C’est avec une grande inquiétude et une grande souffrance que nous, organisations de la société civile palestinienne, associations de défense des droits humains, réseaux et collectifs soussignés, adressons en urgence cette déclaration au Gouvernement allemand et à la Diète fédérale allemande au vu de sa récente résolution contre le mouvement palestinien de Boycott, de Désinvestissement et de Sanctions (BDS), [1] confondant dangereusement ce mouvement et l’anti-sémitisme, tout en visant plus largement tous les acteurs de la société civile oeuvrant en faveur de la promotion et de la protection des droits humains et des libertés fondamentales des Palestiniens dans les Territoires Palestiniens Occupés. Nous appelons le Gouvernement allemand à s’abstenir de transposer cette résolution dans sa législation étant donné ses graves répercussions pour la société civile palestinienne et sa violation des obligations de l’Allemagne, en tant que pays tiers, de garantir le respect du droit international dans les Territoires Palestiniens Occupés.
Les soussignés sont vivement préoccupés par la résolution commune, adoptée le 17 mai 2019, et co-signée par quatre partis politiques allemands : la CDU/CSU, le SPD, le FDP, et l’Alliance 90/les Verts. La résolution viole le droit international international sur les droits humains, notamment les droits à la liberté d’expression, d’opinion, et d’association. Elle fait partie d’une réaction de rejet systématique et de campagnes méthodiques de pression, menées essentiellement par le Gouvernement israélien, pour saper, discréditer et vilipender le mouvement pacifique de BDS. Ceci est bien démontré dans la mission du Ministère des Affaires Stratégiques et de la Diplomatie Ouverte « d’agir contre la délégitimisation et les campagnes de boycott à l’encontre de l’état d’Israël. » [2] En 2017, Israël a adopté l’Amendement No. 28 à la Loi sur l’Entrée en Israël, qui interdit d’accorder un permis d’entrée, et de résidence en Israël, aux personnes qui ont intentionnellement publié un appel public à des activités de boycott ou qui y ont participé. Cette loi a été utilisée pour restreindre l’entrée [3] et le travail de défenseurs des droits humains, parmi lesquels le Directeur de Human Rights Watch pour Israël et la Palestine. [4] Cette réaction de rejet systématique continue à se produire malgré le fait que le BDS a été longtemps protégé dans le cadre des droits à la liberté d’expression et d’opinion, y compris par le Gouvernement et les tribunaux allemands [5], de même que par d’autres gouvernements européens, l’Union Européenne (UE), et les Nations Unies (NU).
De façon notable, en février 2019, le Gouvernement allemand a fait référence au mouvement de BDS comme étant couvert par le droit à la liberté d’expression et de pensée, telle que garantie dans la Loi Fondamentale Allemande. En particulier, l’Article 5 de la Loi Fondamentale Allemande garantit le droit à la liberté d’expression et de parole sans censure, tandis que l’Article 9 garantit le droit à la liberté d’association. [6] La résolution constitue une atteinte aux droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association, inscrite dans les articles 10 et 11 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Dans le même temps, le Ministre néerlandais des Affaires étrangères, le Ministre irlandais des Affaires étrangères et du Commerce et le Ministère suédois des Affaires étrangères ont précédemment, en ce qui concerne le BDS, déclaré et affirmé la garantie des droits à la liberté de parole, d’expression et d’association. [7]
L’UE a expressément affirmé le besoin de garantir les droits à la liberté d’expression et d’association, tels qu’inscrits dans la Charte de l’UE des Droits Fondamentaux, y compris en ce qui concerne les activités de BDS partout dans les Etats Membres. [8] En outre, en juillet 2018, l’UE a mis en garde contre les affirmations « imprécises et non fondées » d’Israël en ce domaine , en estimant qu’elles font partie de ses « campagnes de désinformation » accrues. [9] L’UE a alors réaffirmé sa position en faveur de la protection des droits à la liberté d’expression et d’association, en mettant l’accent sur le fait que « doit être évitée toute action qui a pour effet de fermer l’espace dans lequel agissent les organisations de la société civile par une restriction indue de la liberté d’association ». [10]
En avril 2019, trois Rapporteurs Spéciaux de l’ONU ont publiquement déclaré que le fait d’apporter un soutien ou de s’opposer au BDS est protégé par les droits universellement reconnus à la liberté d’opinion, d’expression et d’association. Les Rapporteurs Spéciaux ont en outre mis l’accent sur le fait que « la possibilité pour les organisations et le défenseurs des droits humains de s’engager activement dans le travail de la société civile de défense et de promotion des principes garantis par la Charte Internationale des Droits de l’Homme est un critère déterminant dans toute société pour prendre la mesure du respect des libertés démocratiques (…) Bâillonner ces libertés discrédite la prétention de tout gouvernement de respecter les libertés et les valeurs fondamentales. » [11]
Malheureusement, la résolution en question adoptée par la Diète Fédérale allemande pénalise la société civile s’employant à assurer les droits fondamentaux, la liberté, la justice et la dignité aux Palestiniens, dont les droits ont été systématiquement niés depuis la Nakba en 1948 et tout au long de l’occupation militaire israélienne persistante des territoires palestiniens. Une telle résolution restreint davantage l’espace déjà existant en voie de réduction pour les organisations de la société civile, et réduit effectivement au silence la société civile palestinienne, qui, depuis maintenant des décennies, a oeuvré au premier rang pour défendre la concrétisation des droits inaliénables des Palestiniens et pour promouvoir le respect du droit international, en tant que fondement de la liberté, de la justice et de l’égalité.
Dans ce contexte, le manque de volonté politique parmi les Etats tiers à prendre des mesures résolues pour contribuer efficacement à mettre fin à l’occupation israélienne persistante a encouragé Israël, la Puissance Occupante, à poursuivre ses violations largement répandues et systématiques des droits humains et ses graves atteintes au droit humanitaire international, tout en pérennisant sa colonisation et son occupation des territoires palestiniens et la dépossession des Palestiniens qui y vivent. Cependant les organisations de la société civile continuent à contrer pacifiquement et ouvertement les attaques continuelles et croissantes contre les Palestiniens, y compris à la suite de l’appropriation des terres, du pillage des ressources naturelle, des transferts forcés, et de l’effacement systématique de la présence, de l’identité, du patrimoine et de l’histoire des Palestiniens.
En 2005, l’appel au BDS a été lancé par les Palestiniens pour offrir à la société civile une alternative, pacifique, et des moyens non-violents pour s’opposer aux violations et aux crimes généralisés perpétrés par Israël contre les Palestiniens. Prenant racine dans les initiatives de la société, les mouvements de boycott ont historiquement contribué à la défense dans le monde des droits humains et de la justice sociale. Parmi les boycotts pour la justice sociale il y a eu le boycott des bus de Montgomery aux Etats Unis, le mouvement contre l’Apartheid en Afrique du Sud, et les démarches pour mettre fin aux commerce des esclaves dans l’Angleterre du 18ème siècle. Le mouvement de BDS palestinien est fondé sur un consensus parmi 170 organisations de la société civile palestinienne, parmi lesquelles des syndicats, des institutions universitaires, des partis politiques et des associations culturelles, et suit la tradition des mouvements dans le monde qui ont cherché à mettre fin et ont appelé à rendre des comptes quant aux violations largement étendues et systématiques des droits humains.
D’une façon essentielle, le mouvement de BDS est un mouvement mondial conduit par les Palestiniens pour la liberté, la justice et l’égalité, ancré dans les principes du droit international qui « s’oppose par principe à toutes les formes de racisme, dont l’Islamophobie et l’Anti-sémitisme. » [12] Il convient de souligner que le mouvement de BDS n’appelle pas au boycott des personnes, des groupes, ou des entités sur la simple base de leur identité israélienne ou de leur foi juive, ainsi que le déclare de façon erronée la résolution de la Diète fédérale. Il s’adresse au contraire à des personnes et à des institutions qui sont de façon spécifique liées à - et/ou complices des violations et des graves atteintes au droit international de la part d’Israël. [13] Les soussignés rappellent que la critique de l’Etat d’Israël, en tant qu’entité politique, en comprenant son gouvernement, ses forces militaires et ses représentants, est protégée par les droits à la liberté d’expression, d’opinion, aux libertés des médias, entre autres.
En outre, dans une tendance préoccupante, la résolution votée à main levée n’a pas fait de distinction dans ses arguments entre le territoire de l’Etat d’Israël et les Territoires Palestiniens Occupés, ces derniers comprenant la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et la Bande de Gaza, et dans lesquels plus de 250 colonies et avant-postes israéliens ont été construits, avec plus de 600.000 colons israéliens y habitant, en violation du droit international. En tant que telle, la résolution méconnaît la position de longue date de l’Allemagne et des USA sur l’illégalité des colonies israéliennes dans les Territoires Palestiniens Occupés en application du droit international et des obligations des Etats tiers à cet égard. En agissant ainsi, la résolution contribue à l’annexion rampante et à la pérennisation de la colonisation par Israël des territoires palestiniens, au mépris total de la Résolution 2334 du Conseil de Sécurité de l’ONU (2016), qui appelle les Etats tiers à faire la distinction dans leurs relations correspondantes entre le territoire de l’Etat d’Israël et les Territoires Palestiniens Occupés.
Enfin, les soussignés mettent en garde l’Allemagne sur le fait que, si elle devait procéder à la traduction de cette résolution en un instrument juridiquement contraignant, ceci menacerait davantage les relatons entre les sociétés civiles allemande et palestinienne. Par conséquent, ceci affecterait directement et négativement la fourniture de service sociaux fondamentaux, dont les secteurs de la santé et de l’enseignement, la promotion des droits humains et du droit international, et l’aide juridique, parmi d’autres tâches effectuées par la société civile palestinienne avec le soutien d’organisations allemandes ou d’autres organisations internationales. De façon cruciale, la Diète fédérale allemande doit traduire l’engagement de l’Allemagne à une solution à deux états en un soutien aux organisations et associations qui cherchent de façon pacifique à mettre fin à l’occupation et aux violations des droits humains qui en résultent.
Au vu des considérations ci-dessus, les organisations, les associations des droits humains, les réseaux et les collectifs de la société civile palestinienne soussignés appellent :
- La Diète fédérale allemande à retirer immédiatement retirer la résolution adoptée le 17 mai 2019, qui confond de façon erronée le BDS et l’Anti-sémitisme ;
- Le Gouvernement allemand à s’abstenir d’adopter cette résolution et de la transcrire dans la législation, étant donné qu’elle viole la législation internationale sur les droits humains, notamment les droits à la liberté d’expression, d’opinion et d’association, de même que ses répercussions sur les organisations de la société civile, principalement de la société civile palestinienne ;
- Le Gouvernement Allemand à contribuer à mettre fin à l’occupation militaire israélienne persistante des territoires palestiniens, et à rendre effectif le droit du peuple palestinien à l’auto-détermination, comprenant la souveraineté permanente sur les richesses et les ressources naturelles et le droit au retour des réfugiés palestiniens, conformément à ses obligations en tant qu’Etat tiers partie dans le cadre du droit international ;
- Le Gouvernement allemand à prendre des mesures concrètes pour mettre fin à l’impunité d’Israël, pour ses violations de grande ampleur et systématiques du droit international perpétrées à l’encontre des Palestiniens, y compris par l’imposition d’un embargo militaire, par l’interdiction des produits des colonies, et par un total soutien au travail du Tribunal Pénal international et aux instruments de la la justice internationale ;
- Le Gouvernement allemand et la Diète fédérale allemande à mettre en oeuvre une mission indépendante d’établissement des faits pour enquêter sur les implications graves et préjudiciables de l’occupation militaire israélienne, y compris de son entreprise coloniale, sur le droit des Palestiniens à l’autodétermination, comprenant la souveraineté permanente ;
- La communauté internationale, y compris les organisations de la société civile allemande, européenne et internationale, les Etats tiers, et les organismes et experts de l’ONU, à dénoncer avec fermeté et à rejeter publiquement la résolution de la Diète fédérale, et d’empêcher qu’elle soit transcrite dans la législation, étant donné qu’elle viole le droit international et qu’elle a de graves conséquences pour le travail de la société civile palestinienne et les aspirations à la liberté, à la justice et à la dignité pour le peuple palestinien.
Signataires [14]
- Palestinian Human Rights Organisations Council (PHROC- Conseil des Organisations Palestiniennes des Droits Humains), qui comprend 10 organisations palestiniennes des droits humains ;
- Palestinian Non-Governmental Organisations Network (PNGO - Réseau des Organisations Non Gouvernementales Palestiniennes ), qui comprend 142 organisations non gouvernementales ;
- Palestinian National Institute for NGO (PNIN - Institut National Palestinien pour les ONG ), qui comprend 70 organisations non gouvernementales ;
- The Palestinian General Union Charitable Societies (Union Générale Palestinienne des Associations Caritatives ), qui comprend 400 associations non gouvernementales et caritatives ;
- Palestinian Disability Coalition(Collectif Palestinien du Handicap) ;
- Palestinian Non-Governmental Organization Against Domestic Violence Against Women (Al-Muntada - Organisation Palestinienne Non Gouvernementale Contre les Violences Domestiques Contre les Femmes ) ;
- Addameer Prisoner Support and Human Rights Association (=Conscience - Association de Soutien aux Prisonniers et des Droits Humains) ;
- Al-Dameer ; (= Conscience)
- Al-Haq, Law in the Service of Man (Le Droit - le Droit au Service de l’Homme) ;
- BADIL – Resource Center for Palestinian Residency and Refugee Rights (Centre de Documentation et d’Information sur les Droits des Habitants et des Réfugiés) ;
- Center for Defense of Liberties and Civil Rights “Hurryyat” ; (Centre de Défense des Libertés et des Droits Civiques « Liberté » )
- Community Action Center (Al-Quds University) ;(Université de Jérusalem -Centre d’Action Communautaire)
- Defense for Children International – Palestine (Internationale de Défense des Enfants -Palestine) ;
- Jerusalem Legal Aid and Human Rights Center (JLAC - Centre d’Aide Juridique et des Droits Humains de Jérusalem) ;
- The Civic Coalition for Palestinian Rights in Jerusalem (Le Collectif Civique pour les Droits des Palestiniens à Jérusalem) ;
- General Federation of Independent Trade Unions – Palestine (Fédération Générale des Syndicats Indépendants -Palestine) ;
- Palestinian Journalists’ Syndicate (Syndicat des Journalistes Palestiniens)
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers