sera rempli d’encore plus de colons.
Pendant l’intifada, la confrontation avec les colons est devenue beaucoup trop dangereuse pour les fermiers. Il y a peu de contact direct. On avait prévenu les villageois de rester éloignés de 1.000 à 1.500 mètres des « frontières » de toute colonie ou poste avancé.
S’ils s’approchent de plus près, on leur tire dessus les blessant parfois et parfois les tuant. Les colons sont au-dessus de la loi. On tire sur les villageois, leurs champs sont brûlés et leurs équipements agricoles et maisons sont endommagés. Le colon est le roi de la Cisjordanie.
Quand Saed est allé récolter ses olives pendant les 2 seuls jours permis sur sa terre, on lui a tiré dessus. Sa voiture a brûlé. Des colons sont arrivés pour le chasser. Il leur a dit qu’il allait appeler la police. L’un des colons lui a répondu en criant : « Je vais te donner mon numéro. Je suis la police. Je suis l’armée. » Le colon est roi. Selon la loi internationale, toutes les colonies sont illégales. Selon la loi israélienne, les postes avancés établis sans planification préalable avec l’armée israélienne, sont illégaux. Cette illégalité est néanmoins devenue le moyen pour l’armée d’éviter une confrontation avec les colons des postes avancés. Ils n’appliquent simplement pas la loi.
Les postes avancés ont coutume de se multiplier et de s’étendre. Ils ont coutume de devenir permanents. Ils sont la plus grande provocation à laquelle doivent faire face les personnes ordinaires sur le terrain. Le jour même de la signature des accords d’Oslo, le désir concerté israélien de multiplier les colonies et les postes avancés, particulièrement en Cisjordanie, a été mis en branle. Le nombre de colons a doublé entre 1993 et 2000. Le signal pour le Palestinien moyen était évident. Alors que les officiels israéliens souriaient à la télévision, ils prenaient encore plus de terres sur le terrain.
Alors qu’on était dans une période d’une certaine confiance entre les deux parties, il a fallu un certain temps avant que cette transgression évidente de l’esprit sinon de la lettre des accords d’Oslo ne se traduise en colère directe. Maintenant, après la dernière Intifada déclenchée par la colère face à l’expansion des colonies qui continuent et des postes avancés qui prospèrent, il n’existe plus de confiance. Si Israël veut persuader les Palestiniens qu’elle est sérieuse au sujet de la paix, au sujet de la solution de deux états, alors ces postes avancés doivent être enlevés. Les gens ne croient plus aux belles paroles. Les gens veulent des résultats sur le terrain.
Je n’ai pas beaucoup d’espoir. En Cisjordanie, le colon reste roi.