Des dizaines de milliers de Libanais ont participé aujourd’hui à deux rassemblements bien distincts qui témoignaient des profondes divisions du pays : l’un a réuni des partisans du Hezbollah pro-iranien pour rendre un dernier hommage à Imad Moughnieh, tué la veille à Damas [1], l’autre marquait l’anniversaire de l’assassinat en 2005 du premier ministre Rafic Hariri.
Le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui vit lui-même dans la clandestinité par crainte d’assassinat depuis le conflit de l’été 2006 avec Israël, a menacé l’État hébreu de représailles. Dans un message vidéo diffusé à la foule, il a accusé Israël d’avoir agi « hors des frontières », c’est-à-dire en-dehors du Liban et il a affirmé que le Hezbollah pourrait lui aussi décider de se venger à l’étranger. Les derniers attentats à l’étranger attribués au Parti de Dieu remontent au milieu des années 1990.
« Vous avez franchi les frontières », a-t-il lancé à l’adresse des dirigeants israéliens. « Avec ce meurtre, le moment choisi, l’endroit et la méthode, sionistes, si vous voulez ce genre de guerre ouverte, que le monde entier l’entende : que cette guerre soit ouverte. »
Israël a démenti son implication dans l’attentat à la voiture piégée qui a tué Imad Moughnieh, soupçonné d’avoir perpétré de nombreux attentats meurtriers. Selon le quotidien « As-Safir » lié au « Parti de Dieu », Nasrallah a rapidement choisi son successeur, qui n’a pas été dévoilé.
Soulignant les liens étroits entre l’Iran et le Hezbollah, le ministre iranien des Affaires étrangères Manoucher Mottaki a fait le déplacement de Beyrouth pour y lire un message du président Mahmoud Ahmadinejad. Le cercueil de Moughnieh, recouvert du drapeau du Hezbollah, a été transporté au milieu de la foule, sous les slogans « Mort à Israël ! » et « Mort à l’Amérique ! ».
Quelques kilomètres plus loin, dans le centre de la capitale libanaise, se déroulait une autre manifestation, à l’appel des opposants au Hezbollah et des partisans antisyriens du gouvernement, pour marquer le troisième anniversaire de l’assassinat de Rafic Hariri.
Des dizaines de milliers de Libanais ont là aussi bravé le froid et la pluie et convergé vers la place des Martyrs et la tombe de Rafic Hariri. Son frère Chafik a dévoilé une statue de l’ancien premier ministre sur les lieux de l’attentat qui lui avait coûté la vie. Dans un enregistrement audio, la veuve d’Hariri, Nazek, qui vit à Paris, a exhorté les Libanais à ne pas tomber dans la haine et a appelé à « l’unité pour sauver le pays ».
La majorité antisyrienne comptait sur un rassemblement de grande ampleur pour contraindre l’opposition à accepter un compromis dans la crise politique qui paralyse le pays depuis quinze mois. L’objectif était aussi d’adresser un message à la Syrie pour qu’elle reste en dehors de la vie politique libanaise. « Venez pour qu’ils ne reviennent pas », invitaient certaines affiches annonçant la manifestation.
Les événements d’aujourd’hui pourraient être décisifs dans la suite de la crise. Plusieurs membres de la coalition gouvernementale ont présenté leurs condoléances après la mort de Moughnieh, signe d’une volonté d’apaisement de la majorité antisyrienne.
Afin d’éviter d’éventuels affrontements alors que l’opposition campe toujours sur la place des Martyrs, environ 8000 soldats et policiers ont été déployés dans le centre de la capitale libanaise. Des fils barbelés séparaient les deux groupes et des blindés avaient pris position sur les principaux axes routiers.
Quelques affrontements ont opposés les manifestants des deux camps, qui ont échangé coups de poing, de bâtons et de couteaux dans trois quartiers de la ville. Quatre personnes ont été blessés.
L’assassinat d’Imad Moughnieh pourrait par ailleurs entraîner de nouvelles tensions entre Israël et le Hezbollah. Plusieurs personnalités de l’opposition libanaise ont d’ailleurs appelé à des représailles contre l’État hébreu. Les ambassades et institutions juives dans le monde avaient reçu pour instruction de se mettre en état d’alerte.
voir aussi Haaretz :
Quelle vengeance pour la mort d’Imad Moughnieh ?
L’assassinat d’un des piliers du Hezbollah à Damas fait craindre le pire aux Israéliens. Ces derniers s’attendent à subir directement ou indirectement les représailles de l’organisation terroriste.
Une bien vilaine surprise attendait Manouchehr Mottaki, le ministre iranien des Affaires étrangères, venu à Damas pour débattre de la crise libanaise avec le président syrien Bachar El-Assad. Il a pu se rendre compte que la Syrie n’était plus un Etat sûr. Ses services de renseignements sont perméables, et les émissaires de Téhéran et leurs amis, qu’il s’agisse des dirigeants du Djihad islamique ou du Hamas, sont désormais sous le coup d’une menace permanente, comme le prouve l’assassinat, mardi 12 février, d’Imad Moughnieh. Si Mottaki a été surpris, le président syrien a, quant à lui, été touché de plein fouet. Car c’est sous son nez qu’une opération d’une telle complexité a été concoctée puis lancée, et non dans ce Liban divisé et "plein de traîtres", comme le dit son allié le Hezbollah. Reste que c’est le Hezbollah qui a été le plus secoué, puisque Imad Moughnieh, initiateur de la structure de renseignement, de sécurité et des capacités offensives de l’organisation, a été éliminé.
Par conséquent, il s’agit bien d’un attentat stratégique, du fait de ses répercussions potentielles, qui vont au-delà de l’élimination du principal planificateur et cerveau du Hezbollah. Reste à savoir comment l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah réagira. Leur objectif majeur sera Israël, les Israéliens et les institutions juives dans le monde, voire les avions de lignes israéliens ou les aéroports fréquentés par de nombreux Israéliens. Autant de cibles considérées comme des points faibles en termes de sécurité face au réseau planétaire dont dispose le Hezbollah, mis en place et activé par Moughnieh lui-même. Des objectifs américains pourraient également être considérés comme des objets de vengeance "convenables" et permettraient de transformer la mort de Moughnieh en levier politique. Si des cibles ou des civils américains au Moyen-Orient ou en Amérique centrale sont frappés à la suite d’un assassinat commis par les Israéliens, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, peut espérer que la pression à l’encontre de l’Etat hébreu montera dans l’opinion publique américaine.
La question est de savoir quelle cible israélienne serait considérée comme suffisante aux yeux du Hezbollah. Autre front brûlant, le Liban, où de gigantesques manifestations devaient avoir lieu le 14 février afin de célébrer le troisième anniversaire de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Si l’assassinat de Moughnieh débouche sur un déchaînement de violences au Liban, cela pourrait entraîner une nouvelle guerre civile et créer un nouveau front redoutable pour Israël. Dans le pire scénario, le Hezbollah pourrait décider d’entrer en guerre contre Israël, mettant ainsi le gouvernement libanais dans une situation impossible.
Zvi Bar’el
Ha’Aretz
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