Amira Haas, Haaretz, publié le 03 avril 2017
L’acte d’accusation à l’encontre de S.H. est vague et manque de détails précis, comme cela est habituel dans les actes d’accusation déposés par le procureur militaire – particulièrement en ce qui concerne les jets de pierre. Voici ce qu’il énonce : “L’accusé susnommé, le 26 janvier 2017, ou vers cette date, a jeté un objet, comprenant une pierre, sur un véhicule en mouvement dans le but de l’endommager ou de nuire à la personne le conduisant, à savoir, à la date susmentionnée, sur la Route 465, ou dans le proche voisinage, l’accusé a jeté des pierres sur un certain nombre de véhicules en mouvement avec l’intention de les endommager ou de nuire à une personne voyageant dans ce véhicule.” Signé : l’Officier de la Patrouille de l’Armée Sivan Speizer, Procureur militaire.
La Route 465 a une longueur de 38 kilomètres (environ 25 milles). L’imprécision de “près” et “proche” indique que l’accusation n’avait pas vraiment de preuve sur le moment et sur l’endroit où le délit a été perpétré, mais avait obtenu des aveux. Et les aveux ont été faciles à obtenir de S.H., qui même après sa libération a déclaré qu’il n’avait jeté aucune pierre.
S.H., qui habite à Bir Zeit, avait 12 ans et demi quand il a été arrêté le jeudi 26 janvier. Il est l’un des 111 mineurs palestiniens qui, selon l’Association des Prisonniers Palestiniens, ont été arrêtés par l’armée ou la police israélienne en Cisjordanie depuis le début de l’année. 125 de plus ont été arrêtés à Jérusalem-Est.
Le juge militaire a accepté un "plaider coupable » entre l’accusation et l’avocat du garçon, Khaled el-Aaraj, et condamné S.H. à 31 jours d’emprisonnement à la Prison d’Ofer, à trois mois de liberté surveillée et à une amende de 500 shekels (environ 125 €).
S.H. aurait pu être libéré le 29 janvier si sa mère avait été prête à payer une amende de 5.000 shekels (environ 1.250 €). “Où aurais-je obtenu l’argent ?” a-t-elle crié à el-Aaraj à l’extérieur du tribunal militaire d’Ofer, quand il l’a informée de la proposition de l’accusation. “Que veulent-ils, que ce soit à nous de financer l’occupation ?”
Données de l’Observatoire des Tribunaux Militaires, de l’Association pour les Droits Civiques er de l’Association des Prisonniers Palestiniens
La police israélienne des frontières arrête un manifestant palestinien après des heurts près de Jénine, 2013
S.H., un grand garçon dont la taille est un peu déroutante mais dont le visage correspond à son âge, a été libéré au soir du 26 février, après avoir été en prison pendant un mois. Dans un large sourire, il a serré dans ses bras son père et ses frères qui l’attendaient au point de contrôle d’Ofer depuis le matin.
Le modeste convoi de voitures qui l’a emmené à la maison avec ses amis et ses parents klaxonnait et agitait des drapeaux du Fatah. Toutefois, une semaine après, son père a rapporté que S.H. “n’était pas comme il était habituellement avant qu’il ne soit arrêté".
“Il avait l’habitude de blaguer, et il a cessé de le faire. Il parlait beaucoup, maintenant il est silencieux. Il a eu du mal à reprendre ses études, et il a été difficile d’obtenir de lui davantage que des phrases de cinq mots pour décrire ce qu’il a vécu.”
Nisreen Alyan, une avocate de l’Association pour les Droits Civiques en Israël, déclare que beaucoup de mineurs palestiniens souffrent d’une telle régression quand ils retournent à la maison. En application du droit international, dit-elle à Haaretz, le principe du bien de l’enfant doit guider les actions et les décisions des autorités. Ce n’est pas à quoi cela ressemble généralement quand les mineurs palestiniens sont arrêtés, et ce n’est pas à quoi cela ressemble lors de l’arrestation et du jugement de S.H.
Il y a juste plus de quatre ans depuis la publication d’un rapport de l’UNICEF qui a constaté qu’Israël maltraitait et systématiquement les enfants et les jeunes palestiniens détenus. Mais les récits de violences physiques, de menaces, de menottes en plastique douloureuses et de fouilles à nu, restent presque identiques.
Malgré le rapport de 2013 et les réunions qui ont suivi entre les représentants du procureur militaire et l’UNICEF, les Forces de Défense Israéliennes et la Police Israélienne en Cisjordanie continuent à suivre les mêmes procédures qui, de l’avis des observateurs, contreviennent à la Convention de l’ONU sur les Droits de l’Enfant, selon les témoignages recueillis par l’Observatoire des Tribunaux Militaires. Cette Organisation Non Gouvernementale a suivi de près la façon dont ont été traités plus de 450 mineurs en détention militaire israélienne entre 2013 et 2016. Selon ses données, 96 % des mineurs arrêtés en 2013, et 93 % de ceux arrêtés en 2016, ont rapporté avoir eu les mains liées au moment de leur arrestation – beaucoup d’entre eux eux avec des liens en plastique qu’ils décrivent comme faisant mal ; et respectivement 81 % et 83 %, ont rapporté avoir eu les yeux bandés. Lors des deux années, 60 % ont rapporté avoir souffert de violences physiques entre les mains de ceux qui les détenaient, tandis que respectivement 49 % et 43 %, ont fait état de violences verbales.
Un dialogue infructueux
La critique publique de ces procédures d’arrestation et de détention a été formulée depuis de nombreuses années, par des associations palestiniennes, telle que la section palestinienne de DCI (Defense for Children International - Défense des Enfants Internationale), et israéliennes. Avant même la publication du rapport de l’UNICEF “Enfants en Détention Militaire Israélienne” , des pétitions à la Haute Cour de Justice de l’ACRI (1), en même temps que de Yesh Din – Volontaires pour les Droits de l’Homme (2), du Comité Public Contre la Torture en Israël (3) et l’Association des Prisonniers Palestiniens, ont conduit à l’actualisation des ordres (militaires) et à des changements mineurs de la législation (tels que la création d’un tribunal militaire pour les jeunes en 2009 – pour la première fois depuis l’occupation de la Cisjordanie – et le changement de la définition de l’âge adulte porté de 16 ans à 18 ans).
Cependant, les témoignages cumulés sur les mauvais traitements infligés aux mineurs palestiniens détenus et sur les violations de leurs droits lors des interrogatoires ont mené l’UNICEF a effectuer de sa propre initiative,une enquête dont elle a publié les recommandations dans son rapport de mars 2013.
Les conditions de détention par Israël telles que rapportées par les mineurs palestiniens. [1]
Se fondant sur sa prise en compte de l’enquête de l’UNICEF et à la suite des pétitions à la Haute Cour, le procureur militaire a annoncé une réduction progressive du laps de temps pendant lequel un mineur peut être détenu avant de l’amener devant un juge : de huit jours à 24 heures pour ceux âgés de 12 à 14 ans ; deux jours pour ceux âgés de 14 à 15 ans ; et quatre jours pour ceux âgés de 16 à 18 ans.
Dans une mise à jour publiée par l’UNICEF en février 2015, elle a rapporté que depuis mars 2013 elle a mené des entretiens avec les responsables israéliens sur les droits des enfants palestiniens pendant leur détention, et sur les mesures qui devraient être prises pour les protéger. Les responsables israéliens étaient les représentants du Ministère des Affaires étrangères, l’avocat général militaire, le procureur général adjoint, le procureur militaire en Cisjordanie, la Police d’Israël et le Service des Prisons d’Israël.
Les entretiens se sont concentrés “sur ce dont un enfant fait l’expérience quand il est arrêté et détenu pour des infractions supposées à la sécurité en Cisjordanie et mis en contact avec diverses autorités israéliennes, » selon la mise à jour, qui est la plus récente à avoir été publiée.
La mise à jour de 2015 donne le détail d’une liste d’initiatives – parmi lesquelles une directive pour amener les mineurs à répondre à un interrogatoire au moyen de convocations au lieu d’arrestations en pleine nuit, et la production d’un texte écrit en hébreu sur le droit du mineur à garder le silence et à consulter un avocat. La mise à jour de l’UNICEF a aussi constaté qu’une lettre de l’avocat-général militaire aux commandants en mai 2013 disait que les bandeaux sur les yeux ne devaient être utilisés qu’en cas de besoin pour raison de sécurité et que les menottes devaient être employées uniquement selon le pouvoir discrétionnaire du commandant – et seulement des menottes en plastique.
« Je l’ai cru et j’ai avoué »
Le ligotage des mains, le bandeau sur les yeux et les violences physiques et verbales qui ressortent des données de l’Observatoire des Tribunaux Militaires sont quelques-uns des éléments qui rendent la détention effrayante dés le début, "amollissant" donc le mineur avant qu’il ne soit interrogé. S.H. a dit à Haaretz que c’était l’étape la plus pénible dans l’expérience qu’il a vécue. Il était en vacances scolaires. Il est descendu vers l’oued local où il a trouvé deux enfants plus âgés avec un cheval, qui se sont enfuis quand, avant midi, des policiers ou des soldats – “en grand nombre, je n’ai pas compté ” – sont apparus tout d’un coup. Ils ont empoigné S.H. et l’ont poussé pour le mettre face contre terre. Il raconte qu’ils l’ont battu, lui ont lié les mains et les pieds, et couvert les yeux. Il a été emmené dans une jeep, les yeux bandés, vers quelque poste militaire. Là, les hommes qui l’avaient arrêté l’ont à nouveau battu et ont exigé qu’il chante “Heureux Anniversaire.” Il dit qu’il a refusé.
Vers 14 h, le père de S.H. a reçu un appel téléphonique lui disant que son fils était soumis à interrogatoire à “Rami Levy” – le nom que les Palestinian donnent au poste de police de la zone industrielle de Sha’ar Binyamin (ainsi dénommée d’après le grand supermarché qui s’y trouve). Il était 15 h au moment où son père est arrivé. Il n’a pas été autorisé à voir son fils avant 16 h 15, après que l’interrogatoire a eu lieu.
“Le policier qui m’a interrogé m’a dit que j’avais jeté des pierres,” raconte S.H. à Haaretz. “J’ai dit que ce n’était pas vrai. Il a dit qu’il voulait me libérer, à condition que j’avoue. Donc je l’ai cru et j’ai avoué.”
Le père a été autorisé à rentrer dans la pièce pour voir son fils, dont les mains et les pieds étaient liés, mais il n’a pas été autorisé à le prendre dans ses bras ni à l’embrasser. il a vu que les vêtements de son fils étaient un peu déchirés et en a conclu que ceci était arrivé au moment de l’arrestation.
“L’enquêteur m’a dit, « ton fils est un menteur. Il a dit qu’il avait jeté des pierres et il a dit aussi qu’il n’avait pas jeté de pierres. » Je lui ai dit que c’était un enfant, qu’il n’avait pas jeté de pierres, qu’il ne devait pas être arrêté – et que même s’il avait vraiment jeté une pierre, il n’avait blessé personne. L’enquêteur a montré du doigt une voiture à l’extérieur et a dit qu’une pierre jetée par un enfant en avait cassé le pare-brise.”
En 2013, 4 % des mineurs arrêtés qui ont témoigné à l’Observatoire des Tribunaux Militaires ont déclaré qu’ils avaient été autorisés à voir leurs parents pendant l’interrogatoire. En 2016, ce nombre a atteint 5 %. En 2013, le nombre des mineurs qui ont été autorisés à rencontrer un avocat était de zéro. En 2016, il a atteint 10 %. Peut-être cette année le nombre va-t-il même augmenter davantage, après un précédent établi par un juge militaire, le Colonel Yair Tirosh, qui, à la fin de février, a récusé le témoignage d’un mineur parce qu’il n’avait pas été autorisé à rencontrer un avocat avant qu’il ne soit interrogé.
Toutefois, même si S.H. avait rencontré un avocat, il est fortement probable que l’avocat lui aurait conseillé de ne pas nier ce dont il avait été accusé, mais plutôt d’avouer. Un procès d’examen des preuves, dans lequel des policiers et des soldats sont convoqués pour témoigner, peut prendre de nombreux mois – beaucoup plus longtemps que la peine infligée pour avoir jeté une pierre qui n’a pas provoqué de blessure – et le tribunal militaire ordonne habituellement la détention jusqu’à la fin des procédures.
Selon les données complètes pour 2015 que l’ACRI à obtenues des autorités militaires et policières, au cours de cette année 1.638 mineurs palestiniens ont été arrêtés (dont 767 à Jérusalem-Est).
La détention d’un mineur jusqu’à la conclusion des procédures, écrivent Alyan et son collègue Sapir Slutzker Amran dans le rapport d’ACRI de mars 2017, devrait être l’exception et non la règle. Les auteurs du rapport concluent que ceci est une politique intentionnelle, contrevenant à la Convention sur les Droits de l’Enfant et également contraire à l’esprit de la loi sur la jeunesse qui s’applique en Israël, qui "cherche à apporter le soutien et la rééducation au lieu de l’arrestation et du châtiment.” Mener des procédures juridiques pendant la détention jusqu’à la fin des procédures est susceptible de “saper la possibilité d’un procès équitable, puisque la détention préventive accroît le risque d’un « plaider coupable » afin d’éviter une détention prolongée.” En 2015, 95 % des mineurs palestiniens de Cisjordanie contre lesquels une mise en accusation avait été enregistrée ont été condamnés, dont plus de la moitié d’entre eux pour avoir “provoqué des troubles de l’ordre public,” environ un tiers pour “activité terroriste hostile” et le reste pour entrée illégale et criminelle ou pour infraction au trafic.
La mère de S.H. a assisté au procès de celui-ci. Parlant à Haaretz, S.H. fait un large sourire – pour le première fois – quand la question lui est posée su ce qu’il a ressenti quand il l’a vue. “As-tu pleuré ?” a demandé son père. “Comment n’aurais-je pas pu le faire ?” a-t-il répliqué.
Le Porte-parole des FDI a réagi : “Les FDI ont été confrontées ces dernières années à un phénomène croissant d’implication des mineurs de Cisjordanie dans des délits, parmi lesquels de graves atteintes à la sécurité. L’application de la loi à l’encontre de mineurs se fait en tenant compte de leur âge. Ainsi, par exemple, de façon générale ils sont interrogés par des interrogateurs pour les jeunes particulièrement qualifiés ; les périodes qu’ils passent en détention sont plus courtes que pour les adultes ; et leur cas est porté devant un tribunal militaire pour les jeunes.
“Les FDI agissent à tous moments pour s’assurer que dans les cas où il est nécessaire d’appliquer la loi à l’égard de mineurs, cela est fait tout en préservant leurs droits juridiques et en tenant compte de leur âge. Les procureurs militaires sont entrés en contact avec le personnel de l’UNICEF pour les questions liées aux droits des mineurs et concernant les allegations formulées dans le dernier rapport (de l’UNICEF). Les soldats des FDI sont informés des règles s’appliquant à la façon de traiter les mineurs, particulièrement de celles concernant les âges auxquels il est possible de maintenir des mineurs en détention. Chaque réclamation relative à un cas spécifique sera l’objet d’une enquête sur tous les détails de celui-ci.”
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers
Notes du traducteur :
(1) ACRI : Association for Civil Rights in Israël (Association pour les Droits Civiques en Israël) ; association israélienne créée en 1972 pour la protection des droits de l’homme et des droits civiques en Israël.
(2) Yesh Din - Volontaires pour les Droits de l’Homme : association israélienne fondée en 2005 par un groupe de femmes qui travaillaient auparavant avec Machsom Watch, autre association israélienne ; « Yesh Din » signifie en hébreu « Il y a une loi » ; Yesh Din intervient en Israël et dans les Territoires Palestiniens Occupés et oeuvre à un plus grand respect des droits de l’homme dans les TPO.
(3) Comité Public Contre la Torture en Israël : association israélienne créée en 1990 en réaction à l’autorisation de l’usage de la torture lors des interrogatoires du Service Général de Sécurité ou Shin Bet ; avec l’ACRI et Hamoked (Centre de défense des individus), autre association israélienne, le CPCTI a obtenu en 1999 de la Haute Cour de Justice (israélienne) l’interdiction de la toute par le Shin Bet ; en 2005 il porté la question des assassinats ciblés devant la Haute Cour qui a rendu un avis mitigé. Dans un apport de 2008, mis à jour en 2012, le CPCTI a fait le constat que l’usage de la torture, par le Shin Bet ou par d’autres services israéliens, perdurait.