Un nième rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), publié le 25 août dernier, nous avertit : Gaza pourrait devenir inhabitable d’ici 2020 si rien n’est fait pour enrayer le « dé-développement » actuel du territoire palestinien emprisonné.
En ce mois de septembre, la division persistante des dirigeants politiques palestiniens, la colonisation galopante en Cisjordanie, les arrestations continuelles et détentions arbitraires, les humiliations répétées, le premier ministre israélien Netanyahou promettant qu’il n’y aura pas (jamais ?) d’Etat palestinien, et le contexte régional, noircissent un peu plus l’avenir de la Palestine.
Pourtant, quelques moments vécus au cours de mon séjour en Cisjordanie, du 5 au 12 septembre 2015 (bien sûr, je n’ai pas été autorisé à me rendre à Gaza), me suggèrent que le colonisateur n’a pas encore gagné la partie.
Scènes quotidiennes de l’humiliation ordinaire.
Ce jour là, je prends un autobus de la ligne régulière à Beit Jala pour revenir de Bethleem à Jérusalem. Il est vite rempli de jeunes gens de 15 et 18 ans, en majorité des filles sortant de leur école. A peine installées, elles commencent à pianoter sur leurs portables. Serais-je dans un bus parisien ?... Derrière moi s’installe une jeune fille de 16 ou 17 ans, aux longs cheveux noirs courant sur ses épaules, le visage à peine maquillé, très jolie.
Mais nous ne sommes pas à Paris ! Après quelques minutes de trajet nous arrivons au « check point » de la colonie de Gilo. Stop, tout le monde descend ! Deux soldats Israéliens nous mettent en file et pendant que l’un fouille le bus, l’autre, décontracté, le sourire conquérant et narquois, son pistolet mitrailleur en bandoulière contrôle les papiers d’identité et laisser-passer. Une dizaine de minutes plus tard, nous regagnons nos places, mais le bus ne redémarre pas. Tout à coup, les 5 à 6 jeunes hommes, assis à l’arrière, se ruent vers l’avant, manifestement échauffés, invectivant les militaires. Le chauffeur très maître de lui, tente de les calmer et ferme la porte, pendant qu’un passager adulte vocifère dans son portable un appel à la police (que nous ne verrons jamais). Au bout d’une vingtaine de minutes, l’ambiance se détend, les garçons regagnent l’arrière du bus, le chauffeur ouvre la porte et je vois entrer ma jolie voisine souriante et le regard satisfait d’une femme qui n’a pas cédé. A ma gauche, une autre voisine m’explique en anglais que le soldat qui nous avait contrôlés l’avait retenue car elle portait autour du cou un foulard à damier noir et blanc, couleurs du keffieh palestinien. En fait, je ne l’avais pas remarqué au premier abord tant il était fait de tissu léger et porté sans moins de grâce qu’un carré Hermès. Pour ces jeunes femmes, et pour les Palestiniens en général : monnaie courante d’une humiliation quotidienne.
Certes, il ne s’agit que d’une anecdote parmi les nombreux drames et l’humiliation collective engendrés par ces barrages fixes et mobiles auxquels s’ajoute le mur honteux de séparation mais la réaction de fierté à laquelle j’ai assisté ce jour- là me montre que la population palestinienne et en particulier sa jeunesse, loin d’être démoralisés, ne courbera pas de sitôt l’échine devant l’entreprise colonisatrice du gouvernement israélien.
Il y aura toujours des cailloux.
De retour à Jérusalem, je dois rencontrer un ami à l’hôpital Makassed, le plus grand de la partie est palestinienne. Beaucoup de monde dans la rue où s’ouvre l’entrée principale, des bus et des taxis en attente. Tout à coup, un bruit sourd de tôle emboutie. Le temps de me retourner, je vois une voiture accélérer en zigzagant et des jeunes gens courir dans tous les sens. Un témoin de la scène m’explique que les jeunes ont reconnu un habitant Israélien occupant une des maisons récemment confisquée à une famille palestinienne dans le quartier voisin et l’a « caillassé ». Il me conseille de ne pas rester dans la rue car les militaires vont rapidement investir sans ménagement la place, ce que me confirme mon ami médecin dans le taxi qui nous ramène à mon hôtel, près de la porte de Damas. Pendant la traversée du quartier Silwan, il me montre les maisons palestiniennes confisquées par des Israéliens qui y arborent leur drapeau. Leur nombre est considérablement augmenté par rapport à mon dernier séjour, il y a 3 ans. Comment ne pas comprendre le ressentiment des populations locales mais aussi la résistance qui s’organise et où les jeunes prennent une part de plus en plus grande, avec pour seules armes, des pierres, comme lors de la première Intifada.
C’est encore de résistance de jeunes qu’il s’agit lors de ma visite le lendemain à Nabi Saleh à une trentaine de kilomètres de Ramallah. Je voulais apporter mon soutien aux habitants de ce village qui manifestent chaque vendredi contre l’extension de la colonie voisine de Halamish et aussi, rencontrer le jeune Mohammed, âgé de 12 ans, que j’avais vu, un bras plâtré, maltraité par un soldat Israélien, quelques jours auparavant sur mon écran de télévision à Paris. Je ne verrai ni lui, car il était quelque part dans le village auprès de camarades, ni son père Bassem Al-Tamimi, résistant de longue date et emprisonné à de multiples reprises. Par contre, la mère Nariman, la sœur Ahed, deux voisines et une cousine étaient sur la terrasse pour nous accueillir autour d’un café de bienvenue. La jeune Ahed termine tranquillement un entretien avec une télévision étrangère et vient répondre à nos questions. Cette jeune fille de 14 ans à peine est déjà une résistante confirmée. On pouvait la voir sur la toile il y a 2 ou 3 ans, petite gamine blonde, hurlant et brandissant son poing vers un soldat israélien. Aujourd’hui, c’est une adolescente fière, déterminée, qui nous explique qu’elle n’avait pas d’autre solution que de mordre le bras du soldat armé pour lui faire relâcher son petit frère. Elle nous raconte rapidement cette histoire récente, parmi déjà beaucoup d’autres, et part au rassemblement de la manifestation hebdomadaire qui se prépare.
Au décours des explications sur les raisons de la colère de tous les villageois, la maman me parle de son genou gauche qui la fait souffrir depuis la fracture du fémur provoquée par un tir à balle il y a 2 ans, lors d’une manifestation. Une voisine qui a participé avec la mère, la sœur et d’autres femmes à la récupération du petit Mohammed, extirpé des mains du soldat, me dit qu’elle a eu elle aussi une fracture de jambe par balle lors d’une manifestation.
La lutte est difficile entre des slogans et des pierres d’un côté et des militaires qui n’hésitent pas à tirer pour protéger leur colonie voisine, et une opinion internationale complice, en face.
La colonie Israélienne en question est à environ 300m à vol d’oiseau, de l’autre côté de la route qui mène à Ramallah. Comme toujours à partir de cette loi inique sur « les propriétaires absents » les autorités israéliennes accaparent une superficie de terre plus ou moins étendue, la clôturent, installent l’électricité, des caméras de surveillance, l’eau est confisquée aux alentours (alors que les Palestiniens n’ont pas le droit de faire un puits), et commencent les constructions de maisons. A partir de là, le harcèlement, sous ses formes les plus abjectes, et sous la protection de l’armée, se met en place pour étendre la colonie.
C’est contre cette agression permanente que les habitants de Nabi Saleh, comme beaucoup d’autres villages en Cisjordanie, manifestent chaque semaine et que les jeunes lancent des cailloux contre les militaires qui usent de gaz, balles à embout caoutchoutés, mais très dangereuses, voire de balles réelles.
Mohammed et sa sœur Ahed font partie de ces jeunes résistants ainsi que la plupart de leurs camarades du village.
On dit volontiers que l’histoire ne se répète pas, mais la situation que j’ai pu observer ressemble beaucoup à la première Intifada « des pierres ». Il semble que le premier Ministre Netanyahou craigne la généralisation de cette résistance en ayant demandé récemment au conseil de sécurité de durcir les peines minimum contre les lanceurs de pierres alors que à la Knesset avait déjà fixé la peine maximum à 20 ans !
Michel Revel, médecin, AFPS Paris Sud