Le président Abbas avait sans conteste mesuré les conséquences de sa démarche en décidant, mardi, de précipiter le calendrier de l’offensive diplomatique dont il brandissait depuis plusieurs mois la menace. En moins de 24 heures, il a provoqué un vote au Conseil de sécurité des Nations unies sur une résolution fixant une date-butoir pour la fin de l’occupation israélienne puis, face à son échec – plus sévère qu’espéré-, signé l’adhésion de la Palestine au statut de Rome et à dix-sept autres traités internationaux. " Ils nous attaquent nous et notre territoire tous les jours ; auprès de qui allons-nous nous plaindre ? Le Conseil de sécurité nous a laissés tomber : où pouvons-nous aller ? ", a justifié le président palestinien, avant d’apposer sa signature, lors d’une cérémonie retransmise à la télévision depuis le siège de la présidence à Ramallah, en Cisjordanie.
Ce n’est pas un hasard si cette signature a coïncidé avec les commémorations du 50e anniversaire du Fatah, le parti du président Abbas. Symboliquement, le moment ne pouvait être mieux choisi pour le chef palestinien, en mal de légitimité. A moins d’un mois du congrès du Fatah, il montre à ses détracteurs au sein de la classe politique et de l’opinion palestiniennes qu’il a su écouter ceux qui n’ont cessé de critiquer son obstination à s’accrocher à la solution négociée, en dépit de la poursuite de la colonisation israélienne. L’échec de la résolution palestinienne devant les Nations unies a eu raison de ses dernières illusions, déjà sérieusement entamées après celui en avril du dernier round de négociations bilatérales, sous égide américaine, puis la guerre dans la bande de Gaza, à l’été, qui a fait plus de 2 100 morts côté palestinien.
Jusqu’au dernier moment, les Etats-Unis, fervents soutiens de la solution négociée, ont espéré faire entendre raison au président Abbas, en agitant la promesse d’une reprise rapide des négociations de paix. Cette démarche est " contre-productive et n’avance en rien les aspirations du peuple palestinien à un Etat indépendant et souverain ", a réagile porte-parole du département d’Etat, Edgar Vasquez. Elle plonge les Etats-Unis dans l’embarras alors que le Congrès a menacé de couper l’aide à l’Autorité palestinienne dans une telle éventualité. Washington a cru pouvoir convaincre la direction palestinienne de l’effet pervers de cette démarche alors que commence en Israël la campagne pour les élections législatives anticipées, prévues le 17 mars. L’offensive palestinienne risque fort de donner des arguments de campagne au premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et à ses concurrents d’extrême droite qui, à l’instar du leader du parti Foyer juif, Naftali Bennett, rejettent quant à eux l’existence même d’un Etat palestinien.
En dépit des critiques véhémentes qui lui ont été adressées pour sa gestion de la guerre à Gaza, Benyamin Nétanyahou part à nouveau favori après avoir remporté haut la main – à près de 80 % – les primaires de son parti, le Likoud, mercredi. Désormais en pleine campagne, le chef du gouvernement s’est posé en homme de la situation. Jeudi, M. Nétanyahou a minimisé la portée de la demande d’adhésion. Il s’est dit assuré que la CPI, auquel Israël n’est pas partie, rejettera " en bloc l’appel hypocrite de l’Autorité palestinienne, qui n’est pas un Etat. (…) C’est une entité qui existe en alliance avec une organisation terroriste, le Hamas, qui commet des crimes de guerre alors qu’Israël est un Etat de droit avec une armée morale qui respecte le droit international. "
L’assurance du premier ministre israélien pourrait être contredite. La CPI avait dit qu’elle accepterait une demande d’adhésion de la Palestine, une fois que celle-ci serait reconnue comme Etat par l’Assemblée générale de l’ONU. Ce qui a été fait le 29 novembre 2012. Malgré tout, le chemin pourrait être long avant que ne puissent être envisagées des poursuites contre des responsables israéliens. Soixante jours sont déjà nécessaires pour qu’entre en vigueur l’adhésion palestinienne, après quoi il reviendra à la procureure, Fatou Bensouda, de décider de l’opportunité d’entamer des procédures judiciaires sur les plaintes dont elle sera saisie. En 2010, cette dernière avait estimé que la gravité des faits n’était pas établie dans la mort de neuf militants propalestiniens sur le navire Turc Mavi-Marmara, pour que la CPI s’en saisisse.
Les autorités palestiniennes espèrent voir leurs plaintes entendues concernant les soupçons de crimes de guerre durant les événements de l’été et la guerre à Gaza, sur la colonisation et le Mur de séparation – qui avait été jugé illégal par la Cour internationale de justice en 2004. De son côté, M. Nétanyahou a averti que cette adhésion se retournerait contre le Hamas, qui a tiré plus de 4 500 roquettes et projectiles sur le territoire israélien pendant la guerre de Gaza. Cette perspective est assumée par le mouvement islamiste qui a donné, en août, avec les autres chefs palestiniens, son accord à l’adhésion.
Si la bataille judiciaire est encore loin d’être engagée, M. Nétanyahou a déjà promis des " mesures en réponse ". En novembre 2012, après l’adhésion de la Palestine comme Etat observateur non-membre de l’ONU, il avait lancé une vague de construction dans les colonies, allant jusqu’à causer une crise diplomatique avec la France et la Grande-Bretagne. Mais, nombreux sont les commentateurs qui pensent la rupture encore loin d’être consommée. Malgré les menaces, le président Abbas n’a pas encore osé franchir le pas de la fin de la coopération sécuritaire avec Israël, qui pourrait le conduire à réoccuper les zones sous contrôle palestinien, au risque d’un nouveau soulèvement.
CONVOCATION de l’ambassadeur français en Israël
Les autorités israéliennes ont convoqué, vendredi 2 janvier, l’ambassadeur français en Israël, Patrick Maisonnave. Le diplomate est attendu au ministère israélien des affaires étrangères pour expliquer le soutien, inattendu, de la France à la résolution palestinienne rejetée l’avant-veille au Conseil de sécurité des Nations unies. La France avait invoqué " la nécessité urgente d’agir ", en dépit de divergences avec certains points du texte.
PRESSIONs sur le Nigeria
Les pressions américaines et -israéliennes ont eu raison du -Nigeria, qui est revenu sur sa -décision de voter en faveur de la résolution palestinienne. Ce vote aurait donné aux Palestiniens la majorité requise des neuf voix. " Il a été dit au Nigeria que s’il ne s’abstenait pas ou ne votait pas contre, on lui retirerait tout soutien dans sa guerre contre Boko Haram ", a accusé le négociateur palestinien, Saëb Erekat.