Des familles palestiniennes, craignant des représailles, fuient leurs maisons, à Gaza, vendredi 8 août.
A 8 heures précises, vendredi 8 août, les sirènes ont retenti à Ashkelon. Pour la première fois depuis trois jours, cette ville du sud d’Israël a essuyé une salve de roquettes, suivie d’autres dans les environs. Le Hamas et le Jihad islamique avaient décidé, peu de temps auparavant, de ne pas prolonger la trêve décrétée mardi, au vu du blocage des négociations au Caire. Ils estiment insuffisantes les concessions proposées par Israël sur la levée du siège de la bande de Gaza. Les négociations pourraient toutefois se poursuivre.
Après un mois de guerre dévastatrice pour la population de Gaza, le Hamas joue son avenir politique sur la levée de l’embargo imposé depuis 2007 par Israël. Avec la destruction par l’Egypte, dès l’été 2013, des tunnels de contrebande qui avaient permis de contourner le blocus imposé sur le passage des biens et des personnes par voies terrestre, maritime et aérienne, le mouvement islamiste n’a plus d’horizon à offrir à sa population. Plus de 1,8 million d’habitants sont plus que jamais condamnés à vivre enfermés sur ce territoire de 360 km2, enclavé entre Israël et l’Egypte, sous perfusion de l’aide humanitaire internationale.
Israël invoque des arguments sécuritaires pour refuser des concessions importantes, comme une levée totale de l’embargo ou la construction d’un port, à laquelle tient le Hamas. Le gouvernement israélien réclame la démilitarisation de la bande de Gaza et le désarmement des factions armées. L’imposition de ce blocus, d’abord partiel après l’enlèvement du caporal Gilad Shalit en juin 2006 puis total après la prise de pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza en octobre 2007, décrétée « entité ennemie » par Israël, n’a pas eu que des visées sécuritaires. « Ehoud Olmert, premier ministre de 2006 à 2009, avait pour projet de pousser la population de Gaza à se distancier du Hamas en la plongeant dans le marasme économique, tout en lui agitant sous le nez le développement de la Cisjordanie dirigée par l’Autorité palestinienne », indique Ofer Zalzberg, analyste à l’International Crisis Group.
70 % DES HABITANTS DÉPENDENT DE L’AIDE HUMANITAIRE
Depuis 2007, le passage des personnes par le point de passage d’Erez, en Israël, est limité à de rares cas humanitaires, à une centaine d’importateurs gazaouis et aux étrangers. L’Egypte a imposé des mesures similaires. Les biens ne transitent que par voie terrestre, Gaza ne disposant plus de port ni d’aéroport, et depuis 2011, uniquement par le point de passage de Kerem Shalom, dans le sud de l’enclave. L’importation de biens de consommation est strictement limitée et interdite en ce qui concerne les matériaux de construction destinés au secteur privé, dont dépendent 70 000 personnes. Israël estime que ces produits peuvent servir à un usage militaire comme à la construction de tunnels.
Seules les organisations internationales ont obtenu des droits d’entrée, en volumes limités, à partir d’octobre 2011. Les exportations ont été interdites vers les marchés traditionnels que sont la Cisjordanie et Israël, où 85 % des produits de Gaza étaient vendus avant 2007. A l’international, elles ne représentent que 2 % de leur niveau de 2000. L’embargo a ainsi fait de Gaza, jadis grand port commerçant de la Méditerranée, une économie d’importation, détruisant tout le tissu de production local.
La population est la première à en pâtir. Le chômage s’élève à 41 % et 70 % des habitants dépendent de l’aide humanitaire. L’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, est le plus important employeur de Gaza, devenue le plus grand récipiendaire d’aide internationale par capita au monde. L’Union européenne injecte à elle seule chaque année plus d’un milliard de dollars (740 millions d’euros) pour payer les salaires, les aides sociales, une partie du budget de l’UNWRA et des programmes de développement. Plus de la moitié du budget de l’Autorité palestinienne est injecté dans l’enclave. « Les restrictions ont renforcé le contrôle du Hamas sur la population, qui est devenue plus dépendante des emplois publics et des produits de contrebande », indique Sari Bashi, cofondatrice de l’ONG israélienne Gisha.
MESURE DE PROTECTIONNISME ÉCONOMIQUE
Avec la gestion des tunnels de contrebande vers l’Egypte, le mouvement et ses sbires se sont assuré une manne financière. Les produits y transitant ont été soumis à des taxes élevées, générant des millions de dollars de revenus par mois, notamment dans les trafics de cigarettes et d’essence, scrupuleusement relevés dans les livres de compte du ministère de l’économie. Matériaux de construction, mais aussi personnes et armes, empruntaient ces tunnels jusqu’à l’été 2013, quand l’Egypte du maréchal Sissi a entrepris de les détruire, pour des raisons sécuritaire et politique, asphyxiant davantage Gaza.
Les arguments sécuritaires ne convainquent pas les ONG et experts internationaux. « Des responsables de l’armée, dont le général Eitan Dangot, ont publiquement critiqué le blocus », indique Mme Bashi. « Après l’incident de la flottille du “Mavy-Marmara” en 2010, la libération de Gilad Shalit en 2011 ou l’opération “Pilier de défense” en 2012, Israël a concédé des allégements du blocus au Hamas. Benyamin Nétanyahou, a alors dit arrêter le blocus économique pour un blocus sécuritaire mais étrangement, cela ne s’est pas traduit par une levée de l’interdiction des exportations », pointe un spécialiste du dossier.
Le maintien de cette restriction confirme chez certains l’idée que l’embargo de la bande de Gaza est avant tout une mesure de protectionnisme économique. Le refus d’Israël d’utiliser les superscanners financés par les Pays-Bas pour permettre un contrôle de sécurité des exportations de l’enclave par le terminal de Kerem Shalom ne laisse d’interroger. « Le but d’Israël est de maintenir le monopole des producteurs israéliens en Cisjordanie et à Gaza », estime un expert international. La bande de Gaza constitue un marché non négligeable pour Israël. En 2012, les importations dans l’enclave ont rapporté 380 millions de dollars. Plus encore depuis la destruction des tunnels de contrebande.