Par un jugement rendu le 29
décembre 2005, le tribunal correctionnel
de Tel-Aviv a
condamné Tali Fahima à la peine de
trois ans d’emprisonnement, un peu plus
d’un an après l’avoir inculpée de graves
crimes et délits : intelligence avec
l’ennemi en temps de guerre, aide à une
organisation terroriste et port d’armes.
Il lui était également reproché d’avoir
entretenu des rapports avec un agent
étranger, d’avoir fourni des informations
à l’ennemi et d’avoir enfreint l’interdiction
qui est faite aux citoyens israéliens
de se rendre dans des territoires
contrôlés par l’Autorité palestinienne.
Si ses juges ont vraisemblablement fait
preuve d’une certaine mansuétude au
regard des charges qui pesaient sur elle,
c’est qu’ils ont simplement entériné un
accord que son avocat avait passé
quelques semaines auparavant avec celui
du gouvernement israélien. Il s’agit
d’une pratique judiciaire israélienne qui
ressemble au « plaider-coupable » anglosaxon.
Par cet accord, Tali Fahima a
reconnu avoir commis les trois derniers
délits qui lui étaient reprochés, le gouvernement
israélien renonçant en contrepartie
à la poursuivre pour les trois premiers
qui lui faisaient encourir trente
ans d’emprisonnement.
Une solidarité efficace
Si l’avocat du gouvernement israélien a
accepté ce compromis, c’est sans doute
parce que les charges les plus graves
qui pesaient sur Tali Fahima n’étaient pas
solidement étayées. Mais également
grâce au mouvement de solidarité qu’elle
a suscité, en Israël autour de la Coalition
des femmes pour une paix juste, et à
l’extérieur, notamment en France de la
part de l’Union juive française pour la
paix (UJFP), rejointe par d’autres ONG
dont la Ligue des droits de l’Homme.
Avec Tali Fahima, les autorités israéliennes
avaient pensé pouvoir faire un
exemple. C’était en effet une victime
toute désignée que cette jeune femme
de 28 ans issue d’un milieu modeste,
d’origine marocaine, qui a grandi dans
une « ville de développement » où la
majorité vote Likoud. Elle avait osé se
rendre à plusieurs reprises dans les territoires
palestiniens occupés, plus précisément
dans le camp de réfugiés de
Jénine, au grand dam de l’armée israélienne,
après ce qu’elle y a commis lors
de l’offensive Rempart. Circonstance
aggravante, Tali Fahima n’a rien fait en
cachette ; les médias israéliens étaient
parfaitement au courant de ses visites
au camp de réfugiés de Jénine, du projet
qu’elle avait de financer la reconstruction
de la bibliothèque et de l’atelier
de théâtre détruits deux ans plus tôt, et
du fait que, lors de ses séjours, elle habitait
dans la maison de Zakaria Zbeïdi, le
jeune chef des Brigades des martyrs
d’Al-Aqsa du camp. Lorsque ce dernier
a, une fois de plus, échappé à une tentative
d’assassinat, n’avait-elle pas
déclaré, au journaliste israélien qui l’interrogeait,
qu’elle envisageait de le protéger
en lui servant de bouclier humain ?
Il n’est donc pas surprenant que le Shin
Bet se soit intéressé de près à elle. Après
lui avoir vainement demandé de collaborer
dans le courant du mois de mai
2004, ils l’arrêtent le 9 août 2004 alors
qu’elle se rendait à Jénine. Elle subira
vingt-huit jours d’interrogatoires intensifs
(parfois 18 heures d’affilée), et sera
placée en détention administrative le 5
septembre 2004. Shaul Mofaz, le ministre
de la Défense, déclarera à la presse avoir
pris personnellement cette décision car
Tali Fahima aurait été « un danger pour
tous les Israéliens ».
Un comité de défense se constitue très
vite, qui dénonce la détention administrative
qu’ont subie et que subissent
encore tant de Palestiniens, hommes et
femmes - pour des périodes de six mois
indéfiniment renouvelables, sans aucun
procès -, mais aussi le fait que Tali
Fahima soit la première femme israélienne
à connaître un pareil traitement. Cette solidarité prend de court les autorités
israéliennes qui mettent fin à la
détention administrative de Tali Fahima
et engagent contre elle un procès en
bonne et due forme ; sans lui laisser le
temps de retrouver l’air libre, le tribunal
correctionnel de Tel-Aviv lui notifie
de lourdes charges et la place en
détention provisoire.
Quant au Shin Bet, il amplifiera sa campagne
de presse contre Tali Fahima. Les
médias israéliens sont alimentés de discours
sur sa participation à des activités
terroristes, la préparation d’attentats suicides
commis en Israël, mais aussi de
l’attaque qui coûtera la vie à cinq soldats
israéliens, le 11 août 2004, au checkpoint
de Kalandia. Tali Fahima est par
ailleurs périodiquement présentée comme
la maîtresse de Zakaria Zbeïdi.
Dans ces conditions, Tali Fahima et son
avocat ont tenté de trouver une issue
contractuelle à un procès qui promettait
d’être tout sauf équitable. L’avocat
du gouvernement israélien a accepté la
démarche et que Tali Fahima ne se reconnaisse
coupable que de trois délits relativement
moins graves. Elle accepte que,
dans les circonstances actuelles, la plupart
de ses amis du camp de réfugiés de
Jénine sont des « agents étrangers » -
mais qui sont en réalité chez eux, occupés
et en résistance-, ni ne nie qu’elle
n’avait pas le droit de se rendre dans
cette ville théoriquement placée sous le
contrôle de l’Autorité palestinienne. Le
troisième délit assumé par elle - les
« informations fournies à un ennemi » -
constitue une distorsion de la réalité :
Zakaria Zbeïdi lui a bien montré un jour
un document abandonné par des soldats
israéliens lors d’une récente incursion
dans le camp, qui précisait les noms et
adresses d’un certain nombre de membres
des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa.
Ce document, évidemment rédigé en
hébreu, Zakaria Zbeïdi n’avait pas besoin
qu’on le lui traduise, car comme beaucoup
de jeunes de la première Intifada,
il a passé de longues années dans les
prisons israéliennes et en a profité pour
apprendre la langue du pays.
Quel bilan de l’action et du combat judiciaire de Tali Fahima ?
Maintenant que son procès est derrière
elle, le moment semble venu de tenter
de dresser un bilan de ce qu’elle a réussi
à faire auparavant, au regard de tout ce
qu’elle a dû affronter.
C’est ce qu’a fait son comité de soutien
israélien. Dans un rapport qui a été transmis
à l’UJFP, il estime que Tali Fahima
est parvenue à briser plusieurs tabous.
Tout d’abord, elle est la première militante
pacifiste persécutée à provenir
d’une « ville de développement », l’une
de ces communes de relégation des juifs
orientaux défavorisés. En s’intéressant
de plus près au conflit israélo-palestinien
et en allant courageusement voir
sur place, toute seule, à quoi ressemble
ce peuple « terroriste », Tali
Fahima a en quelque sorte
brisé un mur social, qui
enferme des juifs arabes
pauvres dans la soumission
aux autorités.
Ensuite, l’issue de son procès
a permis de démasquer
le Shin Bet en le prenant
en flagrant délit de mensonge.
Les accusations les
plus graves qui pesaient sur
Tali Fahima étaient en effet
fondées sur des rapports des
services secrets. En renonçant
à la poursuivre, le gouvernement - et le tribunal
de Tel-Aviv à sa suite -, ont en quelque
sorte désavoué le Shin Bet.
Mais celui-ci n’a pas seulement menti
aux autorités judiciaires, il a fait de
même avec les médias israéliens. Tali
Fahima devrait donc rentrer en grâce
auprès d’eux. Les téléspectateurs et lecteurs
de journaux israéliens se souviendront
en tout cas de ce qu’elle avait
réussi à faire passer avant son arrestation.
Au lieu de l’habituelle caricature
du « terroriste palestinien », les uns et
les autres ont pu entrevoir des visages
humains, ceux des habitants du camp
de réfugiés de Jénine, victimes de l’occupation,
celui de Zakaria Zbeïdi qui a
perdu sa mère - infatigable combattante
du dialogue - et son frère lors de l’offensive
Rempart, et qui a décidé de prendre
les armes, avec détermination mais sans
haine pour le peuple israélien.
Tali Fahima a aujourd’hui l’avenir devant
elle. Elle était secrétaire dans un cabinet
d’avocats de Tel-Aviv qui l’a licenciée
lorsque la presse a relié son arrestation
à des délits contre la « sécurité ».
Un autre cabinet d’avocats lui a depuis
lors proposé de l’employer dès sa sortie
de prison. Elle retrouvera aussi les
nombreux amis qu’elle s’est faits, en
tout cas dans le camp anticolonialiste
israélien, en Palestine et en Europe.
Christiane Gillmann