Frank Barat : Le terme apartheid est de plus en plus utilisé par les Organisations non-gouvernementales pour décrire les actions israéliennes envers les Palestiniens (à Gaza, les TPO mais aussi en Israël même). La situation en Palestine et Israël est-elle comparable à l’apartheid en Afrique du sud ?
Ilan Pappé : Il existe des points communs mais également des différences. L’histoire coloniale porte en elle de nombreux chapitres communs et certains aspects de l’apartheid se retrouvent dans la politique qu’Israël mène contre sa propre minorité palestinienne et contre les habitants des territoires occupés. Certains aspects de l’occupation sont malgré tout pires que la réalité de l’apartheid sud-africain et certains autres aspects dans le quotidien des citoyens palestiniens en Israël ne sont absolument pas comparables à ce que fut l’apartheid. Le point de comparaison essentiel est pour moi l’inspiration politique. Le mouvement anti-apartheid, l’ANC, les réseaux solidaires construits au fil des années en Occident, devraient inspirer une campagne pro-palestinienne plus précise et plus efficace. C’est pour cela que l’histoire de la lutte anti-apartheid doit être apprise plutôt que de s’appesantir à comparer le sionisme avec l’apartheid.
Noam Chomsky : Il ne peut y avoir de vraie réponse à cette question. Il existe des similarités et des différences. En Israël même, il y a de réelles discriminations mais on est très loin de l’apartheid de l’Afrique du sud. Dans les Territoires Occupés, l’histoire est tout autre. En 1997, j’ai prononcé un discours d’ouverture à l’Université Ben Gourion dans le cadre de l’anniversaire de la guerre de 1967. J’ai lu un paragraphe lié à l’histoire de l’Afrique du sud. Aucun commentaire n’a été nécessaire.
En y regardant de plus près, la situation dans les Territoires Occupés diffère de l’apartheid à de nombreux égards. Sur certains aspects, l’apartheid sud-africain fut beaucoup plus vicieux que ce qui se pratique en Israël et sur d’autres aspects, on pourrait dire l’inverse. Pour prendre un exemple, l’Afrique du sud blanche existait par le travail noir. La grande majorité de la population ne pouvait être exclue. A un moment donné, Israël reposait sur une main-d’œuvre palestinienne bon marché et corvéable à merci mais celle-ci a été remplacée depuis longtemps par de petites mains venues d’Asie, d’Europe de l’Est et d’ailleurs. Les Israéliens seraient soulagés si les Palestiniens disparaissaient. Et l’on peut dire que les politiques qui prennent forme suivent de près les recommandations de Moshe Dayan pendant la guerre de 1967 : les Palestiniens “continueront de vivre comme des chiens et ceux à qui cela ne plaît pas, peuvent partir”. D’autres recommandations encore pires ont été émises par certains humanistes américains de gauche grandement reconnus. Michael Waller, par exemple, de l’Institute of Advanced Studies à Princeton et rédacteur du journal démocrate socialiste Dissent, a émis l’idée voilà 35 ans, que les Palestiniens étant des “marginaux de la nation”, on devrait leur “donner les moyens” de partir. Il parlait des citoyens palestiniens en Israël et c’est une idée largement reprise encore récemment par l’ultranationaliste Avigdor Lieberman et relayée aujourd’hui parmi les principaux courants d’opinion en Israël. Je mettrais de côté les vrais fanatiques comme le professeur de droit d’Harvard, Alan Dershowitz qui déclare qu’Israël ne tue jamais de civils mais seulement des terroristes — ce qui reviendrait à dire que “terroriste” signifie “tué par Israël” — et qu’Israël devrait avoir pour objectif un ratio de 1000 pour zéro ce qui sous-entend “exterminer les brutes”. Ceci est lourd de sens lorsqu’on sait que ceux qui défendent de telles idées sont largement respectés dans les cercles les plus éclairés aux États-Unis et même en Occident. On peut imaginer ce que seraient les réactions si de tels propos étaient tenus à l’égard des Juifs.
Pour revenir à la question, il n’y a pas de réponse claire à apporter sur une possible analogie.
Table des matières
Note d’intention.................................................... 5
Partie 1
Noam Chomsky et Ilan Pappé :
entretien sur le conflit israélo-palestinien
printemps 2008....................................................7
Partie 2
Noam Chomsky et Frank Barat :
considérations sur le conflit israélo-palestinien
printemps 2007..................................................27
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